Algérie

Une Franco-Algérienne lui consacre une thèse doctorale L'UDMA sort de l'ombre



La «nouvelle génération d'historiens de la guerre d'Algérie», chère au regretté Pierre Vidal-Naquet, s'est enrichie d'une nouvelle recrue. Et de taille. La Franco-Algérienne Malika Rahal a rejoint, mardi, le club des praticiens appelés à enrichir le savoir académique autour de cette séquence coloniale et à la remettre pertinemment en perspective. Rahal a soutenu à la perfection - mention très honorable avec les félicitations du jury - une thèse de doctorat en histoire sur l'Union démocratique du manifeste algérien (UDMA), le parti créé par Ferhat Abbas au sortir de la répression sanglante du 8 mai 1945. L'étudiante a glané le grade de docteur à l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP), une institution voulue par le professeur Charles-Robert Ageron comme un espace de prédilection pour un travail en commun entre historiens français et algériens. Audacieusement, elle s'est attaquée, sous la direction de Benjamin Stora, à un sujet «casse-tête» parce que jamais labouré jusque-là. Au terme de délais «courts» qui ont surpris le jury, elle a doté le savoir sur le mouvement national d'une contribution qui brillait par son absence. Le professeur Ali Merad a plongé, au milieu des années 1960, au coeur du réformisme des Oulémas. Mohamed Harbi a suivi en naviguant dans les origines du FLN. Benjamin Stora a mis le cap sur le PPA-MTLD au travers du parcours de Messali Hadj. Malika Rahal a complété la «croisière» nationaliste par une Histoire de l'UDMA (1946-1956), où «l'autre nationalisme algérien». Sort inévitable dans tout exercice doctoral, le travail n'a pas été indemne de reproches, comme le souligneront chacun des membres du jury (Omar Carlier, Mohamed Harbi, Catherine Mayeur-Jaouen, Michel Offerle et Henry Rousso). Mais les points forts sont légion et sans appel. «Le grand mérite de Malika est d'avoir sorti de l'ombre tout un pan du nationalisme algérien, évincé de l'espace public au lendemain de l'indépendance et soumis à des accusations injustes», se réjouit son directeur de thèse, B. Stora. Omar Carlier a salué une «investigation féconde» réalisée par une étudiante issue d'une trame familiale - les Rahal - nourrie dans l'imaginaire «udmiste». Par-delà sa dimension pédagogique, la soutenance a valu par un débat croisé entre les membres du jury sur le profil de Ferhat Abbas. Première à allumer l'échange, la doctorante elle-même, dont le travail se veut une réplique aux clichés qui ont réduit l'UDMA à un «parti de salonnards, de bourgeois, de laïcs, de francophones, voire de collaborateurs». Rien de tel ne se vérifie à l'épreuve de l'enquête et de la consultation des archives, y compris policières, soutient Stora, auteur, avec Zakiya Daoud, de «Ferhat Abbas, une utopie algérienne» (Denoël 1995). «Le mouvement de Abbas a été porteur d'une idéologie politique originale, le républicanisme. Il a déstabilisé, lui aussi, le système colonial et ouvert une brèche». Carlier a dessiné le profil d'un «parti politique à part» dans le paysage nationaliste de l'après-1945. Un parti avec «ses complexités et ses sensibilités qui se traduisent par des critiques contre le chef». Rousso a pointé du doigt le contexte de la guerre froide où le parti de Abbas, à l'image de nombre de mouvements arabes, s'emploie à se soustraire au règne colonial. Mayeur-Jaouen s'est attardée sur la «sociabilité» comme vecteur d'action nationaliste. Privilégiés par l'UDMA, les cafés maures, les concerts de musique, les clubs sportifs ont joué, à la manière de l'Egypte pré-révolution nassérienne, un rôle dans le regain du sentiment national. Reconnaissant que le travail «novateur» de Malika Rahal fait justice à une «figure de proue» du mouvement national, Mohamed Harbi n'a pas résisté à la tentation d'une petite charge contre le pharmacien de Sétif. «L'UDMA était le creuset d'une catégorie d'Algériens». «Animal politique», selon la propre formule de Harbi, Ferhat Abbas s'est singularisé par une facette difficile à nier. «Il n'hésitait pas à se débarrasser organiquement de ses adversaires sans se poser de questions», rappelle l'auteur de «FLN, mirage et réalité». Cette posture, souligne l'historien, contraste fortement avec celle de Messali Hadj qui a eu maille à partir avec son propre camp. Dans le cas de Abbas, les tentatives scissionnistes n'étaient pas de mise. «On peut s'opposer à Abbas, on peut trouver à redire sur ses options, il n'y a pas de scissions. La plupart de ses adversaires politiques sont partis» sans crier gare. L'UDMA a-t-elle failli en misant sur les élections alors que la logique de fraude du gouverneur général (SFIO) Marcel-Edmond Naegelen ne faisait plus l'ombre d'un doute ? Source de conflits avec les autres composantes du mouvement national, la participation «très difficile» de Abbas aux scrutins lui a permis de «construire un appareil politique et de créditer le paysage nationaliste d'une animation partisane en temps d'élection», note Stora. Tous comptes faits, l'action électorale n'a pas été payante. «Abbas voulait à la fois la France et l'indépendance, un regard présent dans l'esprit de pas mal d'élites», rétorque Mohamed Harbi. L'historien précise parler, ce faisant, non pas comme historien mais comme politique. «Car les historiens, dit-il sourire en coin, ont vocation à parler de politique».


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)