Algérie

UNE JOURNEE AU SILA. ÇA MERITE D'ÊTRE VECU !



Le Sila n'aura pas lieu cette année. Pour garder le lien entre écrivains, éditeurs et lecteurs, Liberté ouvre ses colonnes et leur donne la parole...Par : Hajar Bali
AUTRICE
Une journée au salon du livre d'Alger. Ça mérite d'être vécu ! Mais les souvenirs que j'en ai me paraissent si lointains... Fallait d'abord se taper la chaleur et les embouteillages, ensuite s'engouffrer vaille que vaille dans l'espace de parking le moins cabossé et le plus proche, si possible, du portail d'entrée. Parce qu'il faut marcher. On marche beaucoup, ce qui me faisait admirer les femmes qui arrivent pimpantes en talons, après ce premier périple d'initiation. Une fois dans le hall principal, ne surtout pas suivre les panneaux indicateurs : la flèche que j'ai devant moi semble indiquer tel ou tel stand, sans que je comprenne vraiment s'il faut aller tout droit ni quand bifurquer.
Donc, je demande : Khouya, les éditions Truc ' ah ma 3labalich (Ah, je ne sais pas). Une dame vient à mon secours : vous traversez la salle de conférence A, puis vous prenez à gauche, mais vous ne tournez pas complètement à gauche. Etc.
Je déambule, comme tout le monde, en me demandant parfois ce que je fais ici. Trop de livres, je m'arrête finalement un peu au hasard, attirée par un titre ou une voix familière. Dans le brouhaha, des personnes semblent discuter sérieusement. Elles sont confortablement assises sur des fauteuils profonds et se répondent, comme si elles se trouvaient dans l'intimité d'un studio, visiblement insensibles aux va-et-vient incessants avec bruits et sonneries de téléphones. Il est vrai que, lorsqu'on se trouve sur ces fauteuils-là (Je l'ai expérimenté), tout ce qui se passe autour est comme assourdi par magie, et on n'a nullement conscience d'être ces espèces d'autistes ou de zombies qu'on donne à voir.
Les visiteurs sont, pour la plupart, insensibles aux débats et continuent de trainer leurs savates, s'arrêtent parfois pour regarder longuement l'invité se disant : ça ne serait pas flène ' Des mères fatiguées courent derrière leurs bambins, tandis que le mari se bombe le torse en exhibant ses sachets lourds de livres achetés ou de prospectus glanés sur les comptoirs. Certains jeunes gens ont vite fait le tour des stands et s'apprêtent à aller « dragouiller » dehors, devant la buvette, les jeunes et élégantes hôtesses.
Les auteur-e-s, panelistes et journalistes, lorsqu'ils ont liquidé le travail pour lequel ils ont justifié leur absence du bureau, se promènent de stand en stand, saluent des connaissances, affichent des airs détachés, voire blazés, devant la « plèbe » qui, du reste ne leur accorde aucun regard (qu'est-ce qu'ils croient '). Les stars du moment n'en finissent pas de signer leurs livres, épuisés de distribuer sourires et remerciements, mais ils font leur calcul, comptent, skimi, le nombre de livres achetés et vérifient sur les présentoirs que leur dernier né est bien visible, quitte à, discrètement, glisser l'autre, le concurrent, un peu derrière.
Les représentants des ambassades et autres organismes étrangers, reconnaissables à leurs costumes pimpants et chaussures pointues, semblent circuler à l'aise, s'épongent discrètement le front avec un large mouchoir de tissu blanc, cachant mal, tout de même, leur inquiétude au milieu de cette foule qu'ils ne comprennent pas. Un homme en gandoura se fraie un passage dans les toilettes inondées et bondées, pour faire ses ablutions, puis s'installe au frais, dehors, sous un acacia, pour accomplir sa prière. Il a pris soin, quand même, de ne pas trop se cacher à la vue des plus jeunes, car nous aimons tous toujours donner des preuves de vertu et de bonne morale.
Une fois la journée terminée, nous nous dirigeons tous vers la sortie. Là, l'air léger automnal d'Alger nous surprend. En rejoignant le parking, je vois s'étaler en face la superbe baie d'Alger. Une légère brise participe à la magie, mon mal de tête commence à s'estomper et je me dis : je reviendrai.
Comme attendu, cette année, le salon du livre d'Alger n'aura pas lieu. Finies les joyeuses foules, les déclarations de boycott ne sont, évidemment, plus de mise. Dans l'ambiance actuelle, où rien ne prête à la vie, on va nous proposer, parait-il, des visioconférences, ces vraies fausses rencontres où personne ne s'amuse, et où chacun y va de son monologue. Les faiseurs de l'Algérie nouvelle l'ont voulu ainsi.
C'est la solution des paresseux, comme pour les écoles qui restent fermées, les frontières, etc. pourquoi, finalement, ne pas proposer des lectures dans les prisons ' Voilà une idée bonne à creuser messieurs, mesdames. Apporter du baume au coeur de ceux qui, justement, en ont tellement besoin.


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