Algérie

Un vécu collectif entre passé et présent



Un vécu collectif entre passé et présent
Une vie au quotidien dans ses hauts et ses bas depuis les années de lutte libératrice à la période post-indépendance où chacun se débat du mieux qu'il peut pour se faire une place au soleil.
Des personnages indicateurs de différence dans un roman plus réaliste que fictif qui reconstitue habilement un vécu collectif en prenant à témoin les lecteurs. Youcef Merahi a fait le choix d'introduire le récit par une période déterminante de notre histoire, celle des années de la guerre libératrice, l'une des plus meurtrières dans les annales des luttes anticoloniales. Le déroulement s'est fait sur fond de décor de montagne et de vie sociale des plus ardues. Une reconstitution à la manière des peintres talentueux D'abord, il fait une description des lieux qui fait apparaître toute leur beauté depuis les origines. C'est un paysage merveilleux, selon un marabout arrivé de Saguiet El Hamra pour y élire domicile au XXe siècle. Neuf siècles après, il reste de son passage influent un mausolée fréquenté par les plus vieilles du village qui croient encore à son pouvoir magique. En réalité, c'est toute l'Algérie qui donne à voir des sanctuaires de saints érigés en forme de koubba abritant des tombes de marabouts vénérés. Puis, de 1954 à 1962, ce fut la guerre dans toute son horreur. L'auteur nous en rapporte quelques-unes de ses péripéties, telle celle d'un moudjahid abattu sur la place publique sous les yeux de sa femme enceinte qui, traumatisée, accouche d'un garçon devant tout le monde : un héros mourut sous les balles au moment où son fils naquit. Des scènes de ce type qui entraînent la mort de nos braves citoyens par torture, mitraillage, bombardement, on ne peut vous en raconter des milliers dans chaque village de montagne. Cette élimination par la soldatesque française suffit pour faire comprendre les atrocités qu'on nous a fait subir. Dans le même chapitre, il y eut un soldat sénégalais qui s'est comporté en pire sanguinaire dans l'année coloniale déchaînée et un Sénégalais, Baba Salem, jouant un autre rôle, celui de guérisseur, une coïncidence extravagante ! Puis, une deuxième génération voit le jour Elle se distingue même par son vocabulaire de langage relâché. On a toujours dit que les aînés communiquaient dans le respect des formules rituelles avec le souci de ne pas choquer leurs interlocuteurs. La narration linéaire fait comprendre qu'on est passé à la deuxième phase de notre existence par la loi de l'évolution qui s'exerce sur tout ce qui nous entoure et qui nous permet de nous rendre compte que rien n'est éternel, à part Dieu le Tout-Puissant. Lorsqu'on parcourt les pages, on rencontre des mots déplacés et des comportements non conformes aux convenances ancestrales. Akli Nat Winnat, dit Aroumi pour sa blondeur et sa taille qui dépasse de beaucoup celle des autres, est un hozzi, sobriquet désignant quelqu'un qui fait tout à sa guise. Il fait partie d'une bande de dévoyés avec comme élément moteur «Lame Gillette», dont le rôle est facile à deviner. Dans la société traditionnelle d'avant l'indépendance, ces individus qui marchent en bandes organisées n'existaient pas. Leur existence est due en grande partie aux défaillances des éducateurs : maîtres et parents. Laissons ces marginaux représentant une classe sociale non négligeable pour nous intéresser à une autre classe prétendant être capable de gérer les affaires publiques en devenant «maire» de commune, devenir des privilégiés d'un système. «Itij N Mouh se présente au bureau des élections et dépose son dossier. Il n'écoute que son désir de diriger cette municipalité qui n'a que trop souffert de la rapine de tous les maires passés. Tous lui demandent de ne pas se mêler de cette élection, sa mère, son épouse, mais surtout son ami Mouloud. Il ne sert à rien de se jeter dans la gueule du loup, c'est un suicide», lui dit-on. Mais où est-on ' En Algérie ou sur une autre planète ' Des hommes qui trouvaient exécrables les militaires coloniaux qui faisaient subir toutes sortes de sévices à nos nationaux au point de les faire mourir et qui ne cessaient de réciter la profession de foi (il n'y a de Dieu que Dieu) parce qu'animés d'une foi inébranlable, deviennent soudainement des tyrans vis-à-vis des leurs après l'indépendance. Pour le moment Itij est soutenu par Lame Gillette et ses acolytes comme Velqacem Ayeffous. Puis, délivré d'une lourde charge en s'abstenant d'être élu président de l'APC, il se promène à At Wouadou, chef-lieu de cette région trouvée si belle par le marabout venu du Sahara occidental dont sont originaires la plupart des marabouts de la région. Il passe devant la mairie ,où siège un autre comme principal responsable, quand tout à coup lui viennent des pensées sur le passé, le présent, l'avenir. Quelque chose de naturel chez tous les humaines. Regardant le drapeau flottant, il dit : «Nos martyrs t'ont dessiné de leur sang. Aujourd'hui, tu flottes librement au-dessus de nos têtes. Et tu assistes impuissant à la dégringolade de notre société. Que ne puisses-tu pas parler et crier ta rage !» Ce qui se passe. On a évolué à un point tel que la situation est devenue invivable. C'est l'insécurité qui s'installe partout avec les nouveaux émirs autoproclamés qui décident de tout : de tuer celui-là parce qu'il est responsable dans le système actuel, de demander à celui-ci sa voiture parce que le groupe armé a une mission, de brûler un lieu' A Tala N'Torna, le véhicule dans lequel se trouve Itij est arrêté à un faux barrage. Tout le monde descend sans explication aucune. Puis contrôle d'identité au terme duquel un des assaillants dit en désignant Itij : c'est lui ! On peut imaginer la suite du roman assez bien écrit pour être clair. Youcef Merahi, qui n'est pas à son premier livre et qui a été poète à ses débuts dans l'écriture, laisse en héritage aux générations futures une 'uvre de témoignage tout de même utile pour sa valeur historique, littéraire. Les jeunes, qui prendront la relève, à condition que tout évolue vers le meilleur et non vers le pire, sauront qu'il y a eu des Algériens qui ont souffert d'abord d'une guerre imposée par des étrangers colonisateurs, puis de la gestion anarchique des affaires publiques qui ont fait d'une majorité des malheureux, enfin d'une autre guerre que des Algériens mènent contre leurs frères et que personne ne comprend. Un livre intéressant et à lire.


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