Soutenir les
Verts ou les grévistes d'El-Hadjar, il faut choisir. Les Algériens ont choisi.
Le mouvement de
grève engagé à Arcelor Mittal El-Hadjar depuis lundi, révèle les formidables
décalages que subit l'Algérie, avec la cohabitation d'univers totalement
étrangers les uns aux autres. La grève met aussi en évidence des archaïsmes qui
survivent, et rappelle les espoirs trahis, ainsi que les frustrations de pans
entiers de la société. Elle remet en scène de vieux symboles auxquels plus
personne ne porte attention, face à de nouveaux symboles, qui font peur. Elle
oppose des partenaires si différents qu'ils n'arrivent même pas à s'accorder
sur le terrain de la discussion.
Les symboles, d'abord. Et en premier lieu
El-Hadjar. C'est l'icône d'une époque, celle de Houari Boumediène, avec ses
industries industrialisantes, ses espoirs démesurés, et ses ambitions qui
ressemblent fort à des illusions. Fierté de l'Algérie, cet immense pôle
industriel a fini entre les mains de ce que Houari Boumediène a longuement
combattu, une multinationale qui pèse deux fois le PIB de la Tunisie.
Depuis son installation à El-Hadjar, Arcelor
Mittal a dépecé le vieux complexe sidérurgique, conçu comme un pôle
d'industrialisation devant avoir un effet d'entraînement sur toute une région,
et transformé en une machine à produire de l'acier et de l'argent pour le géant
indien. L'encadrement qu'on y trouve aujourd'hui a le même profil que celui qui
dirige Toyota, General Electric ou n'importe quelle multinationale. Il
fonctionne selon des règles imposées par les plus puissants, des règles qui
tiennent compte d'un seul paramètre, le chiffre des bénéfices de fin d'année et
son impact sur la valeur boursière de l'entreprise.
Face à cet encadrement « wall streetien », on
trouve des syndicalistes qui ne sont pas encore totalement sortis du SGT. Ils
veulent toujours cogérer l'entreprise, imposer un plan d'investissements, gérer
les Å“uvres sociales et demander des subventions. Ils pensent que le wali peut
faire pression sur le patron d'Arcelor Mittal, et que la fédération UGTA de
Annaba est un interlocuteur suffisamment puissant pour faire plier le géant
mondial de l'acier.
Arcelor Mittal, c'est aussi la mondialisation
poussé à son paroxysme. C'est Lashki Mittal, un indien au nom prédestiné, qui a
bâti sa fortune en rachetant l'industrie sidérurgique des anciens pays de
l'est, avant de s'attaquer à celle des pays occidentaux. C'est l'homme venu du
sud, d'un pays très pauvre, et qui veut se faire une place, à l'image des
nouveaux pays émergents.
Face à lui, la bureaucratie algérienne, qui a
décidé la privatisation du complexe d'El-Hadjar n'avait aucun projet, aucun
cap. Elle manquait d'argent, elle ne savait pas quoi faire du complexe, elle
s'en est débarrassée. Aujourd'hui, cette bureaucratie a de l'argent, elle veut
recomposer son pouvoir, elle rêve de reprendre le contrôle d'El-Hadjar.
Pourquoi faire ? Elle ne sait pas.
Comme Orascom et
d'autres multinationales, Arcelor Mittal s'est installée en Algérie pour gagner
de l'argent. C'est de bonne guerre. Elle a bénéficié de privilèges incroyables,
à un moment où le pouvoir faisait de la privatisation un dogme, et bradait tout
ce qu'il pouvait pour plaire à l'extérieur. Aujourd'hui, cette entreprise, et
les autres, celles qui travaillent dans le domaine du transport, des travaux
publics, de la téléphonie, du pétrole et du gaz, ont commencé à transférer des
bénéfices gigantesques, alors que le pays n'est pas en mesure de suivre et de
contrôler ces transferts.
Arcelor Mittal transfère des produits, de
l'argent, du savoir, dans un sens ou dans l'autre, sans qu'existent en Algérie
les institutions en mesure d'accompagner ces mouvements. Quel employé du fisc
ira contester une déclaration portant sur 100 millions de dollars s'il ne
reçoit pas une injonction d'une structure précise ? L'affaire Sonatrach a
révélé l'ampleur de la déchéance des mécanismes de contrôle : les structures
financières et comptables de Sonatrach, les structures d'audit, toutes celles
dédiées au contrôle, toute la bureaucratie du ministère de l'énergie sont
restées silencieuses, jusqu'à ce qu'intervienne la seule structure disposant de
vrais pouvoirs dans le pays : les services de sécurité.
C'est cela,
l'archaïsme. C'est le contre-espionnage s'occupant de la gestion des entités
économiques, alors que toutes les structures créées à cet effet se sont
révélées défaillantes ; c'est le wali distribuant les marchés aux entreprises ;
c'est un ministère payant des billets d'avions de complaisance par le biais
d'associations qu'il subventionne ; ce sont des associations et des partis
créés par l'administration, et qui font semblant de se rebeller contre elle
pour élargir leur rente ; ce sont les dirigeants de partis qui veulent
interdire la création de nouveaux partis ; c'est la justice chargée de
disqualifier ou légitimer une grève.
Avec de tels archaïsmes, personne ne semble
savoir ce qu'il faut faire de ce conflit. D'où le désarroi des grévistes, pris
entre une direction qui rejette leurs revendications, un juge qui les condamne,
et une bureaucratie qui attend de voir comment la grève va évoluer.
Pouvaient-ils s'attendre à autre chose, eux qui entament une grève en pleine
coupe du monde ?
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 24/06/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com