Algérie

Un sommet sur fond de guerre diplomatique


Les trois parrains du processus d'Astana veulent réussir le pariLe rapprochement turco-russe est devenu spectaculaire aussi bien sur le plan économique que politique et militaire, comme en témoignent la relance du chantier du gazoduc TurkStream qui doit permettre à la Russie de contourner l'Ukraine et la livraison à Ankara des systèmes de défense S400, sur ordre de Poutine...
Le président russe Vladimir Poutine a entamé mardi dernier une visite de deux jours en Turquie où il doit officiellement lancer, avec son hôte Recep Tayyip Erdogan, la construction d'une centrale nucléaire, avant l'arrivée du président iranien Hassan Rohani pour des discussions cruciales sur la Syrie. Cette visite intervient en pleine crise diplomatique entre Moscou et les pays occidentaux, suite à l'affaire Skripal qui a provoqué le renvoi de plus de 300 diplomates des deux camps. Londres qui avait aussitôt accusé la Russie, déclenchant des expulsions en cascade, est aujourd'hui désigné à son tour comme l'instigateur, avec les Etats-Unis, d'un complot pour aggraver l'état, déjà fracturé, des relations bilatérales.
L'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (Oiac) s'est réunie hier à la demande de la Russie pour examiner le contentieux, demande qualifiée par le Royaume-Uni de «perverse». Les représentants des 41 Etats membres du Conseil exécutif de l'Oiac auront une lourde tâche pour éviter une nouvelle passe d'armes diplomatique dans ce qui est devenu l'une des pires crises entre la Russie et l'Occident, depuis la Guerre froide. Hier, donc, les trois chefs d'Etat turc, russe et iranien se retrouvaient pour un sommet qui visait à faire le point de la situation en Syrie où Moscou et Téhéran soutiennent le régime alors que Ankara apporte son appui aux rebelles, notamment de la prétendue «Armée de libération syrienne» (ALS). Sauf qu'avec le processus d'Astana, les trois pays ont convenu de travailler ensemble, d'autant que la Turquie est en délicatesse avec ses alliés occidentaux de l'Otan au sujet de la menace kurde incarnée par les Forces démocratiques syriennes auxquelles les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni apportent un soutien militaire et diplomatique, au grand dam des dirigeants turcs.
L'intervention de l'armée turque n'a été rendue possible qu'avec le retrait des forces russes présentes à Afrine, Moscou n'ayant pas apprécié le refus des Kurdes des YPG de reconnaître l'autorité du régime syrien sur la région considérée de facto comme «autonome», au lendemain de la défaite de Daesh. Il est significatif qu'en pleine tension entre la Russie et l'ensemble des pays du bloc occidental, la Turquie est restée ostensiblement à l'écart des mesures d'expulsion des diplomates russes en réaction à l'affaire de l'ex-espion Skripal, ce qui n'a pas manqué de raviver la suspicion de ses partenaires au sein de l'Otan, déjà alarmés par la nouvelle d'une prochaine acquisition turque des fameux systèmes de défense aérienne S400. Le rapprochement turco-russe est devenu spectaculaire aussi bien sur le plan économique que politique et militaire, comme en témoignent la relance du chantier du gazoduc TurkStream qui doit permettre à terme à la Russie de contourner l'Ukraine, via la mer Noire, pour exporter le gaz destiné à l'Europe et la livraison des systèmes S400, ordonnée hier par Poutine. L'autre ambition d'Ankara est d'attirer le maximum de touristes russes qui évitent les destinations à risque et sont également confrontés aux conséquences de la crise entre leur pays et les destinations européennes habituelles. S'agissant du dossier syrien, la Turquie ne cesse de rassurer sur ses intentions par rapport à l'offensive actuelle baptisée «Rameau d'olivier», expliquant qu'il s'agit d'une opération préventive face à une menace terroriste incarnée en premier lieu par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dont les FDS et YPG syriens sont proches. C'est sans doute ce qu' a dû répéter le président Erdogan à ses homologues russe et iranien, tous trois étant impliqués dans le processus de négociations engagées à Astana grâce auquel il y a eu une mise en place de quatre zones de désescalade qui ont permis, dans une certaine mesure, de diminuer les affrontements en Syrie.
L'objectif majeur demeure, cependant, de progresser vers le règlement définitif du conflit qui se heurte aux intérêts contradictoires des trois pays impliqués, Ankara ayant des divergences sur la qualification de certains groupes extrémistes rebelles et sur le régime syrien. A cet égard, il semble qu'aucune avancée notable n'ait été obtenue depuis la dernière rencontre des dirigeants russe, iranien et turc à Sotchi, lors de la tenue, le 22 novembre 2017, d'un Congrès national syrien dans la station balnéaire qui n'a pas abouti au résultat escompté.
C'est pourquoi il était question hier de «réorganiser et renégocier les zones d'influence», d'une part, tout en «réfléchissant à l'avenir du nord de la Syrie après le retrait américain» annoncé par le président Donald Trump qui l'a encore confirmé mardi dernier, décision dont l'administration américaine devrait faire état «bientôt», selon le chef du renseignement américain Dan Coats. Pour le président Trump, en effet, la «lutte contre le groupe Etat islamique s'est achevée» par une victoire complète et l'armée US «n'a plus rien à faire en Syrie». A en juger par les propos du représentant spécial du Kremlin pour la Syrie, Alexandre Lavrentiev, cité par RIA Novosti, le sommet devait permettre tout simplement de «faire un certain bilan et dessiner les perspectives» considérées comme «bonnes» par Moscou, au moment où le régime syrien a repris le contrôle de plus de la moitié du territoire, y compris l'enclave de la Ghouta orientale. Raison pour laquelle il serait aventureux de croire que le président Bachar al Assad, qui a besoin militairement et économiquement des soutiens russe et iranien, pourrait s'incliner devant les desiderata turcs alors même que l'armée gouvernementale continue de progresser pour balayer les groupes extrémistes encore présents, notamment vers Idlib. La prise d'Afrine par les forces turques et le cap annoncé de Manbij devraient être sans conséquences pour peu que les troupes américaines en soient retirées, à condition que la Turquie ne tente pas une mainmise définitive sur cette région syrienne par le biais de groupes extrémistes supplétifs. Ankara a sans doute obtenu l'aval de Moscou et de Téhéran dans son offensive contre les Kurdes des FDS et YPG, à charge pour la Turquie de conduire à la table des négociations les groupes rebelles alliés, d'une part, et de respecter l'intégrité et la souveraineté de la Syrie, d'autre part. Téhéran est monté au créneau à ce sujet, pas plus tard que mardi dernier, avec des critiques explicites formulées par le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, cité par l'agence Irna. Preuve que le sommet d'hier qui plaide en faveur d'un «cessez-le-feu durable» en Syrie a peut-être engrangé un progrès manifeste.
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)