Algérie

Une filière budgétivore, source de scandales



Un gros poisson de la filière automobile, en la personne de Mahieddine Tahkout, a été placé, hier lundi, sous mandat de dépôt dans des affaires de corruption et d'indus avantages dont il bénéficiait, impliquant des dizaines de ministres et de hauts cadres de l'Etat. C'est une affaire inédite. Cet événement est le dernier épisode en date dans une affaire qui prend les allures d'une opération mains propres. C'est une affaire qui, par-dessus tout, relance de plus belle la polémique sur une filière automobile source de plus d'un délit. La ruée vers le montage automobile de ces dernières années ne saurait s'expliquer par le souci de permettre au pays de faire l'économie de quelques milliards de dollars investis dans les importations massives de véhicules.La facture avait atteint près de 6 milliards de dollars en 2014 et près de 7 milliards de dollars en 2013, contre un record historique de plus de 7 milliards de dollars en 2012. Acculé par une crise financière aiguë, née d'un retournement de situation spectaculaire sur le marché pétrolier, le gouvernement Sellal, qui comptait un certain Abdesselam Bouchouareb parmi ses ministres, avait opté dès 2014 pour le montage automobile, prétextant une volonté de réduire la facture d'importation et de faire naître une filière industrielle avec, comme bénéfice, le transfert technologique et la création d'emplois et de richesses.
Cinq années plus tard, force est de constater que cette filière a détruit bien des richesses ; le transfert de technologie se révèle un leurre, tout comme la sous-traitance automobile d'ailleurs. Bien au contraire, le montage automobile s'était révélé, au fil des années, une filière délictuelle, donnant naissance à des crimes économiques préjudiciables, à l'instar de la surfacturation, du transfert de devises vers l'étranger, des abus commerciaux et fiscaux, etc. La filière du montage automobile devient trop vite un club VIP restreint fréquenté par une poignée de patrons triés sur le volet en fonction de leur proximité avec le frère du désormais ancien président et des deux hommes forts du gouvernement Sellal de l'époque.
Les autres porteurs de projets, impliquant des chaînes de production de la pièce de rechange et un tissu de sous-traitants, ont été soit rejetés d'office, soit inclus sur la liste des patrons non conformistes. Un incident diplomatique avec les Allemands avait été évité de justesse après les tentatives d'un ministre de faire capoter un projet industriel jugé "trop ambitieux" pour un pays comme l'Algérie. L'économie a perdu sur toute la ligne Des concessionnaires ont été privés de leurs marques de force au bénéfice d'autres patrons moyennant une poignée de dinars. Lesquels patrons ont fait de la commercialisation de ces marques sous le label "made in bladi" un canal de transfert de devises vers l'étranger au moyen de la surfacturation, au su et au vu des institutions de la République et avec la complicité des plus hautes autorités du pays.
En témoigne le défilé de VIP au palais de justice, composé de plusieurs ministres, de walis et de dizaines de hauts cadres de l'Etat, dans l'affaire dite Tahkout. Comme dans l'affaire des minoteries qui avait profité à une poignée de patrons et qui a vu la prolifération d'une série d'usines sans une réelle profitabilité, l'option du montage automobile s'est traduite par une perte énorme aussi bien en termes de coût que de manque à gagner pour le Trésor, généré essentiellement par les avantages fiscaux et parafiscaux dont bénéficiaient les importateurs de kits CKD-SKD. En 2018, la facture globale d'importation des collections CKD/SKD destinées aux unités de montage automobile s'est chiffrée à plus de 3,73 milliards de dollars, contre 2,2 milliards de dollars en 2017, en hausse annuelle de 1,53 milliard de dollars (+70%).
Les chaînes de montage ont produit 180 000 véhicules durant 2018, alors qu'avec les 3,73 milliards de dollars, le pays aurait pu importer 300 000 véhicules, tout en participant au budget de l'Etat à hauteur de 42 à 49%. Des statistiques qui témoignent des pertes colossales que fait subir la filière automobile à l'économie du pays. Le trafic du foncier au nom de "l'industrie automobile" est devenu, par ailleurs, un sport de haute voltige auquel s'adonnaient ministres, hauts cadres de l'Etat et walis. Le montage automobile, qui aurait pu être un tremplin à la naissance d'une industrie mécanique, vire désormais au scandale.
Dans sa partie automobile, l'affaire dite Tahkout n'est que la face visible de l'iceberg. Près de cinq ans après la naissance des premières unités de montage automobile, le besoin de revoir cette politique n'a jamais semblé aussi urgent, indépendamment des affaires traitées par le parquet. Quant aux mesures annoncées depuis peu par le gouvernement Bedoui, dont le retour à l'importation des véhicules de moins de trois années d'âge, celles-ci relèvent plutôt d'un pur populisme et d'un amateurisme presque parfait.

Ali Titouche


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