Algérie

Un voyage dans l'espace et le temps


C'est dans les livres dont la densité n'a rien à voir avec le nombre de pages qu'on classerait le roman d'Abdelkader Djemaï, La vie (presque) vraie de l'abbé Lambert (Editions Barzakh). À travers les pérégrinations de Gabriel Irénée Séraphin Lambert, dont le port de la soutane est la seule concession qu'il fait au conformisme religieux, Abdelkader Djamaï invite à des voyages dans l'espace et le temps.Chaque tableau de la vie de Lambert est l'occasion d'évoquer des pages d'histoire, ancienne et récente, de l'Algérie bien sûr, mais aussi d'autres pays, par association d'idées. L'abbé Lambert, dont l'écart le plus spectaculaire aux ordres religieux est la présence, à ses côtés, d'une plantureuse secrétaire et néanmoins maîtresse, consacre son temps à chercher des sources d'eau souterraines.
Armé de son pendule de sourcier, il travaille-avec des résultats aléatoires- pour des fermiers ou des collectivités, ce qui lui confère une renommée et une popularité grandissantes. Après un séjour au Maroc où il côtoya les puissants Glaoui, il débarque à Oran où les autorités le chargent de trouver de l'eau douce pour la ville qui comptait, dans les années trente, près de 130 000 habitants qui souffraient d'une sévère pénurie d'eau douce.
Il y découvre une ville où la représentation coloniale écrase la réalité autochtone : "Posé telle une mouette blanche sur le plateau du Murdjadjo, seul le marabout de Sidi-Abdelkader, visible de plusieurs endroits d'Oran, rappelait l'existence des musulmans dans la cité". Autochtones confinés dans un statut "d'indigènes" pauvres, souvent misérables.
Proche des élus, des propriétaires et grands commerçants locaux, Lambert, auréolé de son pouvoir quasi magique de trouver de l'eau, ne tarde pas à devenir lui-même un notable oranais, rang consolidé par sa qualité d'écrivain (livres sur son expérience de sourcier) et de journaliste de la presse locale.
Ceci le conduit logiquement à s'intéresser à la politique, d'abord pour se venger du maire en exercice qui n'a pas voulu le payer suite à ses échecs dans la recherche de sources d'eau douce : "Vous ne voulez pas me payer, je prendrai bientôt votre place de maire". Après une campagne où il mouilla abondamment sa soutane, "le début de la carrière politique de cet ecclésiastique en rupture de ban se concrétisa par une première victoire.
À la veille de Noël 1933, à la faveur d'une élection partielle, il fut élu, avec huit de ses colistiers, conseiller municipal. Cinq mois plus tard, c'était le triomphe : le 13 mai 1934, à 34 ans, il devenait le trente-troisième maire de la ville, depuis la nomination, en 1832, d'un commissaire du roi". Abdelkader Djemaï enrichit son roman par sa façon de lier des évènements différents s'étant produits à la même époque.
Ainsi, l'installation de Lambert à la mairie d'Oran coïncide avec "l'année où la populaire Citroën 7CV faisait ses premiers kilomètres et où Brigitte Bardot, à Paris, poussait son premier cri". L'abbé Lambert, amateur d'anisette et de bonne chère, aurait été néanmoins un bon maire puisqu'il a lancé de grandes infrastructures devenues aujourd'hui des lieux mythiques d'Oran, comme le Front de mer et le marché Michelet.
Au plan politique, il s'est aligné sur les positions des partisans de l'Algérie française. Qu'est-il devenu à la fin de la guerre d'Algérie ' Est-il resté à Oran ' Est-il parti en France comme la plupart des Européens ' Au fait, lui qui est venu à Oran pour procurer de l'eau douce à ses habitants, avait-il réussi ' Autant de questions dont les réponses figurent dans les toute dernières pages de ce roman dont le style d'écriture ressemble à un fleuve tranquille qui fait défiler les feuilles intactes d'un livre qu'on peut lire aisément et avec un réel plaisir.

ALI BEDRICI
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