C'est au tour de la Syrie de vivre des
événements douloureux que connaissent d'autres pays arabes, découvrant l'usage
d'ingrédients déjà employés ailleurs, à tel point que les uns et les autres
n'hésitent plus à parler de scénario préétabli.
Tout commence,
comme à Benghazi, par des groupes de manifestants à Deraa,
à la frontière jordanienne, soutenus par des tireurs au milieu de la foule,
provoquant une réaction des services de sécurité, El Jazira,
BBC Arabic et France 24, avec les autres télévisions
« occidentales » se mettent de la partie diabolisant ce qu'ils appellent le «
clan Assad ». Des « tireurs d'élite » dont personne ne
semble connaitre l'identité tirent sur les
manifestants, les « groupes des droits de l'homme » entrent en jeu suivis des
gouvernements américain, français et britannique qui mettent la pression et
dénoncent ce qu'ils appellent le « massacre prémédité des civils ». On crie à
la répression des journalistes alors que le monde connait
la plus grande opération de manipulation et de désinformation de son Histoire,
on préfère les « témoins » à la vérification de l'information et à la critique
des sources. Drôle de journalisme !Les seules images
considérées comme crédibles sont singulièrement celles de téléphones portables
dont on ne connait pas la source. Puis, on arrive à
la scène de la revendication du « départ du régime » avant, bien entendu,
l'internationalisation du problème au « conseil de sécurité » qui
représenterait la « communauté internationale ». Ce scénario est décidément
bien huilé. Même les médias algériens ne font que reproduire les infos «
occidentales » alors qu'il aurait été plus opératoire de recouper les
informations en recourant à une diversité de sources dont l'agence de presse
syrienne. Paradoxalement, dans ce type d'opérations, il est trop peu facile de
faire le tri entre les faux et les vrais journalistes.
Il ne se passe
presque pas un jour sans que les médias américains, le Congrès et la Maison Blanche
ressortent l'épouvantail syrien. Tous les prétextes sont bons. Déjà, la
prolongation du mandat d'Emile Lahoud à la présidence
du Liban a été utilisée, il y a quelques années, comme un lieu de légitimation
de la résolution du conseil de sécurité invitant la Syrie à quitter le pays du
Cèdre. Cette relation conflictuelle avec les Etats Unis qui a connu une détente
très relative vers le milieu des années 90 reprend de plus belle et n'épargne nullement
le fonctionnement normal d'institutions trop atrophiées et encore trop marquées
par la situation de guerre permanente qui oblige les dirigeants à une extrême
austérité. Pour le moment, et surtout après l'occupation de l'Irak et la grave
crise secouant le mouvement national palestinien, les choses sont extrêmement
difficiles. Les responsables ont cherché, par tous les moyens, à apaiser leurs
rapports avec les Etats Unis en offrant certaines garanties et de nombreuses
concessions et en lançant un grand programme de libéralisation. Mais rien ne
semble résister à cette guerre qui ne dit pas son nom. L'assouplissement du
contrôle des changes, les diverses incitations fiscales et douanières ont
certes permis la mise en place de centaines de sociétés mixtes, mais cette
ouverture économique qui n'a d'ailleurs pas favorisé des transformations
politiques profondes a surtout bénéficié à certains cadres du régime et à leurs
alliés dans le secteur marchand parasitaire qui se lancent souvent dans la
distribution, l'immobilier et l'agriculture. Les clins d'Å“il à Washington n'ont
pas manqué, malgré la profonde crise entre les deux pays. Cette ouverture
économique ne s'est jamais accompagné de réelles
transformations politiques.
Le régime évoque depuis longtemps des réformes
possibles qui tardent à venir. Il a fallu ces violences de 2011 pour que le
pouvoir décide d'abroger la loi portant état d'urgence et de supprimer la cour
de sûreté de l'Etat tout en promettant une véritable ouverture politique et
médiatique. Les prisons, en raison de fortes pressions internationales,
commencent, malgré tout, à s‘ouvrir dans un pays marqué par la forte empreinte
de la police politique redoutée par les uns et les autres et du parti Baas appelé peut-être à devenir un parti comme les autres. La Syrie connaît de sérieux
problèmes. Ainsi, cette société, caractérisée par la forte présence du parti Baas ne cesse de vivre au rythme d'une guerre intérieure
longtemps différée et d'une agression extérieure qui n'arrête pas d'être
obsessionnellement présente. Il y a un peu plus de trois décennies, en 1981, un
grand mouvement islamiste se met quelque peu à remuer, la répression, élément
central du pouvoir, sera impitoyable. La ville de Hama connaîtra des moments
terribles et vivra au rythme de centaines de morts. C'est vrai que ce pays qui
reste encore visé par les Etats Unis et Israël est une dictature qui ne
s'embarrasse nullement de formes pour emprisonner des opposants condamnés à
l'exil ou au silence. Même parfois, des dignitaires du régime, soupçonnés de
possibles retournements, sont carrément éliminés de la scène politique. C'est
le cas du frère de Hafedh el Assad,
Rifaat qui n'a dû son salut qu'à sa fuite à
l'étranger après avoir occupé le poste tant convoité de numéro deux d'un rais
qui a privatisé l'Etat en en faisant une affaire familiale. Ce n'est pas sans
raison que son fils lui a succédé après son décès. Juste avant la mort de Hafedh el Assad, alors que la
lutte pour la succession battait son plein, un ancien chef de gouvernement, Mahmoud
Zoghbi est assassiné. Quand on veut faire le ménage à
l'intérieur du régime, on recourt systématiquement à ce que le langage officiel
affuble de l'expression « campagnes de lutte contre la corruption ». La Syrie a connu de nombreuses
campagnes de corruption accompagnant souvent des crises graves comme celles
entreprises en janvier 1997, suite à l'absence de Hafez el Assad,
par son deuxième fils, Bachar qui contrôle tous les
services de sécurité et qui a poussé de nombreux cadres du régime, souvent proches
du rais , après la confiscation de leurs biens, à
l'exil. Ces scénarii sont tellement nombreux qu'ils se ressemblent à tel point
que chaque fois que la bataille pour la succession s'annonce dure, des têtes
tombent. C'est l'implacable logique d'un régime qui, souvent, ne se soucie
guère des droits individuels. Ce n'est pas pour rien que Nourredine
el Atassi, l'ancien président renversé par le maître
des lieux actuels en 1970, a
connu un sort beaucoup plus triste que celui de Ben Bella,
passant une trentaine d'années sans procès. Des
centaines de détenus politiques se trouvent encore dans les geôles. Une dizaine
de journalistes condamnées souvent à de très lourdes peines traînent le corps
dans les cellules sans que les uns et les autres ne s'en soucient. D'ailleurs,
l'un d'entre eux, Rida Haddad, ancien éditorialiste du quotidien Techrine, est décédé en prison, faute d'être soigné.
Depuis toujours,
les activités politiques sont très sévèrement contrôlées et surveillées par une
multitude de services de sécurité omniprésents. Ainsi, le fameux front national
progressiste qui regroupe certaines formations politiques, dirigé par le Baas, ne permet pas aux partis le composant (mis à part le Baas) d'activer dans les syndicats, les universités et dans
certains secteurs considérés comme sensibles. Cette situation permet de
nombreux dépassements et légitiment l'emprisonnement de milliers d'opposants
venant souvent des milieux de gauche et des islamistes.
Certes, ces dernières années, sous la pression
internationale et la grave crise économique vécue par le pays, les dirigeants
commencent à s'ouvrir quelque peu. L'Assemblée du Peuple commence à être
accueillante aux « indépendants ». Ce qui n'était pas le cas dans le passé.
Environ trois milliers de détenus politiques dont un grand nombre d'islamistes
ont été libérés en 1991. Mais les autres formations sont irrémédiablement chassés comme par exemple les Frères musulmans, le parti
communiste Bureau Politique, Harakat attawhid el Islami ou
l'organisation nationale nassérienne ou des organisations palestiniennes.
La peur reste la
chose la mieux partagée dans un pays où les services de sécurité sont
omniprésents. Partout, l'ombre du policier anonyme trône sur tous les secteurs
d'une société condamnée au silence et à la peur. Ainsi, pour justifier les
emprisonnements et la torture, on ressort l'éternel refrain de la guerre contre
Israël. Dans tous les quartiers de Damas passent et repassent des agents des moukhabarat à la recherche de la moindre parole différente.
Il est presque interdit de respirer ou de souffler dans un territoire où les
posters du président peuplent tous les murs et tous les lieux publics comme si la Syrie se réduisait à l'image
de cet homme peu à l'aise devant les micros et les caméras. Le président sait
qu'il a été un rais de substitution après la mort accidentelle de son frère
appelé à occuper ce poste après la disparition du père.
La Syrie est un pays des paradoxes. Tout
en épousant les contours du discours baasiste fondé sur la laïcité, le pouvoir
fait fonctionner les ressorts confessionnels. Ainsi, le Baas
qui se veut investi de l'idéologie de Michel Aflaq
reste traversé par les lieux abscons de la pratique administrative et d'une
gestion anachronique souvent fondée sur une logique de répartition des postes
et de la rente confessionnelle (qui remet en cause l'un des fondements
théoriques du Baas, la dimension laïque), tout en
s'appuyant essentiellement sur une alliance d'officiers supérieurs et de grands
entrepreneurs et commerçants très liés aux élites au pouvoir par des intérêts
d'affaires et des relations familiales. Le pouvoir reste marqué par le
clientélisme et le népotisme, deux phénomènes essentiels, voisins de la
corruption généralisée, d'ailleurs dénoncée par les pouvoirs publics, mais très
souvent utilisée à des fins de règlements de compte.
Mais ce qui caractérise la société syrienne,
c'est cette propension à faire des affaires. Les circuits parallèles
essentiellement alimentés par le trafic et la contrebande provenant surtout du
Liban marquent la culture de l'ordinaire, empêchent l'émergence de couches
moyennes capables de mettre en Å“uvre un projet différent et favorisent la
paupérisation continue des populations. La vie est extrêmement chère. Les
salaires sont très bas. Plus d'un million de personnes travaillent dans la
fonction publique, mais la plupart sont obligées d'exercer un ou deux autres
boulots pour vivre normalement. Des enseignants à l'université sont obligés
pour subvenir à leurs besoins de faire chauffeur de taxi ou quelque autre
métier. Acheter une voiture étrangère n'est pas une affaire simple. Il faut
attendre plus d'une dizaine d'années pour pouvoir en acquérir une, à tel point
qu'il y a un trafic fou des billets d'importation dans un pays où le change au
noir est devenu chose courante. La monnaie locale a perdu énormément de sa
valeur. Les Algériens ne connaissent souvent de ce pays que Souk el Hamidiyya, un marché qu'ils fréquentent assidûment, à
défaut de la bibliothèque El Assad qui n'est pas très
fournie, mais qui reçoit de nombreux universitaires algériens qui, souvent,
découvrent ainsi un pays arabe et un souk, à défaut de la bibliothèque. Les
nombreuses carences du secteur public rendent les choses encore plus
difficiles, surtout que le plateau le plus fertile, très riche en eau, le
Golan, est toujours occupé par les Israéliens.
La Syrie qui vit l'état d'urgence depuis
1963 n'arrive pas encore à entreprendre une véritable ouverture politique
malgré une relative embellie dans le domaine économique. La presse (Techrine, Ettawra…), marquée par
des clichés et des stéréotypes, comme les représentations artistiques et
théâtrales, sont sévèrement contrôlées par les ministères de l'information et
de l'Orientation. La censure marque tous les lieux culturels. Jusqu'à présent,
les dirigeants rechignent à envisager des ouvertures dans le secteur
médiatique. Les journaux consacrent la grande partie de leur espace aux menaces
extérieures. Mais il se trouve qu'en dehors des circuits officiels, agissent
des intellectuels et des artistes développant un discours différent et appelant
quotidiennement le pouvoir à mettre en Å“uvre de sérieuses réformes
démocratiques. Seront-ils entendus par les pouvoirs publics qui rencontrent
déjà d'énormes difficultés à gérer cette nouvelle crise extrêmement profonde,
décidément trop complexe convoquant l'Histoire et les relations conflictuelles
avec les Etats Unis et Israël ? On ne sait pas ce que réserve l'avenir à un
pays dont la société est prisonnière d'une occupation israélienne permanente
assortie de perpétuelles menaces, d'un régime encore fermé, entamant une
ouverture trop récente sous la pression des événements et d‘un pouvoir d'achat
qui s'érode continuellement.
La crise actuelle
qui semble faire partie d'un scénario visant la déstabilisation de tous les
pays arabes a trouvé un terrain très fertile caractérisé par l'absence des
libertés et par l'omniprésence de la police politique. Cette situation pourrait
peut-être permettre au régime d'entreprendre de sérieuses réformes politiques.
Mais le laissera t-on faire car l'objectif de cette opération dépasserait
largement les territoires arabes ? La pièce est tellement bien fignolée que
toute tentative de changement serait considérée comme trop peu satisfaisante, à
l'image des situations vécues dans d'autres pays. Les choses sont trop
délicates dans un pays qui n'est, certes, pas la Libye, mais qui semble
vouloir éviter le syndrome libyen, même si comme pour Tripoli, la
désinformation commence à jouer à fond, à commencer par les présentations trop
orientées et unilatérales de télévisions et de journaux n'arrêtant pas de
donner des leçons de professionnalisme et de démocratie aux pays du Sud.
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Posté Le : 28/04/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ahmed Cheniki
Source : www.lequotidien-oran.com