Algérie

Une date, un événement et des hommes



La nuit de la Toussaint, comme la qualifient historiens et hommes politiques, fut bien plus celle du destin de tout un peuple. Devant la stérilité de la lutte pour les droits dans le cadre pacifique, la nouvelle garde des nationalistes algériens allait renverser la table des discussions et renvoyer dos à dos la grosse colonisation et leur tutelle, Paris. Le recours à la lutte armée contre l'envahisseur s'est imposé comme l'unique moyen de mettre fin à plus d'un siècle de domination coloniale.La proclamation du 1er Novembre 1954 se voulait, ainsi, une réponse aux louvoiements de l'administration coloniale qui, à aucun moment, n'a pensé qu'un soulèvement populaire de fond était possible. Et pour cause la plèbe, ces damnés de la terre étaient juste bons pour obéir à leurs maîtres, les colons.
La proclamation du 1er Novembre s'inscrivait dans la logique de la reconquête de la dignité bafouée. C'était un des buts du déclenchement de révolution armée dans le cadre de la restauration de l'Etat algérien et sa construction selon les normes du monde moderne. N'en déplaise au jeune Président français, l'Etat souverain algérien allait être ressuscité et effacer par là même l'infamie. Le texte fondateur l'énonce clairement : «La restauration de l'Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques.» C'est un moment historique d'union de toutes les forces patriotiques.
Il faut juste rappeler que c'est un journaliste qui a rédigé le texte mis en forme par feu Mohamed Boudiaf. C'était dans la soirée du 27 au 28 octobre 1954 que fut tirée, à des milliers d'exemplaires, à Ighil-Imoula (Kabylie), la proclamation du 1er Novembre 1954.
À noter que l'opération était complètement prise en charge par le comité des militants de ce village à leur tête Ali Zamoum. La révolution n'avait pas pour but de chasser les colonisateurs en vue de les remplacer. Non, la lutte contre les injustices faites au peuple algérien durant la longue nuit coloniale surclassait toutes les autres. La polémique franco-française autour de la notion guerre d'Algérie ne résistera pas aux engagements affirmés pour une révolution, la lutte armée étant un moyen. C'est tout l'ordre colonial qu'il fallait mettre à bas, dans son essence, son éthique, voire son inhumanité comme le privent le déni de l'identité, les dépossessions incessantes au profit de colonies de peuplement. Néanmoins, cinquante-neuf ans après l'indépendance, la France coloniale ne semble pas vouloir solder le passé.
La nuit coloniale dans les esprits n'est pas encore totalement dissipée, à en juger par les attitudes et les déclarations scandaleuses des officiels français d'aujourd'hui. La dernière en date, le 30 septembre, est celle de l'actuel Président lequel, coup sur coup, a nié l'existence de l'Etat algérien et l'exploitation de, notion nouvelle, la «rente mémorielle». C'était aller trop loin, hors des règles de la bienséance dans les relations politiques et diplomatiques. L'onde de choc provoquée par ce qui s'apparente à une attitude de mépris à l'endroit d'un Etat souverain est profonde. Dans toutes les couches de la population, la sortie d'Emmanuel Macron rappelle les ancêtres de la coloniale qui ne concevaient pas que le peuple de gueux pouvait un jour s'insurger contre un ordre semblable à l'apartheid en Afrique du Sud. La riposte algérienne ne pouvait être qu'à la hauteur de ce nouveau parjure de l'Histoire. Dans ce contexte créé, parler seulement de crise, c'est de l'euphémisme.
En effet, nous ne sommes plus dans le monde des années 50-60. Si les indépendances ont concédé emblème national, frontières et équipes dirigeantes autochtones, elles ont donné naissance à une nouvelle configuration qui ne résistera pas au temps. Des événements majeurs vont donner le signal à un nouveau chambardement. Les plaies ouvertes en Libye et dans toute la région sahélo-saharienne signent le glas d'un mode de gestion néocoloniale entretenu par l'ancienne puissance. Plus le temps passe, plus la déchéance d'un ordre injuste et désuet devient flagrante.
Les dirigeants panafricanistes neutralisés, et cela va parfois jusqu'à l'assassinat, des hommes de main sous l'habillage de l'authenticité spécifique à chaque pays sont mis à la tête des Etats. La formule aura duré plus d'un quart de siècle. Aujourd'hui, la jeune garde africaine, instruite dans les universités ou des écoles militaires, entend libérer le pays de la tutelle étrangère. On ne soupire plus du fait du poids de la nouvelle domination des parrains, héritiers des premiers envahisseurs, colons avides de terres et de richesses. Parler d'un sentiment anti-français ne recoupe pas les données du problème des ex-colonies.
Si au Mali les populations manifestent leur exaspération de la présence des troupes militaires françaises, c'est en réaction aux fausses promesses et à la détérioration continue de leur condition de vie. Le bras de fer ne fait que commencer. Les pays qui se révoltent aujourd'hui ont sur eux d'assurer la cohérence de leurs revendications, et d'abord s'assurer de la solidité du front intérieur. Ne pas sous-estimer la formidable capacité des puissances tutélaires à s'adapter, à rebondir. Faire table rase du passé et se projeter dans de nouvelles perspectives valorisantes et d'émancipation constituent les défis majeurs.
Brahim Taouchichet


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)