Algérie

Un système perclus de rhumatismes



«Entre l'Algérie et la démocratie, il faut choisir les deux» Enfin la morosité qui a caractérisé la campagne électorale des législatives s'estompe pour ne plus masquer les aspérités économiques, la gravité menaçante du taux de chômage, le nombre d'Algériens hypertendus, les déficits en eau et en logements, l'envergure des opérations menées contre le terrorisme qui tue sans relâche et la clochardisation accélérée des villes algériennes... Chacun des partis et des candidats indépendants a fait son tour de manège dans l'attente de résultats préfabriqués dont l'objectif est sans contexte le maintien d'un statu quo durable et générateur de régressions annoncées. Les mêmes méthodes aboutissent aux mêmes impasses.  A l'heure où des hommes politiques en Europe, en Asie et en Inde parlent à leurs concitoyens de croissance, de mondialisation, de recherche scientifique, de dialogue social, de musées et de culture, de gazon sur les toits des immeubles, en Algérie il est paraît-il de la première urgence de se mêler de la tenue vestimentaire et de la barbe des nationaux. La barbe et le foulard seraient donc les mieux indiqués sur le passeport pour mieux poser de problèmes aux Algériens devant des policiers dans les ports et aéroports de pays étrangers où déjà, les Arabes et les musulmans n'ont pas bonne presse. Comme programme politique, il fallait y penser, mais c'est déjà un premier pas pour rendre plus tard (sait-on jamais) obligatoires la barbe et le hidjab pour sans doute mettre sur les routes de l'exil les Algériens qui entendent rester libres de leur pilosité et de leur habillement. Les voies de la décadence, en Algérie, sont prévisibles, acceptées et valorisées.  La dernière campagne électorale a cependant été riche en enseignements pour les nationaux et les observateurs étrangers, à l'écoute, certes distraite, des gesticulations et promesses hilarantes déclinées dans le plus parfait des désordres politiques où, subito, des partis de la majorité ont trouvé des «programmes» à côté de celui de M. Bouteflika.  Ce dernier a pointé, à juste raison, la médiocre qualité des services publics. S'il a été modéré dans ses critiques, la réalité qu'il doit bien connaître, est des plus alarmantes. Les hôpitaux, les transports collectifs (public-privé), les banques, la voirie, l'hygiène dans tous les quartiers du pays, les maladies chroniques de plus en plus élargies, les écoles et les universités sous-développées, la pauvreté du paysage audiovisuel, la circulation routière dans tous ses états, donnent l'image de la désolation et du laisser-aller. Et le Président l'a dit à sa manière.  Les graves carences en question relèvent cependant d'un système où les pouvoirs sont confondus, sous la haute main lourde et «siesteuse» de l'administration. Le citoyen, là où il habite, où il travaille, où il se soigne et voyage, ne sait pas où les choses se passent. Le maire, le wali, le ministre, le chef de daïra, le receveur des postes, le chef d'un chantier dans une cité, des Chinois qui travaillent la nuit au moment où les riverains se reposent après une journée de tracas, qui est responsable ?  Consulter les habitants là où un parking se construit, là où une cité se transforme en une route à grande circulation, là où des clôtures atroces sont érigées, n'est pas dans les moeurs de la République. A chaque moment, le contribuable est mis devant le fait accompli, sous ses fenêtres, de jour comme de nuit, avec un mépris absolu. Les villes se clochardisent, le fait est indiscutable. Dans la capitale, les grandes artères centrales font pitié à voir pour celui qui les a connues depuis l'indépendance.  Des commerces improvisés, des enseignes de toutes les couleurs, dans les styles les plus archaïques, des trottoirs privatisés par un vulcanisateur, une pharmacie, une boucherie ou des marchandises à même le sol, comme le sont des sachets de lait exposés au soleil, des ministères-casernes, des cabinets médicaux qui ressemblent à des commissariats de l'antiquité, tout un paysage ravagé qui n'émeut aucun «chef».  Et pendant ce délitement, la gendarmerie fait la chasse à la tendresse. Des brigades de moeurs traquant des jeunes habités par un sentiment défaitiste, de laissés pour compte, ayant mis une croix sur le rêve enfoui d'avoir un visa, un travail, un logement ou une sexualité libérée, même dans des maisons tolérées à un moment de l'histoire du pays. Quelles terribles responsabilités sont prises pour tapisser le lit des intolérances, de l'intégrisme, du contrôle de la vie privée !  Les salles de cinéma et les théâtres à bâtir peuvent attendre. Les corps de ballets, les écoles de danse et du cirque, du mime, de la musique sont certainement «layadjouze» et pour longtemps. La libération du champ médiatique, la suppression du monopole étatique sur la publicité, le changement du week-end pour rejoindre le monde moderne, l'enquête systématique commodo-incommodo, pour tout projet public ou privé et une foule de problématiques citoyennes seront peut-être ouvertes dès la prochaine session du Parlement. Peut-être, si le gouvernement le veut.  Les services publics quel que soit leur statut juridique ont bien une place déterminante pour le label d'une gouvernance ou pour le programme d'un parti. Les handicapés et les personnes âgées ont dû sûrement suivre des shows d'un autre âge à la TV. Les accès aux transports, à la poste, au parking, dans les institutions, pour ces catégories, ont été superbement ignorés par les candidats.  Où sont les brochures, les flyers dans la boîte aux lettres, le numéro vert, qui renseignent toute l'année, de jour comme de nuit, sur les pharmacies et les médecins de garde, les ambulances en cas d'urgence, police secours etc.? Dans les cités oubliées, qui pataugent dans la boue en hiver et subissent les odeurs nauséabondes et les moustiques en été, quel est l'interlocuteur de proximité efficace compatissant ? Des milliers d'électeurs sans logement, à bout de patience, occupent des terrains que d'autres Algériens ont payé sans pouvoir en user, ou qui sont destinés à des infrastructures publiques. Et devant le désarroi d'un côté, et l'occupation illégale de l'autre, l'Etat est impuissant.  Les jeunes, cette bombe à retardement, cyniquement tenue loin de la politique, ne se sent nullement concernée par la vie du quartier, de la banlieue, de la ville ou du pays. On a voulu une jeunesse dépolitisée, les résultats, ce sont la drogue, le terrorisme, une sexualité bridée, du vague à l'âme et l'obsession du visa. Alors l'Algérie ou la démocratie ? Les deux en urgence.


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