8 h 30 du matin,
une journée ordinaire. La traversée de la rue de la Bastille est encore aisée
parce qu'il n'y a pas la foule habituelle. Hormis quelques restaurateurs et
personnes matinales, ce marché n'est pas encore assailli par les ménagères.
Ammi Ali, à son
accoutumée, vient de l'autre bout de la ville chercher ses sardines. Sa fierté
à lui et de souligner à certains de ses voisins lève-tard, venant chercher leur
journal et leurs cigarettes chez le marchand de tabac de son quartier, qu'il a
déjà effectué son marché. En attendant que les poissonniers étalent leurs
marchandises, il parcourt pratiquement tout le marché pour se faire une idée
sur les prix. Hamid, un restaurateur connu comme un loup blanc, ne discute même
pas avec les marchands de fruits et légumes. Il lui suffit de se pointer pour
qu'on devine sa demande. Il y a longtemps qu'il a acquis le statut de client privilégié.
Donc, les marchands ne s'amusent pas à lui fourguer n'importe quoi.
Deux ou trois retraités, eux aussi habitués à
faire le marché avant l'arrivée de la grande foule, font leurs emplettes. Mais
s'il n'y a pas de bousculade, le sol est boueux. Tout indique que les services
de nettoiement ne se donnent pas trop la peine de le curer.
A cette heure-ci, bon nombre de marchands
n'ont pas encore totalement préparé leurs stands. Pour attirer la clientèle, un
vendeur de fruits essuie une à une ses pommes à l'aide d'un torchon, avant de
les ranger. Bien évidemment, il les aligne de telle manière qu'elles attirent
les regards. En face de lui, un autre commerçant, spécialisé dans la pomme de
terre, vide les sacs en fil de plastique. Lui aussi, il évite de les étaler
pèle mêle. Avec énormément de dextérité, il trie sa marchandise pour en exposer
le meilleur. Le reste, il le mettra de son côté et se chargera de l'écouler aux
clients... distraits. A quelques mètres, un jeune homme, adhérant malgré lui à
l'ère de l'étalage, essuie ses aubergines avant de leur trouver un ordre
d'exposition. La tâche est beaucoup plus aisée pour son voisin proposant des
poivrons. En face, un vieux, le premier qui se rend sur son lieu de travail,
selon les dires du restaurateur, met ses Å“ufs par dix dans des sachets en
plastique. Son commerce semble constant, puisqu'il acquiert chaque jour le même
nombre de palettes d'Å“ufs pour les revendre. Un autre, lui aussi d'âge avancé,
empaquette persil et coriandre. Les retardataires font appel aux services de
jeunes porteurs pour déplacer leurs marchandises déposées au niveau du passage
Saint-Germain. Ce dernier connaît d'ailleurs une certaine fébrilité, puisqu'il
est transformé momentanément en une aire de stockage. Plusieurs marchands reçoivent
leur marchandise à ce niveau. Tout en mettant en place leurs étals, certains ne
s'empêchent pas de commenter à voix haute le dernier match du Barça …«dégusté»
la veille. Se sentant entre eux et surtout sur leur propre territoire, on ne
lésine ni sur les «vannes» ni sur les gros mots. Dans un moment, on commencera
la criée et on endossera un autre habit et un langage plus conforme à la morale
commerciale.
Au milieu de cette rue commerçante, pas loin
des rares poissonniers qui restent, ouverts il y a un moment déjà, un vendeur
d'oignons organise lui aussi sa «table». Un autre, pour donner un aspect frais
à ses choux, n'hésite pas à les débarrasser des feuilles un peu flétries. On
relèvera la même chose chez un marchand de salade. A l'aide d'un canif, un
homme arrange ses betteraves en leur enlevant une partie de telle manière
qu'elles apparaissent juteuses. Des jeunes sortent des chariots pour acheminer
des cageots de poissons d'un camion frigorifique garé un peu plus loin.
Probablement pour les marchands qui proposent
leur marchandise au point de croisement de la rue de la Bastille avec une
autre, pas loin d'un regard des eaux usées.
Quant aux bouchers, certains d'entre eux
attendent toujours un fourgon, qui ne répond aucunement aux règles élémentaires
de l'hygiène, pour retirer les carcasses des bêtes à découper et à stocker dans
leurs chambres froides. De je ne sais où, les trois ou quatre vendeurs d'olives
sortent des bidons. Eux aussi commencent à présenter leur marchandise en petits
monticules qui ne laissent pas le passant indifférent. Vers la fin de la rue, à
part un vendeur de menthe, l'espace est encore vide. D'un grand hangar, on sort
des madriers. Au fond, on relève des dizaines de cageots vides. Le lieu sert
probablement aussi d'entrepôt pour les marchands de fruits qui ont pris
l'habitude de s'installer dans cette partie du marché.
Mais on retiendra notamment l'image de ce
petit vieux, matinal lui aussi, qui propose de la pâte préparée pour le
«rougag». Presque endossé à un mur, il déballe ses paquets pour les entreposer
sur un présentoir en bois. Dans une heure, il sera presque invisible. A cause
de la cohue. Mais probablement, à force d'occuper ce petit carré, il a acquis
une clientèle. Après la mise en place des étals, on passe à l'affichage des
prix. Fait nouveau, certains inscrivent le prix de la livre. Surtout quand le
prix du légume ou du fruit est hors de portée des petites bourses. Après avoir
accédé à l'aire de l'étalage, le marché de la Bastille prend en ligne de compte
le coût de la vie. En tout cas, en l'absence de la foule dense, ce marché offre
au simple passant un cocktail de couleurs naturelles. De surcroît, avant
l'entame d'une journée de travail. Ce qui n'est pas mal…
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Posté Le : 05/05/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ziad Salah
Source : www.lequotidien-oran.com