Cela faisait
plusieurs mois que le dit appareil manifestait quelques signes de fatigue.
Capricieux, il lui arrivait de se mettre soudain à l'arrêt un vendredi soir à
minuit, à l'heure où les fêtards raisonnables rentrent chez eux. En tendant un
peu l'oreille à travers les cloisons, on pouvait même entendre les appels
quelque peu angoissés des malheureux qui étaient coincés. Un samedi après-midi
ce furent trois ou quatre jeunes que les dérèglements de la machinerie
empêchèrent d'assister à un meeting de l'UMP. Parfois, les pannes ont du bon…
Puis vint le tour d'un père et de ses deux
enfants. Un peu fantasque, ce paternel, qui a eu l'idée, allez savoir pourquoi,
de sauter à pieds joints à l'intérieur de la cabine en chantant qui ne saute
pas n'est pas du Barça. Il paraît que l'appareil a oscillé puis s'est arrêté
brutalement entre deux étages. L'adulte s'est d'abord fait gronder par les deux
minots mais il a très vite repris le dessus. Organisation de jeux en attendant
l'arrivée, quatre-vingt dix minutes plus tard, du réparateur. Quelle est la
capitale de la Nouvelle-Zélande ? Celui qui trouve aura droit à une glace ;
Citez-moi trois pays frontaliers de l'Autriche.
Ouvrons une parenthèse. Voilà un beau gag de
caméra invisible, non ? Scénario. D'abord, s'arranger, un lundi matin, pour
entrer dans l'une de ces grandes tours aux milliers de bureaux. Ensuite,
prendre l'ascenseur en compagnie d'un tas de gens pressés, au visage déjà fermé
en raison de ce qui les attend comme misères et stress. Se placer au milieu de
la cabine et sauter en hurlant qui ne saute pas n'est pas un bon français ou
bien encore qui ne saute pas n'est pas un bon employé. Blocage de l'appareil
garanti. Que se passera-t-il ensuite ? Coups de colère, angoisse, protestations
ahuries. Mais vous ne vous rendez pas compte, mon «n plus trois» attend ma
présentation powerpoint. J'y ai passé tout le week-end ! Et moi, dira l'autre,
j'ai une conf-call dans cinq minutes avec Singapour. Vous allez me le payer.
Certes, l'auteur de la provocation devra vivre un grand moment de solitude – et
peut-être même aura-t-il droit à des poursuites pénales - mais le gag en vaudra
la peine. Fin de la parenthèse et revenons au père immature.
Dans ce genre de situation, il y a toujours
une bonne âme qui sort de chez elle pour prendre régulièrement des nouvelles
des prisonniers quand d'autres préfèrent faire la sieste ou regarder la
télévision. Et cette personne généreuse doit savoir rassurer et, surtout, ne
pas aggraver la panique voire ne pas la créer. Dire par exemple «Ça va ?
Personne n'a soif ? Personne n'a envie d'aller au petit coin», c'est prendre le
risque de déclencher des envies que, jusque-là, l'animateur du jeu des
capitales pensait avoir réussi à contenir.
Quelques jours après la bêtise du père, vint
le tour d'une grand-mère d'être bloquée. L'enquête n'a rien certifié jusqu'à
présent mais il semble établi qu'elle n'a pas sautillé en chantant qui ne saute
pas n'est pas de La Marsa. A peine sait-on qu'elle a un peu exagéré la vérité
lors de sa conversation avec le centre de dépannage en prétendant être
claustrophobe. Il est vrai que ce genre d'affirmation oblige le technicien à
faire plus vite car, en règle générale, le temps d'attente varie de trente
minutes à trois bonnes heures.
Et c'est le moment d'injecter un peu de
«sériosité» dans cette chronique (le mot «sériosité» n'existe pas mais il est
temps que l'Académie française l'accepte). Dans la ville de Paris et ses
banlieues, il y a deux business qui concernent les ascenseurs. Le premier est
celui du dépannage. En raison des obligations de garantie, il coûte de l'argent
aux constructeurs d'autant plus que le parc est vieillissant (je sais, les
Algérois s'en contenteraient) et que les pannes augmentent à vitesse
exponentielle. Le second, celui de la rénovation et de la modernisation, est
bien plus rentable. Résultat, les ascensoristes (si, si, ce mot existe)
préfèrent privilégier cette activité quitte à délaisser les dépannages. Et
c'est ainsi que la dame du premier – celle qui ne supporte pas qu'on monte en
même temps qu'elle dans la cabine - est restée bloquée pendant deux heures un
dimanche soir. Vous me direz qu'elle aurait pu prendre l'escalier mais elle est
comme tout le monde : elle paye des charges sur cet ascenseur donc elle ne voit
pas pourquoi elle ne s'en servirait pas.
Mais un jour, voilà qu'une affichette annonce
la prochaine rénovation. Un mois et demi de travaux. Quarante-cinq jours
d'escaliers obligatoires, paniers remplis ou pas, valises ou pas. On se dit,
tant mieux. La modernité arrive. On plaisante. Le nouvel appareil aura-t-il une
connexion internet ? Un port USB ? Un locataire est plus circonspect. C'est des
Roumains qui feront le chantier, prévient-il. Je vais les avoir à l'Å“il. On
sourit, un peu gêné. Mais, très vite, on réalise qu'il n'a pas tout à fait
tort. Exemple. Samedi matin, huit heures. La perceuse à percussion réveille
l'immeuble. Vient ensuite un fracas métallique, des coups de marteaux, une
échelle en aluminium qui racle le sol. Puis, le silence. Il n'est que neuf
heures mais les deux ouvriers sont déjà repartis. Vers d'autres chantiers,
sûrement. On les reverra mardi matin, puis jeudi et ils seront de retour le
samedi d'après, toujours aussi matinaux avant de disparaître illico.
Le chantier s'allonge, dure. Deux mois. Deux
mois et demi. Les travaux sont enfin terminés, du moins c'est ce qui est dit.
Rien de changé ou si peu. L'appareil a un bel écran et une voix féminine qui
annoncent les étages. Mais le lendemain de sa mise en service, une nounou et un
bébé de quelques mois restent bloqués deux heures. Et c'est reparti. Mise à
l'arrêt, travaux épisodiques. Remise en marche. Nouvelles pannes. On se prend
alors à consulter l'horoscope avant d'aller faire ses courses. Au bout du
compte, on se dit vive l'escalier. Tiens, d'ailleurs, on s'y habitue très vite.
Mais il y a ces charges que l'on paye. Et puis, être isolé du monde pendant
quelques heures a du bon même si c'est dans une cabine d'un mètre carré sans
accès à l'internet…
P.S : Monsieur le Rédacteur en Chef, je vous
prie de bien vouloir excuser l'envoi tardif de cette chronique mais j'étais
dans l'ascenseur avec un voisin lorsque cet abruti s'est mis à bondir en
hurlant qui ne saute pas n'est pas Oranais.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 10/06/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Paris : Akram Belkaid
Source : www.lequotidien-oran.com