Algérie

Une douleur qui voyage sans arrêt



Oran
De notre envoyé spécial

C’est peut être une image réduite d’un monde arabe livré aux tourments des lendemains incertains et des crises cycliques. Il y a d’abord cette découverte du cinéaste libyen, Salah Ghuwedr. Moucharaka (Partage) est un film qui n’a pas de terre ni de pays. Mais l’histoire est profondément humaine. Cela commence par une scène de vent faisant bouger les volets d’une maison. Là où vit une famille pauvre. La mère, Zahra Sebbah, couvre de henné les pieds de sa fille. Celle-ci dort aux côtés de son frère. Les enfants se partagent les mêmes chaussures rouges. Ils se relayent pour aller à l’école. Le maître de classe use de la falaqa pour punir le garçon qui a tardé parce qu’il n’a pas échangé à temps les chaussures avec sa sœur. On entend les cris de l’enfant sans voir la scène de la punition (le père Fouettard ne quitte pas les consciences !). La répression est souvent couverte par les silences et la résignation. Des rangers sur un rocher et des bruits d’une bataille suffisent à Salah Gouider pour souligner les affres de la guerre. Du sang coule. Et les deux enfants perdent chacun un pied. Et le problème est réglé, chacun aura une chaussure. Il aura fallu donc un ennemi extérieur pour mettre fin à une souffrance interne, intime. Le père ne pleurera pas. Il se contentera de mettre sous terre les deux pieds amputés. Moucharaka est un film qui tend à souligner que la guerre, autant que la pauvreté, est horrible. «La présence des scorpions dans le film symbolise les menaces. Des menaces qui peuvent venir de la nature aussi», a précisé le cinéaste lors du débat qui a suivi la projection. La guerre, ou ses effets, sont également présents dans le film sombre de la Saoudienne, Ahd Kamel, El Katrandji (Le cordonnier). Saber (Omar Ouaked) revient retrouver sa famille après une longue période de détention en Irak. Mahmoud, son jeune fils, veut devenir cordonnier comme son père. L’épouse (Ahd Kamel) n’arrive pas à retrouver la chaleur amoureuse auprès de son mari. Saber dépoussière son atelier, mais on lui fait comprendre que ses modèles de chaussures sont passés de mode. On lui rappelle au café que les joueurs ont depuis longtemps changé de club de foot. Insomniaque, sans doute en raison de la torture qu’il a subie, il ne retrouve le repos qu’en mettant un sachet sur la tête. Le clin d’œil au scandale d’Abou Ghraïb est évident. Les soldats américains auteurs de ces tortures dévoilées au monde entier, n’ont pas rendu compte de leurs actes de la manière qu’il faut devant une justice d’un pays…civilisé. Ahd Kamal, qui a étudié à la New York film Academy, a su montrer comment la détention et la maltraitance peuvent détruire sournoisement la vie d’un homme qui, tout compte fait, n’est coupable de rien. Le cordonnier a déjà décroché des prix à Beyrouth et Dubaï. Aux Emirats justement, le jeune cinéaste, Ali Al Jabari a, à travers Solo, voulu montrer à quel point la solitude d’un artiste peut devenir douloureuse et pesante. Un jeune saxophoniste peine à trouver un endroit où exercer son talent, s’exprimer librement. Il frappe à toutes les portes. Sans aucune réussite. Il erre même dans la rue et rencontre un inconnu dans un café. Mais, celui-ci finira pas se moquer de lui après avoir donné l’impression d’avoir compris sa peine. Il cherche la route d’Abu Dhabi. La scène finale est toute en poésie : le musicien joue du saxophone pour des camionneurs qui se réchauffent et qui prennent un thé. Dans le monde arabe, peut être plus qu’ailleurs, les artistes sont les êtres les plus vénérables, les moins compris. Ils doivent -pour certains- entrer dans le cadre pour être visibles, «corrects»!  La solitude, est également évoquée, mais sous d’autres formes, dans le court métrage du Tunisien Amine Chiboub, Obsession. Hédi (Mohamed Ali Nahdi), télévendeur dans une entreprise privée, découvre dans un appartement où il vient de s’installer, et derrière un tableau symbolisant le péché originel, un curieux bouton rouge. Faut-il le pousser ' Il hésite. Il fantasme et rêve. Il a peur également. Que va-t-il arriver ' Une explosion atomique ' Une pluie d’argent ' L’arrivée de belles femmes ' Hédi ne le sait pas. Il s’enferme…L’idée n’est pas nouvelle, mais le jeune Amine Chihoub, qui a déjà réalisé Contretemps, tente d’explorer les tourments de l’homme contemporain. Un homme si fragile qu’un bouton rouge (ou noir ') peut l’anéantir. L’insoutenable légèreté de l’être…
 


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)