Algérie

Un vendredi après-midi avec Kaddour M'Hamsadji Dialogue avec un maître



Publié le 08.11.2023 dans le Quotidien l’Expression

La rue en pente, fait un quart de tour, et soudain, la maison à un étage aux murs roses apparaît. C'est le domicile de notre Gloire nationale.

Hmida, le chauffeur, l'a remarqué, le premier, et jubilant comme un enfant, fait des signes avec la main à son ami à travers le pare brise. Assis sur une chaise, devant la porte, le maître semble prendre l'air. En vérité, il attend quelqu'un et ce quelqu'un c'est le chauffeur qui vient le chercher pour sa promenade hebdomadaire. Tous les vendredis, celui-ci le promène en ville. Nous a-t-il vus? Ce n'est pas sûr. Ainsi, il devra nous l'avouer plus tard, il souffre de la «demla», une affection dégénérative de la prunelle, liée à l'âge. La voiture s'arrête, le chauffeur se précipite, ouvre la portière avant, serre chaleureusement cette main qui crayonna tant de personnages, peignit tant de paysages pour le grand bonheur de générations entières de lecteurs, puis l'aide à s'installer à l'avant. La voiture repart. La voix est jeune. belle. Elle a dû être travaillée comme pour le chant. Et lorsqu'elle se fait entendre, l'impression que l'on a cet après-midi de vendredi, un peu fraîche et grise est, qu'on est, non en face d'un chanteur, mais d'un professeur de lettres, d'un poète et d'un écrivain de race. Les mots, en passant par la bouche de Kaddour M'Hamsadji, prennent une saveur particulière, celle que leur donne une grande pratique et une diction respectueuse de leur sonorité et de leur qualité musicale. Lorsque nous lui posons notre question, encouragé qu'à l'intérieur de l'habitacle nous ne l'ayons pas en face, il se retourne et nous invite à répéter en prenant bien soin de bien articuler. Nous répétons en suivant la consigne magistrale et la réponse se fait du tac au tac. Son dernier livre? Sorti en 2018. Il parle de la «demla». Le professeur qui le soigne pour son arthrose et un autre prof, une femme tout aussi réputée ont contribué à sa rédaction. Depuis, plus un mot sur le papier, plus une ligne. Celui qui écrivait avec une abondance et une rapidité déconcertante, le voilà frappé d'incapacité d'écrire. La cause en est cette dégénéréscense de la vue. Le maître voit à peine. On imagine ce que peut être ce calvaire qui vient s'ajouter à d'autres dus à la maladie ou des maladies, car, pendant cette tournée, il en a dénombrée une douzaine, en riant un peu, dont les acouphènes, et nous, compatissant, et tout de même jouant à fond les consolateurs: «Les acouphènes, cher maître, c'est tout le monde, qui les a»:
Pèlerinage hebdomadaire
Tant que la voiture a roulé en direction du cimetière Sidi Yahia, où la famille M'Hamsadji possède un carré, et où reposent l'épouse et le fils du journaliste et de l'écrivain, et ses parents à elle, il évoque cette époque, où, à côté de Ahmed Fattani, il a contribué à El Moudjahid avant de venir beaucoup plus tard rejoindre son ami lorsque celui-ci, par goût de la liberté et d'indépendance a fondé L'Expression. «Il y a encore de très bons journalistes», nous déclare-t-il pour montrer qu'il y a continuité dans cette direction. Quand il conclut par cette phrase, la voiture s'arrête de nouveau. Mais nous restons à l'intérieur. Le silence qui règne alentour indique en quel endroit nous nous trouvons. La voix continue son magistral monologue, sans trouble, ni émotion aucune. C'est pourtant des siens qu'il est question. «Tout cela est dans mes livres», confie-t-il. Mais nous avons quand même droit à un petit flash sur cette vie qui, si elle constitue un objet d'étonnement par sa longévité, elle l'est bien plus encore par la formidable oeuvre qu'elle a permis de bâtir. Ainsi, apprenons-nous dans la foulée que Kaddour M'Hamsadji a été secrétaire adjoint à l'Union des écrivains aux côtés de Mouloud Mammeri qui en était le président, et de Jean Sénac qui en était le secrétaire général. Du premier, il rapporte, avec une pointe d'humour dans cette voix pure comme du cristal, cette sorte de calembour fait sur son nom: Moh Sadji. Entendre par ce mot sage, intelligent, débrouillard. Du second, il exprime plutôt une désillusion. Il voulait obtenir la nationalité algérienne. Comme il y a des formalités pour l'avoir, il a rétorqué: «j'aurais souhaité qu'on me la donne.» On se doute qu'à ce poste si envié, il a dû côtoyer beaucoup d'autres plumes et non des moindres. Les noms viennent tout seuls, comme ceux de Djamel Amrani, Kateb Yacine, Malek Hadad, Rachid Boudjedra et d'autres encore. De Yasmina Khadra qui, du temps où il envoyait des vers à cette revue qu'il dirigeait, signait de son vrai nom, il raconte comment, ils ont fait connaissance. Plus tard devenu familier de la maison, Khadra passe à chaque occasion à la maison. Il se sent un peu chez lui. Il fait encore une brève allusion à son voyage en Chine en compagnie de sa femme, à sa rencontre avec le prix Nobel chinois, puis à Cuba et Fidel Castro.

L'amour des belles-lettres
Nostalgie? Non. Pas même quand il revient sur son passé. Ce passé qui est enfermé comme une fleur dans son oeuvre afin de le préserver de l'atteinte, de l'outrage du temps. Il se souvient de l'enfant qu'il a été, du café paternel à Sour El Ghozlane, de son départ à quatorze ans avec son grand frère pour l'ex-Maison carrée (El Harrach), puis Boufarik, de la longue camaraderie au lycée avec Khatib, son aîné de deux ans, qui deviendra colonel au maquis. Puis, le retour à la ville natale, quand sorti frais émoulu de l'École normale supérieure, il revenait pour exercer comme instituteur...Mais pas pour longtemps, se doutant que c'était à Alger que se jouait son avenir. Nous serions restés plus longtemps dans cette position d'écoute attentive, si Hmida n'a rappelé l'heure. Le soleil commence à décliner à l'horizon que barrent des nuages rougeoyants sous les rayons obliques. Après un long moment de recueillement et de prière sur la tombe de son épouse, sur celle des parents de cette dernière, de leur fils, il montre la tombe de son frère, son protecteur dans sa jeunesse, puis celle de Khatib, au pied de l'olivier. La voiture ressort du cimetière. La promenade prend fin. Le maître insiste pour qu'on entre chez lui, le temps d'une tasse de café ou de thé. Nous déclinons poliment l'invitation. Le temps manque absolument. Mais promesse est faite de nous revoir. Honneur incommensurable, nous pensons avoir fait un ami de ce grand écrivain dont la simplicité et la modestie sont confondantes. Mais nous emportons la conviction que le maître, malgré les maux qui l'affectent et qu'il supporte stoïquement, a encore de beaux jours devant lui. La seule chose que l'on pourrait déplorer est qu'il ne puisse pas mettre à profit ce temps pour concocter un autre ou deux autres livres et quelques éditos dont il garde le secret. Sur quoi nous nous fondons pour l'affirmer? Sur la voix qui pendant tout le temps que nous sommes restés ensemble, lui parlant presque sans interruption, et nous écoutons en prenant discrètement quelques notes, est restée unie magistrale, comme au temps où il enseignait ou donnait des conférences; sur l'ouïe, si jeune elle aussi, car si fine; et puis, sur ces traits colorés, sur lesquels ni le temps, ni la maladie ne semblent avoir de prise.

Ali DOUIDI



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