Algérie

«Une énorme boule de feu, la terre tremble !»



«Une énorme boule de feu, la terre tremble !»
Le 13 février 1960, «Gerboise bleue», une bombe atomique de 70 kilotonnes explose dans le ciel saharien algérien à 7 h du matin. «Au-delà de la falaise, le ciel s’est déchiré, une énorme boule de feu s’est élevée, un fantastique soleil venait de se créer, un nuage s’est élargi en deux chapeaux de champignon, la terre a tremblé… un épais nuage de sable nous a pris à la gorge», témoigne un soldat des transmissions qui vient d’assister au test nucléaire. Le sonore est restitué par Larbi Benchiha dans L’Algérie, de Gaulle et la bombe, un documentaire de 52 minutes, produit en 2010, et  projeté mardi soir à la Cinémathèque d’Alger, à l’ouverture du 1er Festival international du cinéma d’Alger consacré aux films engagés. «Ce jour-là, nous avons fait la fête parce que nous étions encore vivants !», se rappelle encore El Hadj Mebarek. Le réalisateur est revenu à Reggane, à 1200 km d’Alger, où les stratèges militaires français avaient installé la première base atomique de l’histoire de la France, le fameux Centre saharien d’expérimentation militaire (CSEM).
«Le projet si cher au général de Gaulle va se concrétiser à Hamoudia, à 40 km de là. La France est désormais la quatrième puissance nucléaire !», souligne le commentateur. En octobre 1958, le général Charles de Gaulle explique dans une conférence de presse ses choix stratégiques. Ceux-ci devaient éviter à la France «une infériorité» par rapport aux Anglo-Saxons et au bloc soviétique. La dissuasion nucléaire devait garantir l’indépendance de la France.   Pour cela, il fallait choisir un endroit où effectuer les premiers essais. Dans le documentaire, Rédha Malek, un des négociateurs algériens à Evian, rappelle que les Américains avaient permis aux Britanniques d’effectuer les essais atomiques sur leurs terres, alors que les Soviétiques avaient réalisé les leurs au Kazakhstan. Jules Moch, représentant de la France à l’ONU, justifie le choix du Sud algérien : «Les populations des pays voisins du Sahara, Tunisie, Libye et Maroc seront moins exposées au danger que celles de Californie. Le Sahara se prête mieux que tout autre région à cette expérimentation parce que le site choisi est désert et plus proche que les atolls des antipodes de la France.» Un ancien officier de l’ALN souligne que les militaires français avaient oublié que le désert n’était pas un endroit figé.  C’est quelque chose de vivant. «Il y a une faune, une flore et des habitants», dit-il. Le 11e Régiment du génie saharien (RGS) est créé pour construire les installations atomiques.«On ne savait pas où l’on allait», raconte un ancien soldat. Le pourrissement de la situation politique et militaire du conflit en Algérie presse le général de Gaulle à trouver «une solution honorable». D’où les négociations d’Evian. «Pour avoir une politique mondiale, il fallait se débarrasser du fardeau algérien, il n’y avait pas d’autres interlocuteurs pour aboutir à une solution que le FLN», souligne l’historien Mohamed Harbi. Cependant, de Gaulle ne voulait pas que le Sahara fasse partie du futur Etat algérien. La deuxième explosion, le 25 avril 1961, baptisée «Gerboise verte», a été ordonnée par le président français pour éviter que la bombe atomique ne tombât entre les mains des généraux putschistes d’Alger. Les généraux Challe, Jouhoud, Salan et Zeller s’étaient élevés contre la politique de de Gaulle favorable à l’abandon de «l’Algérie française». Rédha Malek reconnaît dans le documentaire qu’une concession de taille avait été faite à la France par les négociateurs d’Evian : «Nous leur avons dit vous avez encore cinq ans, terminez les explosions que vous avez à faire et partez. Les Français voulaient un délai de dix ans.» Dit avec une telle légèreté, cela provoque fatalement de nombreuses interrogations, surtout qu’entre 1962 et 1966, douze tests nucléaires ont été menés dans le Sud algérien (In Ecker) après le cessez-le-feu du 19 mars. La capacité totale de ces explosions souterraines était de 305 kilotonnes, soit presque 20 fois la puissance d’Hiroshima ! De graves fuites aériennes ont suivi l’explosion des bombes au plutonium Béryl (mai 1962), Améthyste (mars 1963), Rubis (octobre 1963) et Jade (mai 1965). Pourquoi les autorités de l’époque, Ahmed Ben Bella puis Houari Boumediène n’ont-ils rien dit ' Pour Larbi Benchiha, les Algériens n’avaient pas «le choix» en acceptant la poursuite des essais après l’indépendance. «Les Français avaient d’énormes investissements dans les installations nucléaires. Il fallait qu’ils terminent leur programme», tente-t-il d’expliquer. Des intervenants dans le documentaire ont précisé que le nettoyage des lieux a été superficiel. «On a procédé à des essais nucléaires au Sahara sans aucune protection des populations. Et, on est repartis comme des sauvages, en laissant des sites contaminés. Aujourd’hui encore, ces sites sont pollués par le plutonium. Les analyses des prélèvements faits sur place ont révélé que cette région est  polluée pour 240 000 ans ! Si l’on ne fait rien, les générations futures vont encore souffrir  de cela», prévient le réalisateur dans le débat qui a suivi la projection. Le documentaire n’a malheureusement pas montré les effets sur la santé des populations du Sud (cancers, malformations congénitales, cécité...).   «Pour constater les effets, il faut un travail de longue haleine des médecins et des spécialistes. Il faut qu’il y ait des enquêtes et des statistiques», soutient le documentariste qui a déjà réalisé Vent de sable, sur les essais atomiques du Sahara. «Nous sommes mobilisés contre cette énergie nucléaire destructrice, nous en savons quelque chose !  L’engagement à travers ce festival est la lutte contre la dissémination des armes nucléaires et pour la protection de l’environnement», a estimé Ahmed Bedjaoui, président d’honneur du Festival  international du cinéma d’Alger, lors du débat. Ahmed Bedjaoui a rappelé l’intérêt de Larbi Benchiha pour le septième art algérien à travers la réalisation, notamment, de  L’Algérie, son cinéma et moi et d’un documentaire sur le cinéaste Mohamed Chouikh.

 


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