Algérie

Une mise à jour du malouf, cette musique arabo-maghrébo-andalouse



Publié le 23.09.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie

Par Dr Mohamed Tahar Zerouala, musicologue et musicien

Cette communication a été présentée à Cherchell à l’occasion de la 10e édition de Layali El andaloussia organisées par l’association Errachidia cet été.
Le thème qui nous tient tous à cœur, nous musiciens, musicologues et mélomanes, est celui de la musique arabo-maghrébo-andalouse.
Vous constatez que je m’engage avec cette appellation, qui met, je l’espère, à l’aise tout le monde, car elle illustre à mon sens tout le cheminement de ce legs savant dont nous avons la mission de préserver et de perpétuer.
Cette musique s’étend d’ouest à l’est de notre beau pays en passant par le centre. Elle s’implante respectivement à Tlemcen, à Alger et à Constantine. Elle porte les noms de gharnati, de sanaâ et de malouf.
Pourquoi cette introduction ? Pour confirmer que le malouf appartient à une école à côté de celle de Tlemcen et d’Alger.
Je suis né dans le sanctuaire du malouf et ai fréquenté assidûment les associations malouf. Mais je suis imprégné par le cœur et l’esprit par l’école d’Alger. Cela s’explique par l’éducation musicale que m’a donnée mon père (Cheikh Mohamed Larbi Zerouala), lui, musicien et pionnier de la musique chaabi à Constantine. Evidemment, ma fratrie est concernée mais elle est versée spécialement dans le malouf. Je suis particulièrement heureux qu’Errachidia introduise dans sa manifestation culturelle le malouf, ce qui démontre sa grande ouverture sur les autres écoles.
Résultats d’humbles efforts pour déchiffrer nombre de documents ou joindre quelques chouyoukh qui sont encore de ce monde, ou en revisitant les travaux de ceux qui, malheureusement, nous ont quittés. L’évènement de Cherchell a été une occasion pour leur rendre hommage pour leur mission de transmission de ce legs qu’ils ont effectuée avec foi et passion.
Le malouf est un genre musical classique qui désigne l’école de Constantine mais pas seulement. Il est répandu dans l’est de Constantine comme Annaba qui a connu et qui connaît encore de grands interprètes, Souk Ahras…il ne se limite pas, non plus, à l’Algérie, mais s’étend à la Tunisie et à la Libye.
En Tunisie, l’exécution de cette musique se rapproche de celle de Constantine car de nombreuses pièces musicales sont interprétées de la même manière. En Libye, le malouf se chante à la façon maghrébine aussi, avec une touche orientale en plus qui rappelle les mouachahs égyptiens.
En Tunisie, le malouf est incarné par feu Si Tahar Gharsa, et bien d’autres, le flambeau est passé à son fils Si Ziad Gharsa. En Libye, le malouf est symbolisé par feu Si Hassane Laribi qui est un immense personnage dans l’interprétation, la composition et la recherche musicale.
Les textes poétiques dans le malouf constantinois, tunisien et libyen sont, à bien des égards, similaires. Mon ami et aîné feu Cheikh Darsouni, connu pour son autorité dans le malouf, m’apprenait que Harramtou bik nouassi est une composition de Constantine offerte aux Tunisiens lors de leur passage dans cette ville. Assertion d’ailleurs confirmée dans le Diwan tunisien de la nouba où il est écrit que cette pièce est de Constantine.
Le malouf est une musique savante dont la tradition la rattacherait, paraît-il, à la ville de Séville, en Andalousie. A l’occasion d’un colloque international qui s’est tenu récemment à Alger où un hommage a été rendu à Cheikh Abdelkrim Dali, quelques initiés semblaient être à l’aise pour une appellation de cette musique savante : musique arabo-maghrébo-andalouse. Cette appellation tient compte de son origine, de son cheminement. On parle de délocalisation et de relocalisation : partie de l’Orient, elle se localise au Maghreb et s’installe en Espagne. Puis se relocalise au Maghreb pour être ce qu’elle est aujourd’hui. Certains parlent de musique ancestrale pour désigner la musique andalouse. Il est vrai que si l’on se réfère aux temps très anciens, nous allons retrouver des racines de cette musique savante aux temps araméen, persan, hindou… et pendant la période ottomane. Des compositions sont nées au XXe siècle. Citons Harramtou bik nouassi et le bacheraf mezmoum appelé bacheraf regrigui.
Sur un autre volet plutôt sémantique, quel est le sens donné au vocable malouf ? Malouf vient de «Alifa», domestiqué, apprivoisé, adopté… c’est un ensemble de mouachahs et zedjel. Le mouachah s’exprime en arabe classique, le zadjel se rapproche de l’arabe parlé.
L’école de Constantine comprend 10 noubete. Pour les citer : dil, m’djenba, hsine saba, raml maya, raml, zidane, mezmoum, sika, rasd eddil et maya.
Les modes ou «tubû» de ces noubete sont respectivement : Do ReReReReRe Fa Mi Do Do.
La nouba est une suite musicale composée de 05 mouvements : m’ceddar, btaïhi, dardj, enseraf et khlass. Une polémique persiste cependant à Constantine concernant la place du dardj et du btaïhi. Classiquement, le dardj précède le btaïhi, et cela continue avec certaines formations dites de tradition. Cheikh Darsouni a mis un terme à cette controverse et s’est aligné avec les 2 autres écoles que sont Alger et Tlemcen. Le dardj occupe désormais la 3e place dans la nouba constantinoise.
On utilise le terme écoles, d’autres adeptes font appel à la notion de genres. Le terme école puise dans l’académique. Il a une connotation savante. Si Alger et Tlemcen ont de nombreuses similitudes dans la technique musicale, Constantine semble un peu plus singulière.
Pour revenir à la nouba constantinoise, d’après les spécialistes, le m’ceddar est chanté sur un rythme 16/8. Quelques noubete sont dépourvues classiquement de m’ceddar. C’est le cas de noubet dhil et mezmoum. Cheikh Darsouni a comblé ce vide en incorporant des enqlabate au rythme 2/4 pour les transformer en m’ceddarate au rythme 16/8.
Le dardj, 3e mouvement de la nouba, peut se jouer sur un rythme rapide (khafif) comme sur un rythme lent (thaquil). Celui-ci s’apparente d’après mon humble expérience à un m’ceddar.
La nouba est précédée d’une ouverture touchia ou bacheraf exécutée sur le même mode que la nouba. Chaque mouvement est précédé d’une assise musicale qui est le koursi à l’exception du dardj et du khlass.
Toujours dans le répertoire du malouf, il y a la série des enqlabate, qui se jouent sur un rythme en 4/4. On peut citer Qom tara barahima louz en mode dhil, El hawadha leloussoude en mode zidane, Qalbi btala en mode sika…
Il y a les madjmouate issues du répertoire algérois : Ya moukabel dans mode raml el maya, Kouna fi ichka dans le mode h’sine.
Des madjmouate typiquement constantinoises : Ya achikine nar el mahaba…
Le patrimoine constantinois possède également un riche corpus de chants populaires dont l’origine remonte au début du XVIIe siècle pour s’interrompre vers la fin du XIXe siècle.
Ce répertoire comprend plusieurs styles de poèmes chantés dont l’origine provient en grande partie de Constantine et de sa région. D’autres poèmes sont issus de Tlemcen, d’Alger ou de Mascara. Les différents genres qui constituent ce patrimoine sont : haouzi, mahdjouz, zadjel, aroubi, madh et kadria. La langue daridja est caractéristique de ce répertoire. Elle peut emprunter des images lexicales à la poésie classique. Ces poèmes expriment les joies et les peines en milieu urbain et à sa périphérie. Ils exaltent la morale et l’éthique.
Le hawzi est né au début du XVIIe siècle à Tlemcen. Il utilise le dialecte local et puise ses thèmes dans le vécu de la cité. Les grands poètes sont El Mandassi, Ben Triki, Ben M’saib, Ben Sahla. Le hawzi a été modelé à Constantine. Il utilise les modes de la nouba.
El mahdjouz ou le mahiouz, qui signifie écarté, marginalisé, périphérique. Les paroles sont crues.
On peut citer Dagouni, El Boughi… Sa musique invite à la danse. Comme le hawzi, le mahdjouz utilise les modes de la nouba classique.
Az-zandali est une musique instrumentale qui fait suite au hawzi et au mahdjouz avec un rythme du khlass. La zorna et les percussions jouent les premiers rôles.
Al-aroubi : poésie également populaire de la cité. Contrairement au hawzi qui se chante sans interruption, d’une façon linéaire, pour l’aroubi, chaque strophe est précédée d’un prélude vocal. (Baytwa siah).
El madh : c’est un chant dédié à la gloire du Prophète Sidna Mohamed. C’est le djed par opposition au razel dans le chant profane. Nombre de poèmes sont empruntés à la zaouia. Celle-ci a joué un rôle prépondérant pour la sauvegarde du patrimoine musical constantinois.
Al kadria : en arabe dialectal, elle est insérée au milieu d’un hawzi afin de rompre la monotonie du discours musical. Exemple Essania wal bir…
Az-zadjel : né en Andalousie, dérivé du mouachah, le zadjel utilise une langue plus populaire et est prisé par la classe citadine andalouse. Son essor est dû à Ibn-Qazman, Ibn-El Arabi, Ash-Shushtari. Il prendra racine à Constantine où il deviendra dominant avec de nombreux chouyoukh contemporains. A l’origine, il n’est interprété qu’avec la derbouka, les naqarât et les znoudj. Progressivement des instruments de musique sont introduits. L’association Maqam a brillé par l’interprétation des poèmes de Shushtari aidée par des chouyoukh de la zaouia.
Il s’agit d’une fresque de la musique malouf. Elle n’est pas exhaustive. Elle demande à être sauvegardée, enrichie, à l’abri de la malfaçon qui peut la travestir. Si les chouyoukh, la zaouia ont contribué significativement à la sauvegarde/la transmission de ce patrimoine, c’est aujourd’hui le rôle des associations, des chercheurs et des autorités concernées de prendre la relève. Beaucoup d’efforts ont été entrepris dans l’ensemble, mais des pistes de recherche restent à investir (sémantique, transcription…).
Cet éclairage a été souhaité par l’association Errachidia de Cherchell pour sa 10e édition de Layali El Andaloussia qui a connu un franc succès, notamment lors de la soirée consacrée au malouf qui a associé une phase théorique à une exécution musicale magistrale par l’association Nassaim El Ouns de Constantine sous la direction de Tahar Bestandji et le groupe de Malek Chelloug de la même ville.
M. T. Z.

Bibliographie
- Docteur Mohamed Said Zerouala : Les maîtres du malouf de Constantine et chants populaires de Constantine
- Anthologie du malouf. Ministère de la culture. Edition New Sound. Production Fayçal Benkalfat.
- Diwan du malouf. Cheikh Kaddour Darsouni
- Colloque international en hommage à Cheikh Abdelkrim Dali. Source d’inspiration sur la musique classique algérienne.
- Professeur Mohamed Salah Zerouala, ancien président de l’association Maqam Constantine qui a participé à la rédaction.




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