Une Alliance des Civilisations pour la Méditerranée

A la veille du Sommet qui verra naître l'Union pour la Méditerranée à Paris, le 13 juillet, il est important de mesurer l'ampleur véritable du renouveau de ce partenariat non seulement pour les pays riverains de la Méditerranée, mais également pour l'Europe dans son ensemble et pour le reste du monde. Traversé par les tumultes de l'histoire, théâtre de nombreux conflits mais surtout lieu d'échanges et de rencontres entre cultures, l'espace méditerranéen est aujourd'hui en perte de vitesse, tiraillé par des intérêts qui peinent à s'accorder. Pourtant, son importance, tant sur le plan géopolitique que dans les domaines économique et culturel, n'est guère à démontrer. Et pour l'Alliance des Civilisations, il s'agit d'un enjeu crucial.

Fondée sous l'égide des Nations unies, en 2005, de l'initiative de l'Espagne et de la Turquie, l'Alliance rassemble aujourd'hui 89 membres, entre pays et organisations internationales. Sa vocation première est de s'attaquer aux divisions croissantes entre les sociétés, en réaffirmant un paradigme de respect mutuel entre des peuples de traditions culturelles et religieuses différentes et en incitant à mobiliser une action concertée tendant vers ce but. L'Alliance reflète la volonté de la grande majorité des peuples de rejeter l'extrémisme dans toutes les sociétés et de soutenir le respect pour la diversité culturelle et religieuse.

...Comment vivre ensemble entre peuples différents, en respectant l'autre dans sa différence ?», telle est donc la question à laquelle l'Alliance vise à apporter des réponses par la mise sur pied de projets concrets dans les domaines de la jeunesse, de l'éducation, des médias et des migrations. L'Alliance mène son action par la création de partenariats avec des gouvernements, mais également avec le secteur privé, les médias et la société civile.

Si l'Alliance attache une importance particulière aux pays de la Méditerranée, c'est parce que, en vertu de son mandat, elle se doit de concentrer son action là où les clivages — sur le plan des principes et des valeurs, des religions, des moeurs, des conceptions de vie et des niveaux de développement - se manifestent avec le plus d'urgence, là où maintes disputes négociables risquent de devenir des conflits d'identité intraitables. Mais il y a bien plus que ça. Car c'est aussi dans cette région que les possibilités de réconciliation et de coopération sont parfois les plus fécondes, où les échanges constructifs ont permis à l'humanité de faire de vrais bonds en avant. Ici, dans l'espace méditerranéen, se joue le dialogue entre deux mondes, dialogue qui peut unir ou diviser, éloigner ou rapprocher.

Si nous réussissons ce dialogue, si nous faisons en sorte qu'il mène à une coopération véritable, d'égal à égal et dans les deux sens, nous aurons fait un pas en avant sur le chemin de la paix et de la stabilité. En démontrant qu'une coopération économique, profitable à tous, est possible, en prouvant que des projets communs, en matière d'éducation, d'environnement et de culture, peuvent porter fruit et contribuer à vivre mieux, tous ensemble, les pays riverains de la Méditerranée seront en mesure d'élever un mur contre l'intolérance, l'intégrisme et l'extrémisme, démontrant au reste du monde que la coopération peut l'emporter sur l'indifférence, ou pire, la haine et la violence.

L'enjeu est d'envergure. Pour réussir ce pari, il faut aller au-delà des déclarations d'intention. Les mots, bien sûr, ont leur poids. Mais ils n'ont d'impact durable que lorsqu'ils sont soutenus par des actions concrètes. L'action de l'Alliance, à cet égard, peut être tout à fait complémentaire à celle de l'Union pour la Méditerranée, tout en lui proposant de développer ensemble des politiques de bonne gouvernance de la diversité culturelle.

 L'Alliance est déjà associée à plusieurs projets qui visent à renforcer le dialogue et le développement dans les pays du pourtour méditerranéen, tels, par exemple, «Silatech», dont le but est de stimuler l'emploi des jeunes et qui résulte d'un ensemble de partenariats internationaux. Par ailleurs, pour encourager les médias à jouer leur rôle de passeurs de l'inter-culturalité, l'Alliance a mis sur pied un mécanisme mettant à disposition des noms d'experts à même d'apporter des éclairages nuancés sur un ensemble d'enjeux de société d'ordre culturel et religieux qui marquent notre vivre ensemble.

L'Alliance des Civilisations concentre ses efforts sur la coopération interculturelle et le développement des pratiques de bonne gouvernance de la diversité culturelle. Aussi, elle travaille actuellement avec tous ses membres pour que des Stratégies nationales pour le dialogue interculturel couvrant des mesures dans le domaine de l'éducation, des jeunes, des médias et de l'intégration des minorités soient développées et mises en oeuvre. En outre, un ensemble d'initiatives de coopération, au niveau des villes, est actuellement à l'étude afin de créer des réseaux sur le terrain, engageant les autorités locales mais aussi les acteurs de la société civile et le secteur privé, dont le but est de développer des activités conjointes permettant de réduire les tensions multiculturelles et à établir des passerelles entre les communautés.

«Si c'était à refaire, je commencerais par la culture» - on prête à Jean Monnet ces mots, d'ailleurs apocryphes. Mais, de nos jours, ce propos est d'une actualité frappante. L'espace méditerranéen est le lieu où se joue l'avenir du dialogue entre les cultures et les religions. Nous avons tous intérêt à faire progresser ces échanges sur la base de la réciprocité et de la transparence et l'Alliance des Civilisations est partie prenante dans cette noble entreprise. Bien sûr, il ne faut pas se leurrer - les problèmes de nature politique appellent des solutions politiques et le règlement des conflits armés n'est certainement pas du ressort de l'Alliance des civilisations. L'action de l'Alliance se situe en amont et en aval des situations de tension, elle a vocation à jouer à la fois un rôle préventif et curatif des conflits et, en ce sens, elle est un instrument de consolidation de la paix.

Le grand pari de l'Union pour la Méditerranée est celui du multilatéralisme et du développement partagé. A mon avis, c'est viser juste et ouvrir la voie de l'avenir. C'est pour cela que l'Union et l'Alliance des Civilisations peuvent se renforcer mutuellement et leurs actions doivent se développer dans une étroite complémentarité. C'est pourquoi, je tiens, demain, à dire «présent», au nom de l'Alliance des civilisations.



* Président de la République portugaise (1996-2006)
et Haut Représentant des Nations unies pour l'Alliance des civilisations