Fêter à faire peur
Cette année aussi, à l’occasion du Mawlid Ennabaoui, ça tonnait de partout. Ce n’étaient que des pétards. Mais les déflagrations, de faible puissance chacune certes, n’étaient pas sans rappeler, du fait de leur nombre et de leur répétition, d’autres détonations plus graves, criminelles: celles des années noires du terrorisme.
Qu’on se l’avoue ou non, qu’on en soit conscient ou non, derrière ce jeu-là s’exprime, entre autres, une perversion violente, macabre. Il y a comme une reconduction de quelque chose de malsain pas encore épuisée par le malheur réel; et au lieu d’une joie qu’on devrait partager avec l’autre, c’est une pulsion à lui faire peur encore qui s’exprime. Le prétexte est toujours le religieux, ce religieux à quoi l’on voudrait encore faire dire tout et n’importe quoi.La fête se caractérise par un certain abandon à la joie, à la célébration, et ce par l’artifice, l’apparat, la profusion quand c’est possible. Mais cela n’exclut jamais, même quand la fête rejoint le rituel, certains codes qui, eux, organisent, bornent la conduite de celui qui fête. L’exagération n’atteint jamais la déraison, le sacrifice jamais le crime, et l’éclat des passions jamais la destruction depuis que l’humanité est entrée dans l’ère du respect de la vie. Mais quoiqu’il en soit de l’évolution de la fête, elle reste un moment de contre-pouvoir. Par-delà ce qui la motive et la justifie, elle ne sera alors que par l’épanchement, le débordement et, peut-être, au fond de l’individu, une déstructuration, une négation et, tout au bout, une clarté. Pour qu’une société puisse prétendre à fêter clairement, d’une manière un tant soit peu évidente, un événement qui appartient à son histoire ou à sa culture, comme la naissance du prophète de la religion qu’elle pratique, il lui faut avoir d’abord constitué, au fil du temps qui la sépare de cet événement, un ensemble de signes de célébration par lequel elle va se donner la conscience, le sentiment de fête, puis, si la croyance en est profonde, une spiritualité qui élève en son sein l’individu durant l’instant de fête et amplifie chez ce dernier le sentiment de convocation, de rencontre avec le moment historique en question. Or, ce 20 mars, cela n’a pas semblé être le cas de notre société dont certains voulaient nous faire croire qu’ils fêtaient un événement religieux: la naissance du Prophète Mohamed. En tout cas, qu’elle soit, en réalité, dépositaire de signes élevés de célébration ou non, rien de cela ne fut manifesté; laissant ainsi place aux détonations agressives et anarchiques de pétards comme des onomatopées illisibles pour la raison et blessants pour la mémoire.
La majeure partie du peuple algérien, notamment les enfants, n’ont qu’une vague idée de la correspondance entre cette date et les symboles qu’on lui rattache. Pourtant nul n’aurait contesté qu’on insistât à raconter ici ou là les conditions de naissance du Prophète, les signes qui l’ont entourée, ou encore à dire, sous forme de conte, la geste hilalienne, ou encore, tout simplement, à offrir aux enfants des cadeaux ce jour-là, ce qui leur ferait aimer cette date...Et je ne sais quoi d’autre de sain et d’éducatif. Et si on devait manifester par les détonations et les feux d’artifice, nul n’aurait trouvé à en redire si cela était confié aux seuls établissements publics ou hôtels qui auraient pris toutes les précautions nécessaires.
Dans certaines mosquées, dit-on, l’accent a été mis sur le fait que la célébration de cette date par les réjouissances et l’éclat soit «bidaâ» et qu’il suffit aux musulmans d’évoquer leur Prophète cinq fois par jour au moins du fait de leurs cinq prières quotidiennes.
La place a été ainsi laissée vide, vide pour n’importe quelle signification et n’importe quel moyen de la manifester, à ceux qui voulaient ou prétendaient vouloir fêter le jour du Mawlid. Ainsi, l’occasion offrant le prétexte, d’aucuns cherchant un défoulement à peu de frais et justifiable aux yeux des autres, distillera à coups de pétards la violence jouissive qui l’habite.
Faire éclater un pétard c’est en effet à la fois jouir d’un plaisir de jeu, de la sensation de faire peur et de celle de manipuler un danger et perforer l’hymen du silence. En ça, il n’y a aucune conscience du religieux; et ceux qui le font ou le font faire n’en diront pas autrement. Ceux qui commercialisent les pétards dans ces conditions-là (ainsi que leurs protecteurs) commercialisent une idée de la fête, qui, en réalité, est la négation de cette dernière; ils participent à une banalisation du faire peur et de l’agression à petite dose. Hier, ceux qui ont commercialisé armes et intégrisme pour notre prétendue libération du mal avaient commercialisé une idée de notre destruction. Pourtant, hier comme aujourd’hui, ça avait l’air de rien au début. Sauf que dans les deux cas, il y a un jeu avec le sacré, lequel sacré pouvant emprunter des directions insoupçonnées dans les esprits. Comment dit-on déjà? Celui qui joue avec le feu...
Mohamed Sehaba
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Posté Le : 25/03/2008
Posté par : sofiane
Source : www.voix-oranie.com