Algérie

Une nouvelle loi sur l'éducation, et après ?



1ère partieDepuis le décès de Socrate (470-399 av. JC), qui mourut en conversant avec ses disciples pour déconstruire le concept de l'éducation acquise sans réflexion et stimuler la réflexion personnelle, immortalisé par un tableau de Jacques Louis David (1748-1825), intitulé La mort de Socrate, la représentation de l'école est demeurée quasiment la même, du maître, réunissant ses élèves pour leur transmettre ce qu'il sait, et parfois ce qu'il est. Et mon interrogation de présentation, qui introduit le sujet, trouve sa pertinence dans le fait, qu'aussi exhaustive et parfaite, que tende à l'être une loi ; elle ne peut à elle seule, comme instrument de cadrage juridique, atteindre tous les objectifs escomptés. Elle aura pour ce faire, besoin de l'interaction d'autres acteurs et d'autres facteurs, qui participeraient à sa réalisation. Qui plus est, il s'agit en l'espèce d'une loi d'orientation sur l'éducation nationale. Et pour qu'une orientation s'imposât, il devait y avoir eu au préalable un dérèglement sinon une déviation dans l'éducation nationale. Je me représente l'école comme une triangulation interagissante, d'un engrenage à trois rouages, qui sont : 1-l'élève, 2- l'enseignant, 3- les moyens. Si pour l'élève, que la nouvelle loi (1) dans son article 7, place au centre des préoccupations de la politique éducative, et qui pour cela mobilise tout le système éducatif, les collectivités territoriales et les parents, pour en faire, soit un citoyen éclairé, soit un être réagissant à l'émotionnel, plutôt c?"ur que raison, enfermé dans des clôtures dogmatiques, fabriquées par les adultes et travaillé par les gestionnaires de la croyance, selon la belle formule de Mohammed Arkoun(2). Il faudrait que cette centralité prenne en compte, d'une part le fait que tous les élèves n'arrivent pas à l'école primaire, au collège ni au lycée avec les mêmes acquits cognitifs, ni avec le même capital culturel, encore moins avec le même vécu psycho-affectif, car les théories dites du «pédocentrisme »,ou «l'élève centralité», ne sont pas axées sur la transmission des savoirs, notamment fondamentaux, lire, écrire et compter, mais sur le projet de l'élève. C'est l'élève qui construit son propre savoir à partir de ses propres besoins. Et d'une autre, qu'elle considère que tous les enseignants pourraient ne pas adhérer pour diverses raisons à cette démarche. Oui car tout enfant est glaise entre les mains des potiers de son temps et de sa sphère géographique de vie. Et ce n'est pas toujours dans l'intérêt de l'enfant que cette argile est façonnée. Hannah Arendt disait: «Former une génération nouvelle pour un monde nouveau traduit en fait le désir de refuser aux nouveaux arrivants leurs chances d'innover. (3)» Qu'en est-il des moyens ? J'appelle moyens :  1- l'infrastructure scolaire, y compris, les espaces ludoéducatifs et récréatifs et leur environnement, ainsi que les mobiliers scolaires, 2-les méthodes pédagogiques, et enfin, 3-les programmes et tous leurs supports didactiques, même extrascolaires.  A ce sujet j'évoquerais à titre illustratif, une image et des chiffres. Un quotidien arabophone, qui détient le record du plus gros tirage de la presse algérienne et peut-être celui de la plus forte diffusion, publiait à la Une de son édition du 27 novembre 2007, la photo d'élèves assis par terre dans une salle de classe, titrée ainsi:«Au temps de la réforme pédagogique, des élèves s'assoient à même le sol dans les écoles du Sud». Ceci pour l'image, quand aux chiffres, il s'agit de mentionner que l'éducation nationale a toujours occupé, le premier, sinon le second poste budgétaire, dans toutes les lois de finances de l'Algérie indépendante. Cela demeure le cas dans la répartition par département ministériel des crédits ouverts au titre du budget de fonctionnement pour 2008, puisque la dotation de l'éducation nationale est de 280 543 953 000 DA, pour un total budgétaire national de 1 589 555 541 000 DA, soit 17,64% hors les charges communes, ce qui la place toujours au second rang (4). Sont-ce alors les moyens qui manqueraient à l'école Algérienne ? En tout cas la réponse est à rechercher dans le décalage béant et inintelligible obtenu par la combinaison de l'image et des chiffres, cités plus haut. Si ce ne sont pas les moyens matériels et financiers qui font défaut, ce sont donc les contenus des programmes scolaires et la méthode, que je ne traiterai pas ici, ou bien la ressource humaine qui fera, elle, l'objet de ma réflexion fragmentaire. Mais alors dans quel segment, cette ressource humaine n'est pas en adéquation, avec ce qu'il en est attendu ? Il s'agit de parler des enseignants, qui doivent désormais en application de la loi, se projeter dans une nouvelle conception de leur métier, pour passer d'un système éducatif qui avait pour mission, selon l'ordonnance 76/35: «de développer la personnalité des enfants et des citoyens, et de les préparer à la vie active dans le cadre des valeurs arabo-islamiques et de la conscience socialiste…etc (5)». A une autre qui veut dorénavant que l'école algérienne ait pour vocation selon la loi 08/04 : «de former un citoyen doté de repères nationaux incontestables, profondément attaché aux valeurs du peuple algérien, capable de comprendre le monde qui l'entoure, de s'y adapter et d'agir sur lui, et en mesure de s'ouvrir sur la civilisation universelle » (6). Et il y aura parmi ces personnels appelés à changer d'approche ceux qui auront été enseignants dans le cadre de l'ordonnance 76/35 du16 avril 1976 portant organisation de l'éducation et de la formation, abrogée par la nouvelle loi, et ceux qui auront été des élèves et devenus entre temps enseignants à leur tour sous le même régime. Il est à présent question de passer d'un modèle scolaire et éducatif où l'affirmation identitaire pour des raisons historiques faut-il le mentionner, était extrêmement intense, effleurant quasiment l'intangibilité, à un autre, également pour causes de changements sociétaux internes et des nécessités d'adaptation aux transformations du monde du fait de la mondialisation de l'économie, mais pas seulement. Qui voudrait que l'élève produit du système scolaire et éducatif sous l'empire de la loi n°08/04 du 23 janvier 2008 portant loi d'orientation sur l'éducation nationale soit un adulte, sincèrement algérien et aussi sincèrement citoyen du monde. Que ces enseignants doivent former, avec tout ce que cela entraînera pour eux, comme remises en cause, mises à niveau, bouleversements d'habitudes et de réflexes.     De changements de comportements ,et d'acquisition d'autres capacités, d'attitudes et d'aptitudes. Car il s'agit, dés à présent,de pas moins de comprendre le monde de s'y adapter, d'agir sur lui et être en mesure de s'ouvrir sur la civilisation universelle au sortir de l'école, pour ne pas rater son siècle. Alors que depuis plus de trente ans l'horizon à l'école n'était que national et identitaire. L'aboutissement aux finalités de l'éducation ainsi que l'accomplissement des missions de l'école, et la réalisation des principes fondamentaux de l'éducation nationale, tels que voulus par la mise en application de la nouvelle loi ; ne peut se faire sans les changements comportementaux utiles dans le milieu enseignant. Il est question de s'engager à la lumière de la récente loi, dans une démarche nouvelle dans la façon d'enseigner, mais surtout, et c'est là où réside l'essentiel, dans l'adhésion à cette démarche et à l'acceptation sincère, par tous les enseignants de transmettre les nouveaux contenus, selon le sens voulu par la communauté nationale et édictés par le législateur. Pareilles situations transitionnelles provoquent et suscitent souvent, sinon toujours des appréhensions, et des inquiétudes humainement compréhensibles comme d'ailleurs le sont tous les changements structurels annoncés. Le succès de la démarche implique donc d'anticiper sur toutes les éventuelles réactions de rejets, sur toutes les formes de résistance et sur tous les probables effets négatifs. Pour ce faire il sera fortement rassurant d'associer les enseignants en les informant sur tout ce qui motive la démarche pour parvenir à une mutuelle compréhension des enjeux. La nouvelle méthode d'enseignement est appelée Approche Par la Compétence, ce dont ne traite d'ailleurs pas la loi, et qui consiste pour l'école objet de cette législation à doter chaque élève à la fin d'un cursus normal d'études de 12 ans, de capacités et d'aptitudes à pouvoir faire convenablement ce qu'il doit faire. Et cela se déclinera pour les professionnels, en compétence terminale, en compétence transversale, en compétence disciplinaire, en divers profils, linguistique, culturel,cognitif ou social,et autres situations d'apprentissage. En somme, c'est «le comment enseigner» selon cette approche. Mais ici le risque, et il y en a un, c'est qu'au lieu que les enseignants soient les spécialistes d'enseignement d'une matière scolaire,ils se transformeront en spécialistes des sciences de l'éducation,ce qui n'est pas la même chose,ni n'aboutit aux mêmes objectifs d'une scolarisation. Au lieu d'instruire, c'est-à-dire outiller en connaissances, et éduquer c'est-à-dire, faire sortir de, selon les étymologistes, on fera du pédagogisme. Concrètement, on produira des élèves formatés selon un cahier des charges, avec à la clé une uniformité de la pensée et une standardisation de l'agir. Si la fascination du modèle industriel, la convoitise effrénée de la culture d'entreprise, importées des Etats-Unis, et le recours au management sont érigés mode culturelle, et servis par les temps qui courent comme panacée à tous les maux. Il est également impératif de laisser des espaces au rêve, à l'imaginaire, au talent, à la créativité, au romanesque, au beau, à l'art, et à l'esthétique dans l'école algérienne du XXIèm siècle. Il serait donc, dans ce sens équitable aussi, que les tenants de cette importation étasunienne, affrontent les résultats et les conséquences de cette méthode sur l'illettrisme parmi les élèves de son pays de naissance, selon l'outil fondamental du management, qu'est l'évaluation. L'école algérienne de demain devrait dans les contenus de ses programmes, dispenser des enseignements qui combineraient harmonieusement, l'acquisition par les élèves de connaissances et de savoirs, c'est-à-dire des activités théoriques, et l'acquisition concomitantes de compétences, c'est-à-dire de capacités et d'aptitudes, pour au final, pouvoir en faire quelques choses, comme résultat. S'il est indéniable que toutes les écoles et tous les programmes scolaires -que ce soient, ceux de Socrate ou ceux de Ben Badis- sont quelques parts idéologiques, il est incontestable aussi, qu'il y en a, qui sont plus nobles, d'entre les autres. Ainsi les fondements de la nouvelle école algérienne que la loi n°08-04 du 23 janvier 2008 articule sur deux axes principaux qui sont, les finalités de l'éducation et les missions de l'école, proposent un système éducatif dont la vocation pour les finalités est:  -I-/ La formation d'un citoyen ouvert sur la civilisation universelle, aimant l'Algérie et fier de lui appartenir,attaché à l'unité nationale , à la cohésion sociale, aux valeurs représentées par le patrimoine historique,géographique religieux et culturel du pays et imprégné des valeurs de novembre. La promotion des valeurs républicaines et de l'Etat de droit ; l'assise des bases de l'instauration d'une société attachée à la paix et à la démocratie, et ouverte sur le progrès et la modernité, en aidant les élèves à s'approprier les valeurs partagées par la société algérienne, fondées sur le savoir, le travail, la solidarité, le respect d'autrui et la tolérance. Et enfin la promotion des attitudes positives en rapport avec les principes des droits de l'homme, d'égalité et de justice sociale. Et la vocation pour les missions est : -II-/ a- L'instruction, qui se décline en l'acquisition de connaissances assurant un bon niveau de culture générale et des apprentissages théoriques et pratiques permettant de s'insérer dans la société du savoir, par la maîtrise des outils intellectuels et méthodologiques. En l'enrichissement de la culture générale des élèves, par un approfondissement des apprentissages scientifiques, littéraires et artistiques, adaptés aux évolutions sociales, culturelles, technologiques et professionnelles. En développant l'usage des différentes formes d'expression, langagière, artistique, symboliques et corporelles. En dotant les élèves de compétences à même d'être exploitées dans des situations de communication, et de résolution de problèmes qui les rendent aptes à prendre une part active dans la vie sociale, culturelle et économiques et à s'adapter aux changements. L'instruction au sens de la loi, c'est aussi la maîtrise de la langue arabe, la promotion de la langue tamazight, et la connaissance d'au moins deux langues étrangères, ouverture sur le monde et moyen d'accès à la documentation et aux échanges avec les cultures et les civilisations étrangères. C'est également l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication dès les premières années de la scolarité. C'est enfin la pratique d'activités sportives, culturelles, artistique et de loisirs, et la participation à la vie scolaire et communautaire. B- La socialisation consiste pour la nouvelle école algérienne en collaboration avec la famille d'éduquer les élèves dans le respect des valeurs spirituelles, morales et civiques de la société algérienne, des valeurs universelles et de la vie en société. Pour ce faire l'école se propose de développer le sens civique et les valeurs de la citoyenneté que sont la justice, l'équité,légalité des citoyens en droits et en devoirs,la tolérance,le respect d'autrui et de la solidarité entre les citoyens. De dispenser une éducation en harmonie avec les droits de l'homme et de développer une culture démocratique, basée sur le débat, le dialogue, l'acceptation de l'avis de la majorité, et le rejet de la discrimination et de la violence, pour privilégier le dialogue. La nouvelle école fera prendre conscience aux jeunes génération, l'importance du travail, pour mener une vie digne et décente, et pour accéder à la l'autonomie et à la richesse pérenne quand viendra l'épuisement des ressources naturelles. C - Quant à la qualification, la nouvelle école algérienne s'engage désormais à dispenser aux élèves les connaissances et les compétences, qui leur permettront de réinvestir et d'opérationnaliser les savoirs et les savoirs-faire acquis durant les différents cursus. Ainsi que d'accéder aux formations supérieures et professionnelles, pour pouvoir s'adapter aux changements économiques, scientifiques et technologiques. Enfin de pouvoir reprendre ou entamer de nouvelles études au sortir du système scolaire, et continuer à apprendre tout au long de la vie en toute autonomie. A suivre


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