Cela a commencé
comme un épisode tragi-comique dans les appartements feutrés d'une des plus
grandes fortunes françaises et ça vire sévère au scandale d'Etat.
Au départ,
Françoise, craint que sa mère, Liliane Bettencourt, une vieille dame qui est la
1ère fortune de France et propriétaire du groupe L'Oréal, ne perde quelque peu
la tête. Celle-ci s'est en effet entourée depuis la mort du patriarche de la
famille, André Bettencourt, ancien ministre et multimilliardaire, de bien
curieux personnages. Prenons le cas de François-Maris Banier, un écrivain,
photographe, artiste échevelé et courtisan de profession, qui est devenu «
l'ami » de Liliane Bettencourt. Gigolo n'est pas l'appellation exacte car quel
gigolo dans l'histoire a réussi, en un tout petit nombre d'années, à toucher pour
gages un milliard d'euros (!), en affichant de surcroît son homosexualité ?
Symbole de cette générosité sans limite, Liliane a ainsi offert à son favori,
l'île d'Arros, dans l'archipel des Seychelles. Pour faire bonne mesure, la
vieille milliardaire a fait de son « favori », son légataire universel. En cas
de décès de ce dernier, c'est « l'ami » de celui-ci qui devait recevoir sa
fortune.
Tragi-comédie domestique
chez les grands-grands-bourgeois et leurs amis
Un homme
d'affaires, Patrice de Maistre, gère le patrimoine de la vieille dame, sa
principale activité consistant à mettre l'essentiel de cette fortune hors des
griffes du fisc français en plaçant des centaines de millions d'euros entre le
Liechtenstein, la Suisse et autres paradis fiscaux. Pour prouver sa
reconnaissance, Liliane, outre une rémunération très substantielle, offre à de
Maistre un charmant petit yacht de 21 mètres de long. La brave femme ! De
Maistre, prudent, engage la vieille milliardaire à ne pas parler de ce modeste
présent à sa fille Françoise. Car Françoise qui a toujours été très proche de
sa mère, s'inquiète. Elle a de plus en plus de mal à maintenir le contact avec
sa mère, Banier et de Maistre organisant un véritable cordon sanitaire autour
de la milliardaire âgée de 86 ans. Françoise, tenue à distance, craint une
escroquerie et porte plainte devant la justice française pour « abus de
faiblesse » sur la personne d'une femme très âgée et qui visiblement n'a plus
toute sa tête. Eh oui ! Ça se passe comme ça dans les beaux quartiers de la
capitale !
Et ce n»est pas
tout, car, il y a les coulisses, à savoir, les dépendances, buanderies,
cuisines où s'agite une très importante domesticité. Comme le dit l'adage, même
un très grand homme n'a pas de secret pour son domestique. Et les très nombreux
secrétaires, maîtres d'hôtel, gouvernantes, bonnes, femmes de chambre,
chauffeurs qui servent jour et nuit Liliane Bettencourt, sont très divisés.
Certains ont rejoint le camp Banier, d'autres dénoncent l'influence perverse et
intéressé du photographe mondain, celui-ci ayant même réussi à chasser les
médecins traditionnels de la vieille dame pour les remplacer par des toubibs
amis.
Pascal Bonnefoy, qui fut le majordome d'André
Bettencourt avant de devenir celui de Liliane, horrifié par les pratiques de
l'entourage, place un magnétophone dans le bureau ou De Maistre, Banier et
Mme Bettencourt tiennent de nombreuses réunions tournant pour l'essentiel sur
l'argent à soutirer à la vieille milliardaire. Au résultat, il obtient 21 CD de
conversations enregistrées entre mai 2009 et mai 2010. Le majordome visait-il
lui-même se livrer à un fructueux chantage ? Pas du tout. Il veut dénoncer le
scandale et livre bout par bout les extraits à la presse. Pour l'instant, cette
histoire qui ferait passer le très long feuilleton Dallas pour une suite mièvre
d'histoires à l'eau de rose, reste ce qu'elle est : une pitoyable et grotesque
arnaque dans des splendides hôtels particuliers dont la victime est une pauvre,
pauvre vieille femme très, très, très riche et qui n'a plus toute sa tête.
Au XIX° siècle,
cette pantalonnade aurait inspiré une comédie sautillante à Labiche ou une
fable grinçante à Octave Mirbeau. Mais le pire est à venir.
Après la
révélation des enregistrements dans la presse, la plainte de Françoise
Bettencourt, la Cour d'appel, après d'étonnantes hésitations et
tergiversations, se décide enfin à nomme un juge d'instruction. Celle-ci,
Isabelle Prevost-Deprez interroge des domestiques comme Dominique Gaspard, l'ex
femme de chambre et Henriette Youpatchou qui lui confirment la dégradation de
l'état de santé de leur ancienne patronne. Mais quand elle veut accéder aux 21 CD
enregistrés, un procureur lui en interdit l'accès ! Ce même procureur veut
mettre fin à la plainte de Françoise Bettencourt, invoquant des vices de forme.
De même, ce haut magistrat ne semble aucunement s'émouvoir des très nombreux
délits fiscaux que l'affaire à révélé. Ce comportement étrange du procureur Philippe
Courroye surprend l'ensemble des observateurs, d'autant que, fait fâcheux, ce
dernier ne fait pas mystère de sa très forte proximité avec Nicolas Sarkozy.
Proximité tellement affichée que le corps des magistrats s'est opposé vivement
à sa nomination comme Premier procureur de Paris.
L'affaire prend donc un détour politique.
Répondant aux questions de la Brigade financière, Claire Thibout,
l'ex-comptable privée du ménage Bettencourt, qui a noté scrupuleusement toutes
ses opérations sur des petits carnets, confirme l'existence d'importantes
sommes servant à financer les campagnes de l'UMP. Visiblement pour échapper à
l'inquisition fiscale, les Bettencourt ont largement contribué aux campagnes
présidentielles : on parle de 150 millions d'euros alors que la contribution
versée à un parti par un particulier ne peut excéder 7500 euros.
Enfin, intervint«
l'Etat neutre et impartial »…
Plus grave, tant
les enregistrements que les petits carnets de Claire Thibout mettent en cause
un des plus importants ministres du gouvernement Sarkozy.Maire de la jolie et
très cossue petite ville de Chantilly, capitale de l'hippisme français, Eric
Woerth cumule par ailleurs deux responsabilités apparemment peu conciliables,
il est le trésorier de l'UMP, celui qui sollicite les contributions des Français
les plus fortunés et en même temps, il est ministre du Budget et donc
responsable des enquêtes fiscales. Mieux, Eric Woerth avait demandé à Philippe
de Maistre (auquel il a ensuite remis la Légion d'honneur) d'embaucher son
épouse pour gérer la fortune de Liliane Bettencourt ! Que le monde est petit !
Choquée, la presse quasiment dans son ensemble, l'opposition et, mezzo voce, un
grand nombre d'élus de droite ont évoqué l'évidence d'un « conflit d'intérêts
». Ils ont peut-être tort, il ne s'agit non pas d'un « conflits d'intérêts »
mais bien au contraire d'une gestion scientifique et harmonieuse des intérêts
privés des uns et des autres !
La situation est d'autant plus
croquignolesque qu'en mars 2010, Eric Woerth quitte le ministère du Budget pour
prendre la responsabilité du Ministère du Travail, avec immédiatement la mise
en Å“uvre d'un très gros chantier : le dossier des retraites. Car l'affaire «
Bettencourt-Woerth » a comme arrière-fond la très grave crise
économico-financière qui a démarré en septembre 2008. Comme tous leurs
homologues dans les vieux pays industriels, les salariés et contribuables
français savent bien qu'ils devront payer la note des exubérances du grand
capitalisme financier et des errements ruineux des banquiers et autres traders…
La douloureuse se fait particulièrement
sentir en France sur le système des retraites. Le poids de la démographie, le
vieillissement de la population requièrent d'autant un allongement des
cotisations que la conjoncture économique devrait rester mauvaise pendant
plusieurs années : la crise financière a entrainé une forte contraction de
l'activité et une aggravation des déficits budgétaires : les états ont du «
sortir du cash » pour étancher les conneries bancaires et spéculatives.
Dés qu'il fut arrivé à son poste de grand
réformateur des retraites, Eric Woerth, la mine sévère mais attristée, n'a eu
de cesse que d'appeler la population laborieuse aux « sacrifices nécessaires »
: il faudra nécessairement travailler plus longtemps pour des retraites plus petites
!
Les classes populaires et, depuis deux
décennies, les classes moyennes ont pris l'habitude de payer l'addition pour
des erreurs qu'elles n'ont pas commises. Les nombreuses mesures d'austérité
suscitent en général d'abord de l'agacement voire de la colère pour dans finir
dans une lassitude résignée.
Mais le contexte actuel est tout autre : la
politique dite de « rigueur » sera sans précédent et durera plusieurs années.
Dans un tel climat, les errements des grandes
fortunes, (toujours protégées par le scandaleux « bouclier fiscal » qui les
protège et qui restera certainement la seule promesse électorale tenue par le
candidat Sarkozy), les compromissions révélées entre le monde des affaires, les
fortunes privées et le niveau le plus élevé de l'appareil d'Etat, peuvent à
tout moment faire surgir des crises de rage chez le Français moyen.
Même si la somme en question est
macro-économiquement infime, les Français ébahis ont ainsi appris qu'un
sous-ministre, un certain Blanc, s'était fait payer par l'état sa consommation
annuelle et personnelle de cigares pour la modeste somme de 12 000 euros !
Grosso modo, un an de revenu d'un smicard.
Tous ces petites et grandes fautes morales au
mieux, délits au pire, existaient évidement sous d'autres gouvernements : la
plupart des énarques, cette nouvelle aristocratie française, combinent et
alternent au cours de leur carrière, la gestion des affaires publiques suivie
de nominations à des postes de direction dans des groupes industrielles et
bancaires avec des émoluments munificents. Mais ce qui est toléré par la
population en période de croissance l'est beaucoup moins dans les phases de
récession. Ce que n'a toujours pas comprit notre président « bling-bling »,
pour qui la capacité d'un individu à acquérir une immense fortune reste à
l'évidence la plus grande des vertus. C'est pour cette raison que Nicolas
conserve, malgré les conseils de son propre camp, le « bouclier fiscal » qui
irrite l'immense majorité des contribuables. C'est peut-être également pour
cette raison qu'il maintient contre vents et marées à son poste dans le
gouvernement, Eric Woerth, qui à l'évidence et en ce moment, est «
politiquement mort ». Ce dernier aura en septembre, les plus grandes
difficultés à convaincre les syndicats « des sacrifices nécessaires » après que
les salariés aient appris ses nombreuses accointances avec les Français les
plus fortunés. Mme Woerth qui a du démissionner de son poste de gestionnaire de
la fortune des Bettencourt, a néanmoins réussi, la pôôvre, à trouver un petit
job, un boulot d'attente : elle vient d'être nommée membre du conseil
d'administration du groupe international du luxe, Hermès.
Tout ça, c'est la
faute des Romanichels !
Là où beaucoup de
chefs de gouvernements auraient tranché dans le vif et « démissionner » le
ministre fautif, Nicolas Sarkozy a consacré un log moment de sa conférence de
presse du 13 juillet à la défense de « l'honnête homme » Eric Woerth. On
s'étonne dans Paris d'une telle mansuétude. Fallait-il maintenir Woerth même
démonétisé pour sauver la réforme des retraites ? A moins que le fait que
l'Elysée et même le nom du Président de la République soient cités par des
témoins de l'affaire Bettencourt, ne soit pas un élément anodin. Les épisodes
des prochains moins nous le diront.
Mais le toujours rebondissant Nicolas Sarkozy
n'a pas dit son dernier mot. Au plus bas dans les sondages, il tente de rejouer
à nouveau sa carte favorite, la sécurité. Il avait espéré que les Français
oublieraient leurs ennuis et leurs critiques grâce au Mondial de foot. Hélas !
La pitoyable prestation de l'équipe de France a au contraire ravivé
l'irritation les français. Il ne restait donc que la délinquance. Ah ! que
ferait Nicolas sans les petits voyous de banlieue ? Le Président a donc alerté
les juilletistes et les aoutiens des graves dangers que courre la France en
matière de sécurité. Vols, agressions, les chiffres seraient catastrophiques (à
noter les homicides baissent chaque année de façon importante mais, baste !).
Bref, la France doit avoir peur ! La France a peur !
On a envie de rappeler que la politique
sécuritaire de la France est, depuis huit ans, dirigée par N. Sarkozy, d'abord
comme ministre de l'intérieur, puis comme président…
Comme il fallait faire plus, à défaut de
faire mieux, notre président a décidé cet été de cibler une catégorie
particulière, le jeune voyou immigré ou d'origine étrangère. Après une campagne
odieuse sur les Tziganes, Roms et « gens du voyage » (français ces derniers,
rappelons-le), on promet la déchéance de la nationalité française aux
délinquants français « d'origine étrangère » ! Mesure évidemment
anti-constitionnelle et qui rappelle, comme l'épisode des (200) grandes
fortunes, la période frelatée de l'entre-deux guerres.
Pauvre France !
Pauvre république !
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Posté Le : 05/08/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Pierre Morville
Source : www.lequotidien-oran.com