Algérie

une fausse solution à un problème mal posé éradication des marchés informels



une fausse solution à un problème mal posé éradication des marchés informels
Photo : S. Zoheir
Par Karima Mokrani
Jamais l'opération d'éradication des marchés informels ne réussira, à Alger ou ailleurs dans les autres wilayas du pays, du moins dans l'immédiat, tant que le problème du chômage n'est pas résolu à la source. C'est un avis partagé par tous: travailleurs et chômeurs, employeurs et employés, jeunes et adultes'et autres.
Chômage, inflation, érosion du pouvoir d'achat'conditions de vie des plus contraignantes que les bourses moyennes -que dira-t-on alors des petites '- supportent mal, devant l'indifférence manifeste des autorités censées remédier aux lacunes avérées dans la politique salariale en Algérie. Les pouvoirs publics persistent dans leurs solutions de replâtrage, répondant aux plaintes citoyennes et aux actions protestataires par des promesses sans lendemain. Des promesses trompeuses trempées d'arrogance et de mépris. Ce qui rajoute encore à la colère de ceux qui revendiquent une amélioration réelle de leurs conditions de vie.
Les derniers chiffres donnent un nombre de 110 commerces informels éradiqués à Alger. D'autres ont été ou sont en cours d'éradication dans les autres wilayas du pays. Pour le moment, et contrairement à ce qui s'est produit aux premières tentatives de suppression de ces commerces, les jeunes marchands -il s'agit, en effet, de jeunes pour la plupart des cas- ne manifestent pas une grande résistance. Ce n'est pas parce que la force publique est plus présente et plus dissuasive et, encore moins, répressive ni d'ailleurs parce ce que ces mêmes jeunes adhèrent à l'idée que c'est de l'intérêt de tous de récupérer ces espaces et faire régner l'ordre. Non, cela leur importe peu et s'il n'y a pas -cela ne veut pas dire qu'il n'y en n'aura pas- une résistance farouche de leur part, pouvant aller jusqu'à l'émeute, et cela est déjà arrivé plusieurs fois, poussant les autorités à renoncer à leur action, c'est tout simplement parce que ces jeunes ne croient pas à l'aboutissement de ce «projet tellement ambitieux des pouvoirs publics», une phrase lancée ironiquement par un vendeur à la sauvette dans un quartier d'Alger.
«Au lieu de s'attaquer aux vrais problèmes, ceux qui sont à l'origine de tous les maux de la société, ils viennent s'attaquer à nous. Pourquoi ne vont-ils pas au port' Pourquoi ne s'attaquent-ils pas à ces importateurs et ces grossistes qui inondent le marché de tout et empêchent la relance de la production nationale'», «S'il n'y avait pas ces importateurs, nous ne serions pas ici pour écouler leurs produits. Pourquoi ne font-ils pas leur travail au niveau des douanes' N'est ce pas avec la complicité des agents des douanes que le commerce informel n'arrête pas de prospérer'», «Les gros bonnets ne sont jamais inquiétés parce qu'ils ont l'argent et le pouvoir, le soutien de ceux là mêmes qui prétendent lutter contre l'informel et ils viennent jouer avec nous. Oui, je vous dis qu'ils sont en train de jouer mais jouer avec le feu. Pour le moment nous sommes calmes. Ils nous chassent, nous faisons semblant de plier nos bagages et nous revenons par la suite. C'est répétitif. Si ça continue, on aura à riposter autrement. Ce pays appartient à tous les Algériens et pas seulement à un petit groupe de personnes qui accaparent toutes ses richesses», «Ils n'ont pas intérêt à s'amuser avec nous, nous sommes plus motivés et déterminés qu'eux. Qu'ils nous laissent tranquilles sinon ça va être la pagaille», «A eux de payer les conséquences de leur mauvaise gestion, pour ne pas dire autre chose. Le petit peuple a assez donné, a assez sacrifié», telles sont les réactions de certains de ces commerçants «illégaux»
rencontrés à Bab El Oued. Dans ce grand quartier populaire de la capitale, connu pour ses nombreuses actions protestataires, le marché informel est toujours là et il prend de plus en plus d'espace.
«S'ils suppriment ce marché, où irons-nous nous alimenter en produits nécessaires' Avez-vous une idée sur les prix affichés ailleurs' C'est le feu, c'est vraiment trop cher. Qu'ils laissent nos enfants tranquilles! Moi, ce marché ne me dérange pas. Ce qui me dérange ce sont les disparités sociales. C'est ce mal qu'endure notre jeunesse. Ni emploi ni logement ni autres perspectives», affirme une vieille dame, la soixantaine. Et une autre de poursuivre: «Nos jeunes ont toutes les raisons du monde de se mettre en boule. Je les comprends. Et au lieu de les aider à trouver leur chemin, on leur met davantage de bâtons dans les roues.
C'est injuste.» Ce qui est encore «malsain» dans cette histoire, estiment de nombreuses personnes, au fait de la réalité économique en Algérie (et aussi de simples citoyens), c'est que la «prédation» a gagné du terrain dans tout le pays et a touché à beaucoup de secteurs (pour ne pas dire la totalité) et à toutes les couches différentes de la société.
Les marchés «illégaux» de Bab El Oued, de la Place des Martyrs et autres, à travers le pays, ne sont que la partie visible de l'iceberg. C'est le dernier maillon de la chaîne et c'est d'ailleurs le maillon le plus faible. La corruption, l'exploitation du salarié, l'arnaque du citoyen et autres actions visant à le rabaisser et à lui faire endurer les pires des «humiliations» sont devenues monnaie courante. Et comme par hasard, ce sont ces mêmes parties qui prétendent lutter vigoureusement contre ces phénomènes qui les nourrissent davantage et les revigorent. Pour y échapper, beaucoup versent dans l'informel. Un cercle vicieux. Pas forcément en étalant des produits à vendre sur la place publique mais en exerçant une activité parallèle à leur activité officielle, celle là déclarée par l'employeur et pour laquelle il cotise à la Cnas et paie l'IRG. Un deuxième travail, une troisième, chaque fois que l'occasion est donnée de gagner plus d'argent pour faire face aux dépenses du mois. Cela aussi c'est de l'informel, mais les pouvoirs publics l'autorisent et l'encouragent même. L'employeur aussi pour ne pas se voir dans l'obligation d'augmenter les salaires. C'est du gagnant-gagnant pour couvrir «honteusement» les défaillances du système à tous les niveaux, ainsi que l'absence de scrupules chez des employeurs qui ne cherchent que leurs propres intérêts. Cela en n'ignorant les conséquences néfastes sur la qualité du travail et la santé physique et mentale du travailleur.
«On ne pourra jamais s'en sortir avec un seul boulot. Tout est cher, on n'arrive pas à faire face. Et même quand il y a des augmentations de salaires, somme toutes dérisoires, une hausse des prix des produits de large consommation s'ensuit immédiatement. C'est du pareil au même», affirme un homme, 35 ans, père de deux enfants. «Bien sûr que ça se répercute sur la qualité du travail, nous ne sommes pas des machines. Est-ce toutefois notre faute ' Pas du tout. Qu'ils fassent le nécessaire pour que ce que nous puissions nourrir et habiller nos enfants comme il se doit sans nous épuiser nous mêmes! Qu'ils mettent fin à la frénésie des prix! A la concurrence déloyale! Moi, j'ai envie de me reposer. J'ai besoin de retrouver ma santé. Soyez sûr que ça ne me plaît pas de me disperser comme ça. Des gens sont gracieusement payés pour ne rien faire et d'autres s'épuisent dans plusieurs boulots pour des miettes'Tout cela parce que le mot justice sociale n'est qu'un concept dans les discours officiels. Rien à voir avec la réalité», s'insurge le même homme, employé dans un secteur pourtant névralgique, c'est celui de la santé.
D'autres se reconvertissent dans d'autres métiers, comme l'installation des antennes paraboliques, la réparation des démos, le téléchargement de films, de chansons et de documentaires sur des CD à vendre, également de manière illégale, et autres. D'autres, bon gré mal gré, et de manière indirecte, imposent des pourboires à leurs clients. Combien de policiers faudra-t-il mettre derrière tous ces hommes et toutes ces femmes qui contournent ainsi la loi '


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