Algérie - Sahara

Une mission scientifique au Tassili des Ajjer (Sahara central)



Le Tassili des Ajjer est un vaste plateau gréseux, longeant le Nord-Est du Hoggar et compris entre 650 et 2.400 mètres d'altitude. Coupé de profondes vallées, il descend en pente douce vers l'Est (jusqu'au Messak et au Fezzân) mais présente sur son flanc sud-ouest (région de Djanet et Fort-Gardel) des versants beaucoup plus abrupts.

Le Tassili des Ajjer est un vaste plateau gréseux, longeant le Nord-Est du Hoggar et compris entre 65o et 2.400 mètres d'altitude. Coupé de profondes vallées, il descend en pente douce vers l'Est (jusqu'au Messak et au Fezzân) mais présente sur son flanc sud-ouest (région de Djanet et Fort-Gardel) des versants beaucoup plus abrupts.
Au dernier recensement (1948), l'Annexe des Ajjer comptait 5.321 habitants pour un territoire presqu'aussi grand que la France. La plupart sont des Touareg Ajjer, nomades plus pauvres et moins familiers au grand public que leurs voisins de l'A'haggar, et cette population est assez flottante, les hommes amenant souvent les chameaux vers le Soudan durant les années sèches.
Ce massif restait un des lieux les plus mal connus du Sahara central, et pourtant sa richesse en eau douce et en restes préhistoriques en font une des zones les plus originales du grand désert. Aussi, plusieurs médecins et naturalistes ont songé. depuis une trentaine d'années, à l'explorer scientifiquement. Ce projet a pu se réaliser au printemps 1949, grâce au bienveillant appui du Ministre, Gouverneur général de l'Algérie, et le présent exposé est un résumé ,du rapport que je lui ai soumis après le retour de la mission. Inutile de dire que les résultats techniques sont loin d'être tous élaborés : 'es publications complètes d'ordre zoologique, botanique et médical verront le jour dans un an ou i,eletix.

HISTORIQUE SOMMAIRE.

Itinéraire et but de la mission.
Les pays proches du Tassili à l'Est et à l'Ouest ont déjà fait l'objet d'explorations méthodiques. La première et la plus classique est celle organisée par le Gouvernement Général de l'Algérie au Hoggar (1928) : les participants étaient MM. MAIRE (Botanique), LEBLANC (Anthropologie médicale), De PEYERIMHOFF et SEURAT (Zoologie), accompagnés par le peintre P.-E. DUBOIS. Plu-sieurs biologistes et géologues ont parcouru individuellement le Hoggar depuis cette époque.
Les vallées du Fezzân furent décrites par des missions italiennes, puis françaises. Les travaux du géologue A. DESIO, du botaniste CORTI, des zoologistes ZAVATTARI et SCORTECCI, suivis d'archéologues et de météorologistes, se sont répartis entre 1934 et 1938. En 1944, un an après le passage de la colonne LECLERC, le général CATROUX, alors Gouverneur Général de l'Algérie, décida le départ au Fezzân d'une équipe de onze chercheurs (linguistes, médecin, naturalistes, géographes) qui restèrent deux mois sur place et dont plusieurs revinrent les années suivantes. On peut estimer aujourd'hui à plus de vingt le nombre de spécialistes français ayant travaillé au Fezzân.
A côté de ces voyages variés, le Tassili des Ajjer paraissait bien négligé jusqu'ici. C'est encore la préhistoire, avec les fameuses peintures rupestres sahariennes, qui a suscité le plus d'investigations, mais localisées surtout au nord du massif (région entre Djanet et Fort-Flatters). Les Italiens ont étudié, de Serdelès à Ghat et Ti'n Alkoum (voir l'est de la carte) la zone qu'ils occupaient, mais cette bordure, très chaude et relativement basse, ne donne aucune idée juste de la vraie montagne des Ajjer, avec sa flore méditerranéenne et ses lacs très peuplés. En outre, des crocodiles avaient été signalés dans le Tassili central depuis 1934, nouvelle preuve des caractères très remarquables de sa faune aquatique. La mission française du Hoggar (1928) n'avait qu'effleuré la bordure occidentale du massif. Le baron allemand GEYR Von SCHWEPPENBURG (1913) a chasse surtout les oiseaux.
Mais c'est au géologue français Conrad KILT AN que revient le mérite d'avoir attiré l'attention générale sur la richesse (lu Tassili en plantes et animaux. A son instigation, P. de PEYERIMHOFF publie dans un volume du Centenaire de l'Algérie (1930) un " Projet détaillé d'exploration au Tassili des -Ajjets : ". L'excellent itinéraire précisé dans ce projet sera en grande partie suivi par nous dix-neuf ans après.
L'idéal eût été d'organiser, comme au Fezzân, une mission d'ensemble, comprenant : littéraires, médecin,. naturalistes, etc... Mais les frais actuels de déplacement par avion, et les lourds bagages nécessités par les instruments scientifiques et les collections, obligent de plus en plus à spécialiser les entreprises. Un avion saharien habituel, du type e Junker ", ne peut emporter plus de sept voyageurs munis de tels bagages. Je me suis donc décidé à limiter nos enquêtes aux domaines biologique et médical. Les autres aspects intéressants du Tassili (préhistoire, géologie, ethnographie) obligent d'ail-leurs à des séjours dans des lieux trop cultivés ou trop pauvres en végétation, peu propices à la recherche des êtres vivants originaux de ces montagnes. Bien entendu, de futures missions consacrées à ces sciences de la terre et de l'homme sont très désirables à tous égards.
Voici, par ordre alphabétique, les participants à ce voyage en 1949
- BALACHOWSKY (Dr. A.), Chef de Service à l'Institut Pasteur de Paris, spécialiste des Insectes nuisibles et de la défense des cultures ;
- BERNARD (F.), Professeur de Zoologie à la Faculté des Sciences d'Alger : faune du sol, et biologie des Fourmis et Termites ;
- JACQUEMIN (Dr. P.), Chef des Travaux de Parasitologie à la Faculté de Médecine d'Alger : parasites de l'homme et ides animaux, médecine et zoologie générales ;
- LEREDDE (Cl.), Assistant de Botanique à la Faculté des Sciences de Toulouse : flore du Tassili, étude de la fertilité locale et des cultures ;
- MANDOUL (Dr R.), Professeur de Parasitologie à la Faculté de Médecine d'Alger : parasitologie humaine et animale, étude du paludisme ;
- VAILLANT (F.), Assistant de Zoologie à 1 la Faculté des Sciences d'Alger : faune du sol. des eaux douces.
Un peintre distingué, M. LEPOITEVIN, ancien pensionnaire de la villa Abd El Tif, s'est joint à noms et rapporte une belle moisson de portraits et paysages.
Grâce aux autorités du Gouvernement Général de l'Algérie, que nous tenons à remercier une fois de plus, les frais de séjour sur place (vivres, chameaux, guides, matériel, photographies, etc...) ont été largement couverts. La bienveillante autorisation du Ministre de la Défense nationale a fait mettre à notre disposition un avion spécial faisant à l'aller le trajet Alger - Ouargla - Ghat, au retour : Djanet - Ouargla - Alger. Dans le pays, l'excellent accueil des officiers de la compagnie méhariste et -de l'Annexe des Ajjer nous a considérablement facilité le parcours. Ne pouvant les nommer tous, qu'il me soit permis de remercier au moins le Capitaine LELIEPVRE, commandant l'Annexe, et de dire la compétence et le dévouement de ces représentants de la France dans le Sud. Malgré une année sèche, ils ont réussi à nous procurer un excellent guide : DJEBRIN ag MOHAMED, de la tribu des Kel Medak, et des montures robustes qui, chose rare au Sahara, ont tenu pendant cieux mois sur des pistes difficiles.
Du 26 Mars au 29 Mai, la mission a donc étudié les environs de Ghat, puis le sud-est du massif jusqu'à l'oued Amaïs (carte) puis le versant sud (Amaïs - Djanet - Fort-Gardel), enfin le versant nord plus humide, de Dider à Iherir et Aharhar, les mêmes régions étant revues trois semaines plus tard lors du retour à Djanet. Le tout représente environ 1.700 kilomètres, dont 200 en voitures, le reste à chameau ou parfois à pied, les rocailles du Tassili permettant rarement l'usage des véhicules.
Notre objectif pratique : mettre en évidence les ressources humaines et agricoles du pays, leurs possibilités de développement et les obstacles naturels qui pourraient l'entraver (paludisme, maladies diverses, ennemis des plantes, etc...). Cela se double de recherches plus générales sur la flore et la faune locales, à comparer avec celles, mieux connues, du Hoggar et du Fezzân.

REGIONS NATURELLES DU PAYS AJJER Carte).

En plus de son intérêt biologique et humain, le Tassili serait un splendide lieu de tourisme s'il était plus carrossable, mieux ravitaillé... et à moins de 1.600 kilomètres d'Alger. Sculptés par le vent, les-grès se découpent en silhouettes étranges. Creusés par l'eau, ils ont des canons grandioses : celui de l'oued Tamrit, à 20 kilomètres au nord de Djanet, a plus de 600 mètres de profondeur, est couronné d'aspérités rocheuses et fait plus grande figure encore que les fameuses gorges du Tarn et du Verdon. Enfin, le fond de ces vallées encaissées est souvent parsemé de lacs, chacun atteignant parfois plus d'un kilomètre de long et 12 mètres de profondeur : des poissons comestibles (Barbeaux et Silures) peuplent ces lacs sur le versant nord. Au Sahara, seule la chaîne du Mouidir, au nord-ouest du Hoggar, a des points d'eau analogues, sans que leur étendue et leur pittoresque soient comparables à ceux des Ajjer._
Par le climat, la flore, le régime hydrographique et la faune, on peut distinguer cinq parties dans. le secteur parcouru par nous, et deux autres au moins en dehors du domaine de la mission :
Région I. Grands Ouadi de l'Est.
Vallées relativement basses (600 à 800 mètres) où l'eau coule vers le Nord en cas de pluie (une ou deux fortes pluies annuelles en général). Cette zone est comprise entre le massif oriental du Tadrart (conduisant vers la dépression du Fezzân) et la bordure est du Tassili : elle comprend Ghat, oasis de plus de i.000 habitants. Au nord de Ghat s'étend l'oued Tanezzouft, fréquenté seulement par des nomades et dominé par le mont Idinène ou " sommet des démons " (Garet el Djenoun, 1.26o m.), curieuse falaise ruiniforme. Au sud vient l'oued Isseyène, avec l'ancien fort turc de Ti'n Alkoum et quelques sédentaires.
Ces ouadi sont plus chauds et plus sablonneux que le reste du pays. Leur faune, plus banale, est pourtant mieux connue à cause des travaux italiens faits de 1933 à 1938 ; celle d'eau douce est la plus intéressante, comprenant de petits poissons tropicaux (non cités du reste du massif) (Hemichromis bimaculatus, Tilapia sp.), et une Grenouille spéciale : Rana zaoattarii. La jolie oasis d'El-Barkat, près de Ghat, est la plus riche à cet égard, mais un autre lieu classique est la plaine de Serdelès, au nord-est de l'ouadi Tanezzouft et un peu en dehors du Tassili proprement dit. Lors de la mission du Fezzân (1944, j'ai pu voir les onze sources qui fertilisent Serdelès et contiennent des Invertébrés analogues à ceux de Ghat.

Région II. - Bassin de l'Oued Arrikin.
FIG. 1. - Schéma de l'itinéraire de la mission ou 1/2.000.000 (un centimètre pour 20 kilomètres). La ligne en trait plein représente le trajet, depuis Ghat à l'Est jusqu'à Aharhar à l'Ouest et retour à Djonet (1.700 km). Les traits hachurés épais figurent les principales crêtes montagneuses : à l'Est, le Tadrort sépare le Tassili du Fezzan ; au centre, la crête du Tassili sépare le versant nord humide du versant sud beaucoup plus sec.
L'oued principal se perd, à l'Est, dans les sables du. Fezzan méridional. Il reçoit des affluents tassiliens, venant de montagnes déjà plus hautes (900 à 1.400 m.). Ce versant sud-est est chaud et sec, Amaïs n'étant qu'à 85 kilomètres du Tropique du Cancer, cependant çà et là de belles vallées conservent des lacs, sans poissons et grouillant d'insectes variés. Plusieurs espèces n'ont été trouvées que là, et le site grandiose du cirque d'Amaïs vaut à lui seul ce détour vers le sud.
Région III. Versant sud aride.
Elle va des sources de l'oued Amaïs jusqu'au massif basaltique de l'Adrar n'Ajjer, à l'ouest (le Fort-Gardel (Zaouatallaz). Les hautes falaises tassiliennes (1.700 à 2.350 m.) tombent brusquement sur un plateau sec. rocheux sauf dans l'erg Admer, En dehors des oueds (Issandilène, Sersouf, etc...), la flore est surtout constituée par des plantes épineuses : Acacias, Zilla, et la seule oasis importante est Djanet. Là. plusieurs sources sortant près d'Adjahil apportent (les animaux curieux, par exemple une Crevette.
En raison de son aridité, ce versant manque de poissons et de certains éléments communs au nord, tels que le Jujubier (Ziziphus lotus). Au contraire, les types strictement désertiques. comme les Mantes (Eremiapihifa), abondent. et les Scorpions dangereux y sont particulièrement fréquents.
Région IV. - Montagne volcanique de l'Adrar n'Ajjer.
Elle contient les points culminants du pays, mais très peu d'oued et de végétaux, et (levait être très sèche en 1949. Son peuplement serait à étudier après les fortes pluies : en pareil cas, les touareg y amènent leurs chèvres, qu'ils descendent même avec des cordes dans les trous abrupts garnis de Graminées.
Région V. Haute montagne gréseuse du centre.
La flore et le climat amènent à faire une région séparée pour les hauts plateaux et les crêtes, entre 1.500 et 2.000 mètres d'altitude. Le facies est franchement méditerranéen, avec Oliviers,- Myrtes, Hélianthèmes, et les insectes rappellent souvent ceux des Hauts-Plateaux algériens vers 1.000 mètres. La partie la plus remarquable de cette zone est autour de l'oued Tamrit. au nord de Djanet : la photographie donne une idée des étranges rochers découpés, entre lesquels pousse le Cyprès du Tassili dont nous reparlerons à propos de la flore.
Grès ruiniformes du chaos de Tamrit (1.750 mètres), à 19 kilomètres au nord de Djanet.
FIG. 2. - Grès ruiniformes du chaos de Tamrit (1.750 mètres), à 19 kilomètres au nord de Djanet. Cet extraordincire plateau rocheux a une flore de type méditerranéen, avec Cupressus duprezana, Olea laperrinei, etc... La faune est plus saharienne, et comprend encore les Termites Anacanfhotermes :sp et la sauterelle décolorée fouisseuse Lezina peyerimhoffi, de l'A'haggar.

Région VI. Versant nord élevé (1.200 à 1.500 m.).
Voici les plateaux les plus caractéristiques du domaine ajjer, relativement humides par rapport aux zones précédentes. Les grès primaires (dévoniens et siluriens) y sont très fouillés par les anciennes eaux courantes du Quaternaire pluvieux. Les êtres vivants, encore en bonne partie méditerranéens, ont plus d'espèces d'affinités tropicales que la haute mentagne, par exemple les plantes de pâturage du genre Calligonum dans les oueds, trois genres de Termites, et le Scorpion grêle : Cicileus exilis, pratiquement spécial au Tassili.

Région VII. - Vallée et basses montagnes du versant nord (600 à 1.200 m.)
Nous arrivons à la partie la plus fertile et la plus arrosée du pays : les lacs sont nombreux et certains oueds coulent parfois plusieurs mois de suite, chose exceptionnelle au Sahara. La température hivernale peut tomber à - 12°, comme à Aharhar exposé plein nord. Les Lauriers-roses et les grands Typha, mêlés de Tamaris et de Palmiers sauvages, font une végétation luxuriante. Malgré cela, les animaux des lacs, notamment Silures et Barbeaux, appartiennent en majorité aux types asiatiques et tropicaux. tandis que la faune terrestre a au moins 6o % de formes méditerranéennes.
Tous les cours d'eau sont des affluents, directs ou lointains, du grand oued Imhirou : dans sa portion encaissée chaotique, où la mission n'a pu se rendre, il doit subsister des Crocodiles dont trois exemplaires ont été capturés en 1934-1935. L'oasis d'therir, mal cultivée, vient immédiatement après Ghat et Djanet comme population (800 à 1.200 habitants selon les époques).
Dans son ensemble, le pays ajjer est donc plus frais et plus fertile que le Hoggar. Rien d'étonnant à cela, puisque l'A'haggar est notablement plus au sud (Tamanghasset est au sud du Tropique du Cancer) et formé de roches éruptives pauvres en chaux, retenant peu ou mal les eaux souterraines. Nous avons vu en route 54 lacs ou gueltas, dont 28 permanents, et l'on peut évaluer à plus de 600 le total des grandes pièces d'eau du Tassili. L' A'haggar est beaucoup plus pauvre, bien que plus grand et plus élevé.
L'aridité moindre influe aussi sur les zones botaniques d'altitude : dans l'A'haggar, les endémiques méditerranéens (Olivier de Laperrine. Myrtus nivellei) ne commencent guère avant 2.000 mètres et ont leur maximum entre 2.300 et 4.000. Ici, ces plantes débutent vers 1.100 mètres et sont communes à partir de 1.300. D'où l'intérêt biologique, sur lequel on va revenir.
La plus grande pièce d'eau vue au Tassili.
FIG. 3. - La plus grande pièce d'eau vue au Tassili. C'est un fond d'oued permanent, au sud d'lherir, mesurant environ 1 km. 200 de long et 8 à 13 mètres de profondeur. Des poissons tropicaux : barbeaux, silures, y abondent, tandis que la flore aquatique a une majorité de plantes communes avec l'Europe. On notera l'aspect désertique du paysage, où les seules plantes sont une petite
Ombellifère et Myrtus nivellei, fréquentées par des Guêpes rares. Altitude .1.200 mètres.


BOTANIQUE ET DEFENSE DES CULTURES.

On retrouve au Tassili beaucoup de plantes décrites du Hoggar mais avec des limites d'altitude plus basses, dues à la situation : 300 à 600 kilomètres pl us au nord, et à la fréquence des points d'eau. Les noms de ces végétaux en dialecte tamachek, parfois différents de ceux du Hoggar, ont été transcrits par M. LEREDDE. Si des espèces tropicales connues du Hoggar manquent ici (par exemple les lianes (lu genre Cocculus), le Tassili possède réciproquement des types méditerranéens ou même européens absents plus au sud. Exemples : des Fougères capillaires et Utricularia minor dans la mare Abatoul, en pleine palmeraie d'Elbarkat, non loin de Ghat, et une Saxifragée, famille avide d'eau et non citée jusqu'à présent du Sahara.
Plus généralement, les végétaux des lacs sont plutôt de type européen, tandis que les Poissons, Mollusques et Crustacés des mêmes eaux sont en majorité tropicaux, nouvelle preuve de l'histoire compliquée du grand désert.
La répartition de deux arbres très intéressants a été précisée. Le premier est l'olivier du Sahara central Olea laperrinei, sauvage mais très voisin de notre Olea europaea cultivé (il est possible que certaines races d'Oliviers algériens descendent du laperrinei). D'après les indigènes, environ 80o pieds existeraient dans le massif;
nous en avons vu et photographié une trentaine, entre 1.400 et 1.800 mètres, et les olives (inconnues) furent recueillies. Le second. absolument spécial aux crêtes de la région de Djanet, est le fameux Cyprès des Ajjer (Cupressus dupreziana) disséminé dans l'étrange paysage de grès ruiniformes dont la figure 2 donne une idée. Il y en aurait encore plus de 500 individus, mais les jeunes pousses sont très rares. Seul Conifère saharien, ce bel arbre très ornemental a germé dans le jardin botanique de l'Université d'Alger, où le professeur MAIRE avait reçu des graines. Les nombreuses graines de nos récoltes furent partagées entre Alger et Toulouse. où certaines ont germé aussi : ce fossile vivant " est donc sauvé de la destruction.
Nul doute que l'examen détaillé de l'herbier réserve encore des imprévus. M. LEREDDE se propose de retourner sur place pour esquisser une carte phytogéographique du Tassili, chose très souhaitable et encouragée par le Gouvernement Général.
En effet, au point de vue pratique, l'étude de la flore sauvage renseigne bien sur les ressources en eau superficielle et les possibilités de culture des sols. Il est certain que le pays ajjer pourrait être plus cultivé, donc plus habité que maintenant. L'oasis d'lherir, avec ses 45 pièces d'eau et un oued coulant plusieurs mois, est capable de nourrir dix fois plus que ses 800 sédentaires actuels. Des vallées encore vierges comme l'oued Tasset, l'oued Issandilène et bien d'autres, ont une telle végétation que l'eau ne doit pas être loin en profondeur. Il est frappant que le Tassili ne produise même pas assez de dattes pour sa propre consommation : il faut en acheter au Fezzan, souvent aux frais de l'Etat, vu la pauvreté des nomades.
Tout cela s'améliorera sans doute, mais on se heurte ici au facteur humain, très délicat. Les Touareg peu stables, laissent cultiver leurs jardins par des arrhatines, anciens esclaves noirs utilisant des outils plus primitifs que dans le nord du Sahara. Il faudrait introduire de nouveaux cultivateurs robustes... et tolérés par les habitants actuels. La résolution du problème, aidée par des terrassements appropriés, permettrait d'obtenir une foule de plantes communes dans le reste des oasis et presque ignorées ici : poiriers, lin, mil, épinards, légumineuses, etc..., sans compter l'amélioration des races de céréales et de dattiers.
Il faudra veiller à ce que ces apports n'amènent point des insectes nuisibles. A cet égard, le Tassili, resté loin des caravanes et des grandes migrations humaines, est indemne de beaucoup de fléaux classiques : M. BALACHOWSKY a été surpris de l'absence des pucerons des fèves et des céréales, sauf à Ghat. La plus lointaine oasis du parcours : Aharhar, est aussi la moins atteinte et n'a même pas la célèbre Cochenille blanche du palmier : Pariatorea blanchardi, si néfaste dans le sud algérien. Enfin, les Sauterelles (Criquet pèlerin) sont rares ici, et la mission n'en a capturé qu'une vingtaine ; ces individus isolés seront d'ailleurs très intéressants pour l'histoire des déplacements du Criquet, et nous les avons soumis à l'éminent spécialiste de Londres, B. UVAROV.

BIOLOGIE MEDICALE.

Les préjugés indigènes ont empêché l'examen des selles : on ne peut donc rien dire sur les parasites intestinaux, notamment sur la bilharziose à Schistosoma mansoni ; par contre, la bilharziose vésicale à S. haematobium a été trouvée très répandue à Chat et Djanet par les Drs MANDOUL et JACQUEMIIN. Près de 80% des enfants des écoles ont du sang dans les urines, et il est difficile d'éviter quils se baignent en été dans les mares et puits contenant les Mollusques transmetteurs : Builins, Planorbes.
Au contraire, le versant nord (Iherir - Aharhar) n'a pas ces Mollusques, et l'on plonge agréablement dans les vastes lacs de cette contrée. Les Moustiques, nombreux et variés, comprennent des formes orientales rarement signalées au Sahara. La fâcheuse réputation des vallées ajjer pour le paludisme grave ne parait pas justifiée : Il y a un paludisme endémique très fréquent, mais bénin, d'après les nombreux examens de rates et (le sang durant notre mission. Les conclusions précises seront publiées plus tard,-mais, dès aujourd'hui, il faut éviter d'amener dans les lieux palustres d'lherir et Aharhar des hommes ayant contracté la malaria plus sérieuse du nord-algérien : ils risque juent d'infester les moustiques locaux, et, par suite, la population.
Notre programme ne laissait guère le temps pour (les études anthropologiques détaillées, mais les groupes sanguins ont été recherchés sur plusieurs centaines de Touareg et d'arrhatines (groupes O, A, B, AB, plus le groupe Rhésus) grâce à des sérums spéciaux très obligeamment donnés par l'Institut Pasteur de Paris. Les premiers résultats sont très curieux, confirment l'ancienneté et l'isolement des jjer, qui n'ont pas en moyenne les réactions sanguines des autres peuples connus nord-africains.
Partout, le Dr. JACQUEMIN a soigné malades et blessés, distribué de la paludrine contre la malaria et, grâce à lui, la mission a contribué à faire aimer la France. Je me permets (l'ajouter qu'en plus du médecin de Ghat, trop occupé, il en faudrait au moins un à Djanet, pour inspecter plusieurs fois par an les zones habitées de Fort-Garde], Iherir et Aharahr.

ZOOLOGIE.

C'est par sa faune terrestre et aquatique, très variée, que le Tassili des Ajjer révèle le plus d'originalité par rapport au Hoggar et au Fezzan. Nous avons récolté plusieurs milliers d'animaux de tous les groupes, qui seront, une fois triés, répartis entre vingt spécialistes d'Europe et d'Afrique pour détermination. I1 y a sûrement des espèces nouvelles et spéciales à ce pays : sur 26 fourmis différentes, 5 sont inédites, notamment la plus commune au-dessus de 1.200 mètres.
Les oiseaux et mammifères locaux, déjà étudiés par GEYR VON SCHWEPPENBURG et par HEIM de BALSAC, sont souvent des races particulières, distinctes de celles de Berbérie septentrionale. C'est le cas du Mouflon, encore fréquent sur place, et de la Perdrix Cambra (Alectoris barbara).
Des oiseaux de divers groupes (Faucon, Perdrix, Tourterelles) ont tous la même livrée beige et bleue : on peut se demander s'il n'y a pas une action uniforme du climat sur la couleur de ces plumages. Un gros Rongeur réputé rare. le Goundi Massoutera rothschildi est très abondant parmi les éboulis rocheux. Le Daman est plus localisé.
En plus des fameux Crocodiles de l'Imhirou (il s'agit du banal Crocodilus niloticus d'Afrique). les Reptiles comprennent de gros Lézards peu variés, plus cinq ou six espèces de Serpents. Le seul type venimeux courant est Cerastes vipera, voisine de la célèbre Vipère à cornes, mais non cornue. Les cas de morsure semblent relativement rares. Le vrai danger est celui des Scorpions, au moins jusqu'à 1.200 mètres d'altitude et en été, car au-dessus ou au printemps il n'y a que des formes locales peu nocives. souvent mal connues.
Les poissons et batraciens abondent ici, sauf au versant sud pauvre en eau. Ce sont des Barbeaux et d'énormes Silures dans les lacs du Tassili nord, de petits poissons tropicaux et cinq batraciens différents à Ghat.
Le reste des animaux d'eau douce est à l'étude : citons seulement des Crustacés remarquables. et une Eponge inédite (Spongilla saharensis) qui tapisse plusieurs lacs profonds du pays.
Parmi les Invertébrés terrestres, les Araignées, les Pseudoscorpions, les abeilles, les Hémiptères, emblent devoir fournir les nouveautés les plus nombreuses. M. BALACHOWSKY a trouvé sur des Tamaris et des Acacias des Cochenilles à laque du genre Tachardina, jusqu'ici connu seulement des tropiques. Des affinités asiatiques ou européennes caractérisent déjà le Tassili comparé aux régions environnantes du Sahara.

CONCLUSION

Dans ses reliefs tourmentés, le Tassili n'Ajjer a gardé un peuplement animal, végétal et humain très curieux, assez distinct de celui du Hoggar et très différent de celui du Fezzân. Grâce à l'aide du Gouvernement Général de l'Algérie, notre voyage d'Avril-Mai 1949 a contribué à son étude et précisé dans quelle mesure des améliorations sanitaires et agricoles pourront intervenir. Les nombreuses collections et photographies rapportées (près de 1.5oo clichés) constituent des documents inédits, où l'on puisera peut-être un jour un volume destiné au public.
Mais l'effort français n'est pas fini avec la mission proprement dite : il faudra faire retourner sur place des chercheurs. Les deux plus jeunes membres de notre équipe, MM. LEREDDE et VAILLANT, comptent bien y poursuivre leurs travaux et je sais que l'appui officiel leur est d'ores et déjà assuré. Le Sahara est vaste, et nous serions heureux si la contribution présente aide à en faire connaître et aimer un massif original.

Francis BERNARD,
Professeur de Zoologie a l'Université dAlger.






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