Algérie

Un second 1er Novembre devant la porte de l'Elysée



«Dans la nuit du 24 août 1958, les commandos algériens en France ont attaqué un certain nombre d'objectifs stratégiques situés sur le territoire français selon un plan établi qui a surpris totalement l'adversaire. Comme au 1er Novembre, la nuit du 24 août ouvre un chapitre nouveau dans la lutte du peuple pour son indépendance.»Ce sont les premières lignes du communiqué rendu public par le CCE (Comité de coordination et d'exécution), instance nationale du FLN en guerre, après cette offensive généralisée et inédite. Le communiqué en question a été publié par El Moudjahid numéro 29 du 27 septembre 1958. Cette offensive en terre adverse et qui a totalement surpris les autorités françaises a été conçue, sur ordre de la direction du FLN, et exécutée avec audace par les éléments de la Fédération du FLN de France. C'est un cas d'école pour les révolutionnaires et fait partie de la haute stratégie militaire conçue par des hommes qui puisent leur force dans leurs convictions et le respect que leur voue leur peuple pour mener une guerre contre une puissance mondiale.
Certaines décisions et certains faits militaires ou politiques déclenchés par le FLN des maquis durant la guerre de Libération sont devenus des modèles. L'appel du 1er Novembre adressé aux citoyennes et citoyens de toutes les ethnies et de toutes les religions pour apporter leur soutien à l'insurrection citoyenne visant à libérer l'Algérie de la domination coloniale, le Congrès de la Soummam qui a unifié les forces anticoloniales que compte le pays, qui a structuré le pays en wilayas, qui a organisé l'ALN en véritable armée et, surtout, qui a tracé une ligne de conduite politico-idéologique à la Révolution en sont les exemples les plus frappants. Transposer la guérilla urbaine dans le camp de l'ennemi qui plus est une puissance militaire mondiale a laissé admiratif le généralissime Giap, le héros de Diên Biên Phu. Chaque chose est à sa place.
L'invention de nouveaux concepts qui n'ont jamais été entendus durant les années de braise et qui ont été mis, récemment, sur la scène politico-médiatique par des maquisards qui ne figurent sur aucune tablette de cette épopée libératrice ne refera jamais l'histoire de ce pays et de ses révolutions. Il ne serait pas honnête, en effet, d'évoquer l'énorme contribution militaire, en ressources humaines, son implication médiatique et, surtout, financière sans ouvrir brièvement une parenthèse sur le sort qui a été réservé à cette instance, essentielle, après l'indépendance. Effectivement, comme on a escamoté le rôle du GPRA partisan de la légalité institutionnelle et la prise de pouvoir par la voie démocratique, on a usé de la même méthode pour tenter d'effacer le rôle grandiose de la Fédération du FLN de France également partisane de la légalité institutionnelle.
Naissance du second front sur les terres de l'adversaire
Revenons à cette offensive générale. Maîtrisant parfaitement la communication, la seconde partie du communiqué cité plus haut est destinée à l'opinion publique française et même internationale, puisque la France est une étape importante de la circulation de l'information mondiale, le CCE complète son message : « Le CCE attire l'attention de l'opinion publique française sur le caractère strictement stratégique de notre combat. Le choix des objectifs et des méthodes démontre notre désir d'épargner les populations civiles. Nous n'oublions pas le massacre de 600 000 sans armes dont un grand nombre de femmes et d'enfants. » Pour le CCE, les combattants du FLN ont reçu l'ordre d'attaquer en premier lieu les complexes pétroliers et les réserves de carburant extrait des terres algériennes, raffiné en France et qui sert à l'aviation française qui bombarde les populations civiles dans les mechtas et les djebels.
Ainsi, la raffinerie de Mourepiane, près de Marseille, a été attaquée le 25 août à 00 heure 15. Des milliers d'hectolitres de carburant sont partis en fumée. Second objectif, selon le CCE, de cette attaque massive, « prolonger sur le territoire ennemi la guerre par les vaillants combattants de l'ALN ». Le bilan global du lancement de l'implantation du second front, entre le 25 août et le 27 septembre 1958, fait état de 56 sabotages, 256 attaques contre 181 objectifs. Sur le plan humain, 88 morts et 188 blessés ont été recensés.
Incendie d'un dépôt de carburant.
Les raisons stratégiques de cette transposition de la guerre en terre ennemie
En 1958, l'ALN étouffait dans les maquis. Isolés et manquant de tout, les chefs militaires des Wilayas ne savaient plus quoi faire. À ces difficultés logistiques dans les maquis, s'ajoutent l'assassinat de Larbi Ben M'hidi, la Bataille d'Alger qui a décimé les effectifs de l'importante Zone autonome d'Alger, et le départ de quatre membres du CCE vers l'étranger : Krim Belkacem et Benkhedda vers la Tunisie, Abane Ramdane et Saâd Dahleb vers le Maroc. En clair, la Révolution algérienne se trouvait dangereusement au creux de la vague. Il était urgent de dégager une issue. Cependant, l'ouverture d'un second front ne datait pas de l'arrivée, le 31 mai 1958, de De Gaulle au pouvoir et n'a pas été dictée par la conjoncture difficile des maquis. C'était une option stratégique. En effet, le Congrès de la Soummam de 1956 avait fait un choix de s'appuyer de manière décisive sur la Fédération du FLN de France. Le temps a donné raison aux décideurs du FLN. L'implication forte de la Fédération du FLN de France a permis à la Révolution de se doter d'un moyen de sensibilisation de l'opinion publique française et occidentale, d'avoir un gisement de financement stable et une structure qui déstabilise la quiétude des Français qui se détachent de la guerre que leur gouvernement et leur armée mènent injustement contre un peuple qui n'aspire qu'à vivre en bonne intelligence avec les autres peuples. Le Congrès de la Soummam a, en effet, consacré un chapitre important à la Fédération du FLN de France. Il lui a fixé trois objectifs. Le premier objectif qui lui a été assigné consiste à organiser l'émigration algérienne en Europe ? les dirigeants du FLN pensent au-delà du seul territoire français. Second objectif, soutenir financièrement l'effort de guerre. Tout le monde sait maintenant que cette fédération a fourni plus de 80% des dépenses du FLN/ALN. Et enfin, le Congrès de la Soummam charge cette fédération d' éclairer l'opinion publique française et étrangère. À cet effet, les dirigeants du FLN/ALN se sont sûrement dit qu'une petite action de rue à Paris est plus rentable au plan médiatique et politique qu'un grand succès militaire dans un djebel isolé. Avec la bénédiction de CCE, sous l'impulsion de Abane Ramdane, cette fédération a transformé une partie de son potentiel militant en de redoutables unités de commandos.
Les événements d'Octobre leur ont donné raison. «Je peux témoigner que les consignes du Congrès de la Soummam ont été bien appliquées», attestera Mohamed Ghafir, dit Moh Clichy, ancien chef de la Super-zone de la Wilaya I (Paris/Sud), au sein de la Fédération du FLN de France, également auteur de l'essai : Cinquantenaire du 17 Octobre 1961 à Paris : droit d'évocation et de souvenance. A travers la consigne donnée à Omar Boudaoud avant que ce dernier ne rejoigne Paris, pour superviser la gestion de cette instance politique, Abane a greffé l'aspect militaire à l'instance. Il a, en quelque sorte, sonné la charge. Ghafir donne une précision importante : «À son arrivée en juin 1957 au Maroc, Abane Ramdane a signé, sous le nom de guerre Ramdan, un document dont le contenu est le suivant : ??Par décision du CCE, en date du 10 juin 1957, le frère Omar (Omar Boudaoud, ndlr) est désigné comme responsable de la Fédération de France. Le frère Sadek qui assure actuellement l'intérim du frère Mourad (Terbouche), arrêté récemment, devra passer tous les pouvoirs au frère Omar qui devra rejoindre Paris sans délai".»
Notre interlocuteur ajoutera : «Par ailleurs, avant de rejoindre la France, Omar Boudaoud reçoit de Abane une autre consigne. Il lui dira notamment : "Préparez-vous car au moment opportun, vous allez transporter la guerre en France." Comme seconde consigne, Abane a ordonné aux membres du Comité fédéral de s'installer en dehors de la France pour éviter l'arrestation. Par la suite, les 5 membres se sont installés dans le territoire de l'ex-RFA, d'où ils ont dirigé, en toute tranquillité, les activités de cette fédération jusqu'à l'indépendance.»
Mettant en branle ce nouveau modèle de lutte, en juillet 1958, quelques jours avant le déclenchement de ces attaques, Ferhat Abbas, membre du CCE élargi, déclara à partir du Caire : «S'il (de Gaulle, ndlr) décide de poursuivre la politique de ses prédécesseurs, le FLN décide dans le cadre d'un plan qui consiste à transporter la guerre en territoire français pour la libération de l'Algérie.» Dès lors, la guerre d'Algérie prendra une autre dimension.
À noter la proximité d'une autre double date (le 20 Août) avec celle du 25 du même mois. Il se dit, en effet, que l'offensive en Métropole devait être déclenchée le 20 août. Seulement, elle a été décalée de quatre jours parce que tous les commandos de choc de la FF n'étaient pas tous arrivés en France ou n'ont pas terminé leurs préparatifs.
Comment la ville de Paris a été impliquée dans la guerre
Selon un bilan établi par Pierre Jox, alors qu'il était ministre de l'Intérieur français, de janvier 1956 à janvier 1962, il a été dénombré 11 896 actions armées organisées sur le territoire français.
Dans le détail, la plus grande partie de ces actions a été accomplie après le 25 août 1958. Le bilan des pertes humaines nous apprend que 4 200 Algériens ont été tués et 8 800 blessés. Du côté français, le rapport de Pierre Jox décompte 220 morts et 1 200 blessés. Ces chiffres attestent que la Fédération du FLN de France participait au financement de la guerre, jouait un rôle de relais des positions du FLN, mais elle avait surtout versé une bonne partie de son potentiel militant dans l'action armée et dans le c?ur même du territoire de l'adversaire. En fait, l'action armée a commencé par la résistance contre les messalistes. Moh Clichy revient sur cet épisode dramatique pour la lutte armée pour l'indépendance de l'Algérie. « Il y a eu une lutte acharnée avec son lot de morts des deux côtés. Les messalistes ciblaient les cadres du FLN puisqu'ils les connaissaient étant donné qu'ils étaient ensemble au sein du PPA/MTLD. »
Impact médiatique de l'attaque.
À ces difficultés, les militants de la Fédération de France devaient faire face à la férocité de la police sous les ordres de Papon, les harkis amenés d'Algérie et d'autres sources de violence. À son arrivée, Omar Boudaoud avait trouvé un embryon de l'OS (Organisation spéciale) ou le groupe de choc pour constituer les premiers commandos d'attaque. D'après Moh Clichy, c'est Bouaziz Rabah dit Saïd qui chapeautait cette organisation de combat armé. Selon lui, le premier acte de guerre organisé sur le territoire ennemi a été mené en mai 1957 avec l'exécution, par trois fidaïnes, d'Ali Chekal, le président de l'Assemblée algérienne.
Cet acte a eu un impact immense puisqu'il a été accompli devant le président de République française René Coty, alors que ce dernier venait de sortir du stade où il a assisté à la finale de la Coupe de France. Mais cette action a été dictée par le FLN pour faire face à un impératif politique urgent. Chekal devait aller à l'ONU pour contredire les amis du FLN qui avaient réussi à introduire la question algérienne dans les débats de l'Assemblée générale de cette instance mondiale. Elle n'entrait pas encore dans une stratégie de transposition du combat militaire sur le territoire de l'adversaire. Une fois recrutés, des commandos ont été disséminés au Maroc, en Tunisie, en France et en Allemagne pour subir des formations de guérilla urbaine. Aucun responsable, encore moins les simples militants n'avait le droit de poser des questions sur les activités de ces groupes de choc.
Dans la doctrine du FLN, le combat armé est un appui au combat politique. En la matière, le bilan de la Fédération du FLN de France est éloquent. On lui reconnaît également l'organisation des évènements de 1961 qui ont ébranlé la conscience d'une bonne partie de l'intelligentsia française, poussant des intellectuels de renom à apporter leur soutien à cette lutte.
Rappelons le manifeste signé par 121 intellectuels français qui déclaraient, entre autres : « Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment qu'il est de leur devoir d'aide et de protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français. »
Une telle déclaration d'un collectif de poids n'est certainement pas passée inaperçue au sommet de l'Etat français. On peut également inscrire à l'actif de cette instance, la mise en place du réseau Jeanson et d'autres faits d'armes dont la liste est longue.
Abachi L.
Quelques actions de commandos exécutées par les éléments de la FF à partir du 25 août 1958.
Nuit du 25 août 1958 à 00 heure :
* Marseille et Narbonne : incendie des dépôts pétroliers à Lavéra, La Mède, Saint-Louis, les Aygalades, Cap Pinède, Port de Marseille, Mourepiane.
* Paris : attaque du garage de la préfecture de police : 3 gardiens de la paix tués.
- Attaque d'une fabrique de munitions dans les faubourgs de la ville : 4 policiers tués.
* Vincennes : 1 brigadier de police tué
* Toulouse : 2 cuves de supercarburant incendiées, soit 1 200 000 litres.
* Port La Nouvelle: 10 cuves contenant 8 millions de litres de fuel sont la proie des flammes.
* Frontignan : tentative d'incendie de la raffinerie Mobil Oil. 5 bombes découvertes.
* Le Havre : sabotage et incendie à la raffinerie Esso de Notre-Dame-de-Gravenchon.
* Alès (Gard) : incendie de dépôt de carburant.
* Cagnes-sur-Mer : sabotage de la voie ferrée, un train déraille.
* Var : incendie de la forêt pour disperser les moyens de secours.
* Paris : voiture de police attaquée - 3 policiers blessés.
Le 27 août 1958 :
* Martigues-Lavéra : 1 jeep est attaquée - 1 brûlé.
* Mourepiane : nouvelle explosion - un quatorzième réservoir menace d'exploser.
À Mourepiane, plusieurs jours après, des bacs brûlent encore, et l'un d'eux explose. On compte dix-sept blessés ou disparus parmi les sauveteurs.
* Narbonne : une douzaine de réservoirs de carburant en flammes.
* Paris :
- Ivry : incendie du dépôt de véhicules militaires - 3 policiers tués, un blessé.
- Gennevilliers : incendie du dépôt de carburant.
- Porte-des-Lilas : un commando tente de forcer un barrage de police.
- Villa Coublay : tentative de sabotage du terrain d'aviation.
- Un sous-officier en permission est tué dans le métro.
* Salbris : sabotage de la voie ferrée Paris - Vierzon.
* Vincennes : échec du sabotage de la cartoucherie, un policier tué.


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