Algérie

Une année de braise...



Le pays a connu un été des plus mortels. La crise de l'oxygène qui a mis en alerte les Algériens a été aggravée par un autre drame d'une ampleur sans précédent. Les feux de forêt qui ont embrasé particulièrement la Kabylie ont plongé le pays dans l'abîme, mais ont aussi réveillé chez l'Algérien une exceptionnelle conscience citoyenne... C'est dans la difficulté que naissent les nations.L'été 2021 aura été marquée au fer rouge... Un été de flammes mortelles qui ont décimé des massifs forestiers d'Ikhlidjen à Bouhmama, d'Igrev à Seraïdi. C'était aussi l'été asphyxiant pour les malades de la Covid-19. La crise de l'oxygène a été un autre cauchemar pour les Algériens. Ces deux épreuves vécues par le pays l'été dernier ont révélé l'Algérien dans ce qu'il a de meilleur. Le don de soi. Dans les moments de grand désespoir, en puisant parfois dans ses dernières ressources. Mû par le seul devoir citoyen, il n'hésite pas à mettre la main à la poche et, parfois, à risquer sa vie pour porter secours à son prochain en difficulté.
Et c'est ainsi qu'en pleine troisième vague de Covid, en juillet dernier, avec un pic de contaminations atteignant les 2 000 cas, les Algériens d'ici, mais également ceux de la diaspora se sont levés comme un seul homme pour pallier la pénurie d'oxygène dans les hôpitaux, totalement submergés par les malades. En découvrant, très vite, l'incapacité des autorités à enrayer la flambée des contaminations, beaucoup de citoyens, de plusieurs régions du pays, ont organisé des quêtes.
Image forte : des femmes ont même fait don de leurs bijoux pour aider à l'achat des bonbonnes d'oxygène pour venir en aide aux malades entassés par dizaines dans les hôpitaux du pays. Et ces actions de solidarité étaient admirablement relayées sur les réseaux en donnant plus de visibilité à ces efforts surhumains. Et c'était à qui mieux mieux. L'on se souvient aussi de ces chefs d'entreprise qui se sont joints spontanément à cet élan de solidarité particulier. Le patron de la laiterie Soummam, Lounis Hamitouche, a financé pas moins de 22 stations de production d'oxygène médical à travers plusieurs wilayas du pays (Tipasa, Alger, Tizi Ouzou, Bouira, Béjaïa, Sétif, Skikda, Oum el-Bouaghi, Khenchela, El-Meghaïer, Djelfa et Béchar).
Le Premier ministre, Aïmene Benabderrahmane, lui, s'était engagé, le 29 juillet dernier, à doter les hôpitaux de 15 000 concentrateurs d'oxygène commandés à l'étranger et autres matériels médicaux. Mais c'est dans la diaspora algérienne en France que cet élan de solidarité a été des plus remarquables. Nombre de nos ressortissants n'ont, en effet, pas hésité à acquérir des concentrateurs d'oxygène pour les envoyer à leurs proches en Algérie. Mieux, une cagnotte, lancée le 20 juillet par des réseaux d'associations comme le collectif Algerian Medical Network (AMN), ou d'étudiants et de médecins (l'Ecaf et Ashifa), avait rencontré un franc succès, en recueillant la rondelette somme de 627 000 euros ! Des célébrités comme le footballeur français Franck Ribéry, ou encore l'actrice française d'origine algérienne Leïla Bekhti, y avaient également participé.
Grâce à cet argent collecté, des concentrateurs d'oxygène ont été acheminés au pays, au grand bonheur des malades et de leurs familles. Mais voilà, ce formidable engagement de la diaspora pour venir en aide avait été quelque peu chahuté par la sortie de l'ambassade d'Algérie en France qui, dans un premier temps, voulait canaliser les opérations de solidarité en les soumettant à une autorisation d'acheminement de dons, avant de se rétracter sous l'effet d'une large campagne de réprobation. Il reste que ce remarquable sursaut citoyen a été salvateur à plus d'un titre, en permettant à nombre d'hôpitaux de se doter en concentrateurs d'oxygène et en matériel médical, et à soulager la détresse de milliers de malades.
Lien national
Alors que la pénurie d'oxygène dans les hôpitaux faisait rage, une autre épreuve survint, mettant à rude épreuve, une fois encore, l'esprit de solidarité nationale : les feux de forêt sans précédent qui, à la mi-août, avaient ravagé la Kabylie. Dépassés par l'étendue du désastre qui avait fait près de 200 morts, sans parler des pertes matérielles, les habitants de cette région avaient trouvé réconfort auprès de leurs concitoyens des autres wilayas du pays qui, des jours durant et dans un bel élan de solidarité, s'étaient mobilisés pour recueillir vivres, couvertures, matériel médical et autres aides, avant de les acheminer vers une Kabylie meurtrie où certaines victimes du sinistre avaient tout perdu, jusqu'à leurs maisons. Mieux, des volontaires de plusieurs autres régions du pays s'étaient précipités à Tizi Ouzou pour prêter main-forte aux habitants de cette wilaya dans leur combat héroïque, à mains nues, contre les flammes.
Là encore, un incident était venu perturber ce bel élan de solidarité : l'atroce mise à mort, à Labâa Nath Irathen, puis l'immolation d'un jeune de Miliana, Djamel Bensmaïl, par une foule en furie. Son martyre a suscité un sentiment d'horreur et de réprobation partout en Algérie, y compris en Kabylie, et a quelque peu lézardé cette belle communion. Certains pêcheurs en eaux troubles avaient mis à profit ce crime abject pour réveiller les vieux démons de la division. Ils auraient peut-être réussi, n'était l'intervention salutaire et toute de grandeur du père de la victime qui, oubliant un temps sa douleur et faisant preuve de dignité, mais aussi d'une grande sagesse, avait récusé toute vengeance et s'était même déplacé en Kabylie pour récupérer le corps de son fils, non sans échanger avec les jeunes de la région en leur lançant : "J'ai perdu un fils, j'en ai gagné d'autres. Vous êtes tous mes enfants."
Deux semaines plus tard, une délégation des comités de villages de Larbâa Nath Irathen s'est déplacée chez les Bensmaïl auxquels elle a présenté ses condoléances, avant de se recueillir sur la tombe de Djamel. Là aussi, le père Bensmaïl s'était distingué par un discours sage et fort rassembleur. "Les Kabyles sont mes amis et mes frères. Nous ne disons pas que Tizi Ouzou et toute sa population sont à l'origine de ce qui s'est passé. Il s'agit d'une partie infime qui ne représente même pas elle-même. (Ceux qui ont assassiné Djamel) seront dévoilés les uns après les autres. Ce jour-là, nous démontrerons que l'Algérie est une et que les Algériens sont un seul peuple", avait-il lancé, signant, ce jour-là, la défaite des aventuriers de tout acabit et ennemis d'une Algérie unie et fraternelle. Cette solidarité dans l'épreuve, un des traits de la personnalité algérienne, certes, est l'expression la plus éclatante du sentiment, chez les Algériens, d'appartenance à une communauté de destin. Elle aide aussi à la déghettoïsation des mentalités, au recul des préjugés et au raffermissement du lien national.

Arab C.


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