Algérie

Une écriture et un langage expressif


Il s'agit d'un recueil de poésies chantées et composées par des auteurs populaires en langage usuel pour ne pas dire en arabe parlé et édités par Mohamed Ben Cheneb.Il parait tout à fait normal que le professeur Bencheneb se soit penché sérieusement sur le devenir de ces poèmes bien composés par des amateurs qui voulaient exercer la critique en ciblant des catégories de gens qu'ils jugeaient exacerbantes. La transmission de ces poèmes se faisait sans doute de bouche à oreilles et devaient intéresser le public pour leur contenu et leurs allusions. Pour qui ne connait pas Mohamed Bencheneb, c'est un grand homme de la culture algérienne, professeur d'arabe mais qui a beaucoup écrit en langue française. Il a enseigné à l'ancienne médersa de la rue qui porte son nom jusqu'à aujourd'hui, après y avoir été un brillant élève. Il est l'auteur d'un livre unique de mille pages de proverbes et maximes maghrébins bilingues : arabe-français et des fois avec une traduction en turc.
Une poésie à vocation traditionnelle
C'est de la poésie improvisée et produite au fil des jours. On est loin d'une production artistique composée pour se démarquer des autres par le verbe et le style. Il s'agit de compositeurs ordinaires qui se sont essayés à la versification parce qu'ils sont nés pour le genre dit esthétique. Normalement la vraie poésie classique, moderne ou libre se travaille sur le plan de la forme et du contenu. Là, on a affaire a une production d'amateurs qui s'inscrit dans la logique de la quotidienneté sur la base d'une observation attentive de la société composée de masses populaires bigarrées dont la diversité est infinie. Les artistes de la versification s'inspirent surtout des écarts de comportement pour composer des textes à caractère critique et ils ont fort à faire pour traduire l'actualité.
C'est la critique des hommes qui s'exerce contre des femmes trompeuses alors que celles-ci cherchent à se donner raison. Là, c'est des hommes prétentieux qui se croient au dessus de tout soupçon pour apporter des jugements sur d'autres mais les auteurs de satires les tournent en dérision. Il n'y a rien de plus naturel, mais ils apportent de l'eau au moulin des méchants. Et pour peu que cela tombe sous le regard des poètes satiriques, ils s'en inspirent pour de nouvelles productions critiques. Les auteurs satiriques restent à l'affut de nouveaux faits sociaux critiquables et susceptibles d'apporter des éléments d'inspiration et d'enrichir le répertoire populaire d'Alger d'antan.
Les textes étant composés pour être chantés, on leur donnait un ton acerbe pour toucher au plus haut point les personnes ciblées. Ainsi un chanteur persifleur a composé un long texte que pour se moquer en raillant un riche propriétaire qui n'arrêtait pas de se vanter d'avoir tout pour vivre dans l'aisance : «Il disait : ma villa possède un parc clos, des norias, des cyprins corallins, des haies d'acacias et de mimosas, des plates-bandes de jacinthes musquées, des roses et des ?illets. Un rossignol a dit : «malheur à moi ! O monde, si tu étais éternel, je vivrais la vie éternelle dans ce jardin». Nous sommes entrés chez lui pour passer un moment, nous nous sommes abrités contre la chaleur sous le caroubier. Les guêpes faillirent nous larder. Le propriétaire vaniteux ne possède ni abeille, ni oisillon et comme volaille, il a un poulet et une poulette noire. Pour accentuer la dérision, on lui ajoute : pardonne-nous ; nous avons seulement plaisanté et ri.
Une thématique du quotidien
Comme toute poésie et chanson populaires s'inspirant de l'actualité au fil des jours, elles sont d'un contenu qui correspond à celui des chroniques. Les artistes poètes et chanteurs s'évertuent à reconstituer la vie sociale au quotidien, mais donnée à voir à travers le prisme déformant du poète chanteur satirique qui use beaucoup de la dérision, de l'ironie et du persiflage, procédés littéraire qui donnent le goût de lire, créent et développent l'esprit critique et assurent le succès des auteurs. L'inverse consistant à faire l'éloge, ou décrire fidèlement la réalité, ne serait d'aucun intérêt pour les lecteurs. «Mon fils n'est pas obéissant» est le titre d'un poème qui fait allusion à une jeunesse d'un temps exagérément passionné de football. Il vit pour ce sport collectif, s'habille tout le temps en sportif, c'est sa raison et son sujet obsédant de discussion. Pourtant nous sommes au début du 20ème siècle.
Cet enfant blâmable n'est pas un cas isolé, il y a toute une catégorie de jeunes des villes du début du siècle passé qui admirent les compétitions et qui rêvent de devenir sportifs. Les jeunes des campagnes n'étaient pas concernés par les sports, leur tenue vestimentaire les mettaient loin de toute idée de toute pratique sportive. Jadis on devait songer le plutôt possible à un métier pour gagner son pain au lieu de s'intéresser au sport et aux yeux du père ce fils est un marginal. «Mes flacons» est un autre texte poétique, composé de plusieurs strophes, qui fait la peinture des caractères de quelques personnages atypiques. Il s'agit d'un individu qui veut se consacrer à une ?uvre religieuse : faire une quête pour les futurs candidats au pèlerinage. Les vers sont dans un langage courant, celui que tout le monde parle. En voici un petit extrait : «A chaque porte de magasin, il s'arrête, plein de politesse.
Les gens ont honte, tirent de l'argent et le lui donnent. Le chef des khwans les bénit alors et, il leur garantit le paradis.» Ce dernier devient objet d'une satire virulente et ce, d'autant plus que cette satire est chantée. Un autre chant satirique vise directement des individus infréquentables appartenant à une classe sociale, celle qui du matin au soir passe son temps à dénigrer les autres pour le plaisir de les dénigrer. Cet extrait vous donnera un petit aperçu de l'état d'esprit de ces gens malintentionnés : «aujourd'hui des gens se sont gâtés, ils sont presque en putréfaction. Ils passent le jour à me guetter et à te guetter. Nonchalamment accoudés et suçant le narguilé, ils ne font qu'imaginer la ruse. L'homme marche en se tenant sur ses gardes. L'ignorance s'est précipitée sur nous.»
Ce passage est un indicateur de la mentalité d'une société perdue dans ses critiques, ses commentaires méchants qui visent tous ceux qui ne font pas partie de leur catégorie. On est au début du 20ème siècle et la société n'a pas évolué depuis. Mais il faut croire au naturel qui caractérise les masses populaires. Il n' y a rien d'anormal dans les comportements d'aujourd'hui d'il y a un siècle. Et l'état de la société est un phénomène général partout, lorsque l'oisiveté persiste, les gent n'ont rien à faire que de critiquer. Ils sont beaucoup plus à plaindre qu'à blâmer. Quant aux auteurs de textes satiriques, ils chantent dans un langage de tous les jours, simple. Il n'y a rien d'original, cela correspond aux textes des chanteurs populaires d'aujourd'hui. Rien à voir avec certains chanteurs qu'on pourrait appeler classiques, qui travaillent le vocabulaire, les sonorités ainsi que la rime.
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