Algérie

Une identité à part




Apatride malgré lui, voire sans espoir de remettre un jour pied à  terre dans sa chère Palestine, Edward Saïd (1935-2003), a-t-il jamais eu d'autre choix que celui de se transformer en intellectuel de race ' Mahmoud Darwiche (1941-2008), évoquant la mémoire de son grand ami de longue date, le dit ouvertement dans un poème élégiaque de grande tenue. Non, il ne le pleure pas, il le situe plutôt à  sa juste place en tant qu'exilé forgeant son identité d'intellectuel au jour le jour : «C'est un homme, le qualifie-t-il, prêt à  bondir à  tout moment pour plonger profondément ses crocs dans l'adversité sous toutes ses formes».
Edward Saïd, qui personnifiait à  merveille ce type d'intellectuel, a bien tenu son rôle sur toutes les scènes socio-politiques et littéraires du monde occidental, et ce, dès le moment où il eut conscience de son destin d'exilé. Il le fut effectivement sur la terre américaine, depuis la fin des années quarante du siècle dernier, souffrant en silence dans cette terrible jungle qui, à  un moment donné de l'histoire, a été pour quelque chose dans son éloignement de sa terre natale. Même après avoir fait ses classes à  l'université Harvard, après y avoir enseigné et bourlingué, littérairement cela s'entend, avec Joseph Conrad (1857-1924), sur les vieux rafiots de la fin du XIXe siècle, il n'eut guère de cesse d'évoluer dans cet arc de cercle qui va de l'Andalousie classique jusqu'à Djakarta et Sumatra, c'est-à-dire le monde  intellectuel de la civilisation arabe et musulmane, afin de prendre sa défense tout en la rattachant à  ce qu'il y a de plus sublime dans l'esprit universel. C'est pourquoi l'écriture fut pour lui un acte capital, dès lors qu'elle lui a toujours permis de se forger une nouvelle identité, imposée celle-là par une adversité qui n'a cessé de redoubler de férocité à  son égard.
Dans son poème élégiaque, Darwiche, autre condamné à  l'exil dans les environs directs et lointains à  la fois de sa Palestine, se dote d'une plume d'oie, semblable à  celle d'un calligraphe japonais ou chinois, pour esquisser le portrait de son compagnon : «Dans le cœur de la nuit, toute différence s'estompe pour laisser place à  diverses interprétations ! ». Or, la sempiternelle question de l'identité s'obstine à  relever de distances toujours fuyantes. Et Darwiche de découvrir que son ami a bien appris la leçon, celle de se dire, en fin de compte, que l'identité ne saurait àªtre le fruit d'un héritage ancestral, mais plutôt une manière de «se mettre à  la forge chaque jour et de la façonner au fur et à  mesure».
Darwiche dit avoir rencontré Edward Saïd pour la première fois à  New-York, quelque part dans la Cinquième avenue, au début des années soixante-dix. Obnubilé par un soleil ardent, ce qui avait retenu son attention de prime abord, ce fut un groupe de Peaux-rouges errant, à  l'instar de tous les exilés de la terre, dans cette ville tentaculaire. Comme une grue du désert, avide d'étancher sa soif, il chercha secours auprès de son ami, déjà rompu aux exigences de la vie américaine : «Toi, le grand spécialiste des questions narratives, pourquoi tu ne t'es pas essayé au roman '» Histoire de se situer, quoi !
Or, la narration pour Edward Saïd implique un retour, ou des retours en arrière, alors que le mouvement identitaire en lui n'autorise aucune halte ici ou là puisqu'il s'était décidé, un jour, de se revoir au miroir d'une quotidienneté à  jamais renouvelée qui ne pourrait àªtre appréhendée que par un intellectuel exilé de son gabarit. toyour1@yahoo.fr
 


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