Algérie

Une femme debout



Une femme debout
Timidité ' Sentiment d'incompétence ' Désintérêt du public et des journalistes ' En dehors de quelques interviews, les ouvriers dans les médias n'existent pas comme personnes, on ne leur donne jamais longtemps la parole, le plus souvent, ce sont des représentants syndicaux qui interviennent en leur nom. Les ouvriers, eux, n'apparaissent qu'en groupe, massés lors d'une grève devant les portails fermés d'une usine. On peut donc se réjouir qu'une ouvrière de base, pleine d'ardeur et de courage, Ghislaine Tormos, ait brisé les tabous ? elle est femme, elle déclenche une grève et elle parle ! ? et on doit lui être reconnaissant d'avoir écrit, avec la participation de Francine Raymond, Le salaire de la vie, un livre courageux qui montre à quel point le patronat français méprise les ouvriers, les exploite et leur ment.Un livre très stimulant, que d'autres travailleurs, d'autres femmes, dans d'autres pays, ont intérêt à lire. En 2002, Ghislaine, 40 ans, veuve, trois enfants à charge, est engagée chez PSA, à Aulnay-sous-Bois, comme monitrice sur une ligne de montage. Plutôt sceptiques sur ses capacités et convaincus qu'elle ne restera pas longtemps sur la chaîne d'assemblage des carrosseries de la C2, les ouvriers de l'atelier de ferrage deviennent vite admiratifs : concentrée 420 minutes par jour sur les mêmes gestes, soulevant chaque jour 6 tonnes de pièces métalliques en alimentant des robots qui fabriquent la porte avant droite de la voiture, elle exécute sa tâche sans faiblir, obtient un CDI et, comme elle n'hésite pas à tenir tête à ses chefs lorsqu'ils lui font une remarque injustifiée, ses camarades la désignent comme déléguée syndicale.Persuadée qu'elle restera à Aulnay jusqu'à sa retraite, Ghislaine apprend, en juillet 2012, que l'usine fermera en 2014. Des bruits couraient, mais ni elle ni ses compagnons ne les prenaient au sérieux : à plusieurs reprises, les dirigeants avaient promis, quasiment juré, que l'usine ne fermerait pas. Or, la décision avait été prise en 2010 et, pendant deux ans, ils ont menti. Déjà, des hangars se vidaient de leurs machines ? une «restructuration du travail», disait-on aux ouvriers qui, confiants, laissaient faire. «Même les hangars laissés déserts? ne nous avaient pas mis la puce à l'oreille. Nous avions confiance dans notre patron» et dans un gouvernement de gauche qui, espéraient-ils, interviendrait : le président de la République n'avait-il pas jugé «inacceptables» les projets de la direction et promis que, s'il était élu, il «n'oublierait pas» les travailleurs de PSA ' Mais sitôt élu, il oublie. Et tous oublient : «Tous ces gens de pouvoir et d'argent, que savent-ils de nos vies ' De ces emprunts que les jeunes ouvriers ont contractés pour investir dans des maisons? qu'ils n'ont pas encore payées '... Que savent-ils, ces gens qui vivent sans le souci de régler leurs factures '... Ont-ils la moindre idée de notre angoisse d'abandonner ce que nous avons construit jour après jour '» Indifférence aux vies qu'ils saccagent.Mensonges et poudre aux yeux qui aveuglent beaucoup de travailleurs. Ghislaine Tormos montre à quel point la confiance qu'ils accordent aux hommes politiques les anesthésie, chez PSA comme ailleurs : ils réagissent souvent trop tard, quand l'usine ferme ses portes, alors qu'ils auraient pu perturber sa fermeture, obtenir peut-être un sursis, trouver un repreneur? Mais manipulés et angoissés à l'idée de se retrouver sans travail, ils s'accrochent aux propos rassurants de leur direction. Seule une minorité est lucide et appelle à une grève générale.Pendant quelques semaines, Ghislaine et ses camarades les plus déterminés parcourent les ateliers, expliquent aux ouvriers les raisons de leur combat, leur démontrent que plus nombreux ils feront grève, plus la direction sera contrainte de compter avec leur résistance et de modifier ses «plans de restructuration». Peine perdue : dans bien des ateliers, les ouvriers écoutent tête baissée, et en silence, les appels des grévistes. «Leur passivité me rend malade, dit Ghislaine? Toute leur vie, ils ont subi et aujourd'hui ils continuent, malgré la fermeture et les humiliations. Que leur faudrait-il pour les faire réagir ' J'aimerais tant qu'ils apprennent à dire non !... Si toutes ces femmes et tous ces hommes arrêtaient d'avoir peur et disaient tous ensemble ce qu'ils ont sur le c?ur, ils n'auraient plus besoin de trembler : ils seraient invincibles.»A Aulnay-sous-Bois, ils ont été vaincus : sur 2780 salariés, seuls 200 ont fait grève. L'une des plus grandes entreprises de la région parisienne a pu déménager tranquillement ses machines, fermer le site et mettre la clé sous le paillasson. Dans l'indifférence générale des pouvoirs publics, de l'opinion et des travailleurs qui, dans bien d'autres entreprises, perdront demain leur emploi. Le livre de Ghislaine Thormos est important dans la mesure où il peut contribuer à une prise de conscience. Le libéralisme de plus en plus sauvage qui sévit dans les pays d'Europe ne condamne pas seulement au chômage des milliers de travailleurs, il les atteint dans leurs capacités de résistance, leur courage, leur intelligence. Détruire physiquement, anesthésier mentalement des hommes et des femmes qu'il presse comme des citrons et jette comme des kleenex est le plus grand crime du libéralisme.




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