Algérie

Une fête de l'Achoura sans saveur en Kabylie



De notre envoyé spécial à Tizi-Ouzou, Mohammed KebciLors d'un long périple qui nous a mené dans une grande partie de la wilaya de Tizi-Ouzou, il nous a été donné de constater de près, l'étendue de la tragédie qui a touché la région à partir du 9 août courant.
Jeudi, c'était jour de l'Achoura, fête religieuse, qui n'a pas été célébrée avec la ferveur coutumière comme jadis en Kabylie. Et pour cause, la tragédie qui a frappé la quasi-totalité des localités de la wilaya de Tizi-Ouzou, plus que les autres wilayas du pays, à l'occasion des meurtriers feux de forêt d'il y a près d'une quinzaine de jours, qui ont ravagé tout sur leur passage, provoquant, même, dans leur sillage, un véritable drame humain, avec des dizaines de victimes dont une vingtaine d'enfants, calcinés, n'a pas été pour susciter une quelconque ferveur chez les habitants comme cela était le cas jusqu'ici.
Point de balades des enfants, parés, à l'occasion, de leurs plus beaux habits faisant le tour des ruelles des villages, frappant aux portes à la quête des fameuses crêpes, aux côtés de bien d'autres friandises dont raffolent les bambins. Pas la moindre trace des "timcerdin", ces cérémonies où des immolations collectives de b?ufs et autres mets sont pris collectivement dans la joie, la gaîté, la communion et pendant lesquelles les différences sociales se mettent de côté. C'est que, cette fois-ci, le c?ur n'y était pas du fait d'une dramatique conjoncture empreinte de larmes, de sang et d'un désastre écologique et économique. Un long périple qui nous a menés, jeudi, à travers nombre de localités touchées de plein fouet par les feux de forêt nous a permis de prendre la mesure de cette tragédie. Car, à Tizi-Ouzou, plus qu'ailleurs, à travers les autres wilayas du pays touchées par ces incendies meurtriers, il y a bel et bien un avant 9 août et un après 9 août, date du déclenchement simultané d'une multitude de feux de forêt jamais enregistrés jusqu'ici.
De Tigzirt, sur la côte kabyle, jusqu'aux Ouacifs, en Haute-Kabylie, en passant successivement par Aghribs, Fréha, Azazga, Mekla, Aïn-el-Hammam, Larbaâ-Nath-Irathen, Tassaft, Takhoukht, Ouadhias, Amechras, avant de prendre le chemin inverse pour passer par Agouni-Gueghrane et atterrir aux Ouacifs, le même décor de désolation s'offrait à l'?il nu aux usagers des routes qui longent ces localités, autrefois havres de paix et respirant la gaîté et la joie.
Aux décors jusqu'avant le 9 août, verdoyants et à perte de vue, se sont succédé d'autres, tristes, avec de la cendre blanchâtre devenue maîtresse des lieux, puisque écumant le moindre recoin ou presque, et une fumée bleuâtre du fait de certains troncs d'arbres qui se consument encore. Rares sont les espaces forestiers qui sont épargnés par la folie de ces feux, et quand ceux-ci existent, ils ne sont, fort malheureusement, pas inexploitables, les olives vertes qui commençaient à éclore au bout des branches des oliviers, dont les habitants de la région tirent la précieuse et renommée huile, sont grillées et précocement réduites en grignons.
Autant dire que la prochaine campagne oléicole, voire celles d'après, est d'ores et déjà plus que compromise. Autre arbre phare de la région, le figuier avec des figueraies entières réduites à néant, tout comme c'est le cas, notamment à Larbaâ-Nath-Irathen et Aïn-el-Hammam, du cerisier, des fêtes annuelles étant même dédiées à ces deux cultures emblématiques de la région. D'autres activités, toujours agricoles et dont nombre de familles tirent leur subsistance, ont été réduites à néant, comme l'élevage, qu'il soit ovin, bovin, ou autres filières avicoles et apicoles, lourdement affectées par ces incendies.
Le long de notre pèlerinage, presque pas de trace du moindre animal, ce qui résume le drame causé également à la faune et, par ricochet à l'équilibre écologique. Avec, notamment, des carcasses de sangliers et de lièvres aperçues par endroits. Seuls des singes étaient en balade du côté des monts Kouriet, entre les communes d'Agouni-Gueghrane et d'Aït-Toudert, sur le CW11, en quête de ce qui pourrait leur servir de pitance du jour.
Pas même également le moindre gazouillis d'oiseaux qui semblent avoir migré ailleurs, bien loin, leurs nids et autres endroits de prédilection ayant changé de décor. Et les carcasses de véhicules calcinés par les feux jonchent par bien d'endroits notre long parcours.
L'absence du soutien psychologique
À Larbaâ-Nath-Irathen, localité la plus touchée par ces incendies, avec le triste record en pertes humaines, la psychose est toujours de mise. Témoignage poignant d'un sapeur-pompier de l'unité de la Protection civile de cette région, hautement symbolique pour avoir enfanté Abane Ramdhane, l'un des architectes de la glorieuse révolution de Novembre 1954 ayant débouché sur le recouvrement par le pays de son indépendance nationale : «A la moindre fumée aperçue au lointain, les habitants d'Ikhlidjen, le village meurtri par ces feux de forêt pour avoir perdu une vingtaine de ses habitants, la plupart jeunes dont des enfants, appellent la Protection civile pour des interventions», soutient notre jeune interlocuteur qui relève l'état psychologique plus que fragile de ces gens qui n'arrivent pas encore à se remettre du drame qui les a frappés lourdement, surtout dans leur chaire. Et de mettre le doigt sur un aspect, fort malheureusement négligé à l'occasion de cette tragédie comme ce fut le cas à l'occasion de précédentes funestes circonstances, celui du soutien psychologique indispensable en pareille situation. Surtout à l'endroit des enfants, dont beaucoup de la région ont perdu leurs copains et camarades de classe. Ce qui augure une pénible rentrée scolaire pour ces bambins rescapés de cette tragédie qui n'auront plus à être ensemble, que ce soit en classe ou dans les cours de leurs établissements.
Une bien pénible et douloureuse séparation pour des enfants dont le traumatisme causé par cette apocalypse ne se dissipera pas de sitôt. Une apocalypse qu'ils croyaient, jusque-là, relever des simples séries vidéo qu'ils ne cessent de visionner sur leurs téléphones portables et autres tablettes.
M. K.


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