Il n'y a aucun doute, la révolution tranquille née le 22 février dernier est l'événement majeur ayant marqué le pays durant l'année 2019 qui prend fin aujourd'hui, et il n'est pas exclu qu'elle en fasse de même pour la nouvelle année qui démarre demain.Que l'on se remémore, l'appel via les réseaux sociaux pour des manifestations contre le 5e mandat de suite pour l'ex-président de la République, Abdelaziz Bouteflika, lancé à la mi-février dernier n'était pas pris trop au sérieux. Non pas que le mot d'ordre ne plaisait pas, bien au contraire, tant que cette maudite option avait participé grandement à la maturation au sein d'une société que l'on a longtemps prise pour une inculte et immature qui ne s'intéresse qu'à son tube digestif, mais la chape de plomb ayant été jusqu'ici de rigueur qui frappait toute velléité de contestation ou de remise en cause de l'ordre établi était telle que cette perspective de marche, et de surcroît contre le 5e mandat, était perçue presque comme une hérésie, voire comme une blague de mauvais goût. Il y a également le timing de ces marches, projetées un vendredi après la Grande prière hebdomadaire ; ce qui était perçu par bien d'esprits éclairés comme étant une action d'inspiration islamiste. Sauf que le jour J, soit le vendredi 22 février 2019, toutes ces prévisions étaient contredites et de quelle manière !
Dans la capitale, le poumon de cette révolution du sourire, ils n'étaient pourtant, peu avant 13h, que de groupuscules, pour la plupart des jeunes des deux genres, drapeau national en bandoulière, qui étaient signalés dans nombre d'endroits emblématiques d'Alger. Des garçons et filles, non voilées pour leur quasi-majorité, qui «osaient» signifier à tout le monde, notamment à la face des éléments des forces de sécurité déployées en grand nombre à l'occasion, leur refus catégorique de l'option du 5e mandat présidentiel. «Makach el Khamsa ya Bouteflika » était alors entonné à gorge déployée par ces groupes de manifestants qui étaient pris en sandwich par les hommes à l'uniforme bleue, qui croyaient alors avoir maîtrisé la situation et tué dans l'?uf cette contestation. Ceci avant que ces grappes de jeunes ne soient rejointes quelque temps après, à la faveur de la fin de la Grande prière du jour, par de véritables déferlantes humaines qui allaient essaimer en un clin d'?il, les rues et ruelles de la capitale. De la Place des Martyrs à celle du 1er-mai, il était alors difficile de se frayer un chemin devant l'ébahissement de nombre d'observateurs devant ces torrents humains qui venaient de signer là, la mort, la belle mort de l'interdiction de manifester qui collait à la capitale comme une honte, depuis juin 2001.
Et le scénario était le même à travers nombre d'autres villes du pays qui voyaient des centaines de milliers de citoyens, de tous les âges et des deux sexes, prendre possession de la rue pour «cracher» ce qui leur tenait à c?ur, leur refus du 5e mandat présidentiel qui sentait, à leurs yeux, l'ultime humiliation ou l'affront de trop.
Un «coup de c?ur» que beaucoup croyaient être un simple état d'âme qui allait vite s'estomper, mais c'était compter sans la détermination des Algériennes et des Algériens à en finir avec cette option du 5e mandat présidentiel puisque les mêmes déferlantes humaines, sinon plus grandes, allaient être enregistrées le 1er mars mais surtout le 8 mars 2019 qui coïncidait avec la Journée internationale de la femme. Une détermination et une endurance qui allaient payer puisque l'ex-président de la République allait céder le 2 avril, en début de soirée avant que les élections du 18 avril ne soient annulées. Un double acquis qui n'a pas pour autant sonné le glas pour une insurrection citoyenne dont l'appétit grandissait, puisqu'il s'agit désormais d'en finir avec «la bande», ou les fameuses forces extraconstitutionnelles qui ont pris en otage l'Etat à son plus haut sommet. Et la campagne d'assainissement entamée tambour battant parmi cette «içaba» politique et son bras financier, avec l'arrestation et la mise sous mandat de dépôt de nombre de ses figures les plus tristement emblématiques, n'a pas été pour stopper les ardeurs de ce qui s'avérera être une véritable révolution et de surcroît, une révolution du sourire.
Une révolution qui fera avorter l'élection présidentielle du 4 juillet dernier, un autre «sacre» qui sera fêté comme il se doit le vendredi 5 juillet, date à l'occasion de laquelle le peuple algérien s'est réapproprié cet événement phare de la révolution de Novembre 1954, réclamant, dans la foulée, le parachèvement de l'indépendance nationale. «Echab yourid el istiqlal » ou «le peuple veut son indépendance» marque alors une évolution significative et qualitative dans les slogans de cette révolution qui ne s'est jamais départie de son pacifisme et l'esprit de solidarité et de tolérance qui font alors le tour du monde.
Alors que l'on misait sur son affaiblissement, à défaut de son essoufflement durant le Ramadhan et la longue période estivale, cette dynamique citoyenne a pu y survivre grâce à un «service minimum» assuré par les plus irréductibles de ses acteurs qui étaient là, dans les rues du pays chaque vendredi mais aussi chaque mardi, second rendez-vous de contestation adopté par les étudiants au lendemain du béni 22 février.
Ayant passé sans encombre la saison des grandes chaleurs non sans tourner le dos au dialogue mené par Karim Younès et qui allait déboucher sur la fixation de l'élection présidentielle du 12 décembre dernier à laquelle le pouvoir tenait, le mouvement populaire a repris du poil de la bête à la rentrée sociale écoulée, signifiant son refus de ce scrutin présidentiel qui avait, pour ses acteurs, l'allure d'une véritable occasion pour le régime pour se régénérer.
Et ni les arrestations et les mises sous mandats de dépôt ayant frappé nombre de manifestants, notamment pour «port de l'étendard amazigh», «atteinte à l'unité nationale» et autre «atteinte au moral des troupes en temps de paix» et les difficultés de déplacement les vendredis, notamment à Alger, n'ont été pour détourner la révolution du 22 février de son objectif cardinal : une rupture totale avec le régime en place.
Certes, le pouvoir a tenu son pari de tenir l'élection présidentielle du 12 décembre dernier pour pourvoir au poste de président de la République, demeuré vacant depuis le départ forcé de Abdelaziz Bouteflika début avril dernier, mais le soulèvement du 22 février poursuit son petit bonhomme de chemin, tournant, de nouveau, le dos à la main tendue pour un dialogue du président de la République dont il ne reconnaît pas la légitimité.
Le lendemain même de ces élections, le 13 décembre dernier, cette révolution tranquille a démontré toute sa vivacité, de par l'ampleur de la mobilisation enregistrée ce jour-là, notamment à Alger.Une prouesse qu'elle a renouvelée la semaine d'après, le 20 décembre dernier mais surtout le vendredi écoulé, avec un hommage appuyé à Abane Ramdhane dont le fameux crédo «la primauté du civil sur le militaire», que la révolution du sourire fait sien, a été martelé avec force, d'autant plus que ce 45e épisode du mouvement populaire coïncidait avec le 62e anniversaire de l'assassinat de l'architecte du Congrès de la Soummam qui a donné un sens à la révolution de Novembre 1954.
Et comme le hasard fait bien les choses, le 46e épisode de cette révolution du sourire, ce vendredi, coïncidera avec le 52e anniversaire de l'assassinat à Madrid, en Espagne de Mohamed Khider, une des figures de proue du mouvement de Libération nationale.
M. K.
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Posté Le : 31/12/2019
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Mohamed Kebci
Source : www.lesoirdalgerie.com