Le Yémen peut brûler, la rue à côté empester, il n'en a cure. Le serveur de restaurant dans ce quartier populaire d'Alger tourne le dos à la télévision. Ce n'est pas parce qu'elle déverse que de mauvaises nouvelles. Il ne jette aucun coup d'?il à la porte, comme s'il lui importait peu que la salle se remplisse de clients. Ce matin, il a comme un compte urgent à régler. Il est dit qu'il déversera tout au long de la journée son dépit sur l'équipe nationale. La veille, elle avait perdu face au Qatar. Quelques clients qui attendaient d'être servis ont beau faire remarquer que c'était un simple match amical. Non, le serveur est en colère. « Avec cette équipe, on n'ira pas loin, les joueurs ne mouillent pas le maillot », clame-t-il d'un air sentencieux. On a peine à reconnaître dans celui qui passait ses journées à égrener la liste des plats, ce stratège qui avait désormais les capacités de composer la meilleure des équipes. A l'entendre, il peut élaborer aussi la tactique qui fera plier le genou aux plus coriaces des adversaires. Ce n'est pas la première fois qu'il s'emporte ainsi. Chaque revers de l'équipe nationale, dont un poster orne pourtant un mur de l'étroit restaurant où se pressent ouvriers et petits fonctionnaires, est suivi d'un accès de ressentiment. Du jour au lendemain, il cesse d'être le fervent supporter qui trouvait toutes les qualités aux joueurs et vibrait à chacun de leurs exploits. Comme dans une autre vie, il avait scandé le nom de Antar Yahia, vilipendé les Egyptiens et s'irritait de ceux qui trouvaient à redire sur les coiffures de quelques joueurs. Ce n'est plus le même. Il s'est métamorphosé en critique virulent, déversant son acrimonie sur tout le monde, n'épargnant personne, parmi le staff et les joueurs. Tel est coupable de chercher seulement « à se remplir les poches » tel autre « d'avoir offert sur un plateau d'argent le but à l'adversaire ». Nostalgique, il revient à l'équipe de 1982 composée seulement et là, il s'arrête un peu comme s'il prenait à témoin toute l'assistance, « de gens formés ici ». Ne s'ensuit pas, ne serait-ce que sur le ton du regret, le manque de centres de formation et le dédain des clubs pour ceux-ci. Non, comme s'il ne pouvait se déjuger, il se mit à égrener les fautes de tel ou tel joueur lors de matchs dont il est peut-être le seul à se rappeler encore. Personne ne disait rien, certains alimentaient même de remarques le brasier du dépit en recomposant l'équipe, en dévalorisant l'entraîneur porté aux nues quelques jours auparavant. La défaite est ainsi. Elle est toujours orpheline quand la victoire se retrouve toujours avec mille pères.
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Posté Le : 30/03/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : R H
Source : www.horizons-dz.com