Algérie

Un roman historique


Populariser de grandes figures de l'histoire ou faire revivre des époques lointaines et contribuer ainsi à la construction d'un récit national, telle est la vocation du roman historique.Dans le cas de l'Algérie, si la période de la guerre de Libération est abondamment traitée, il y a peu de récits du côté algérien sur cette période charnière qu'a été la conquête, les transformations qu'elle a induites sur tous les plans : catastrophes, au sens étymologique du terme, bouleversement total, qui n' a rien épargné, ni les structures politiques, ni les structures sociales, ni les structures religieuses.
Documenter l'histoire du XIXe siècle à partir d'un point de vue algérien
Cette relative pénurie de récits du point de vue algérien -qu'ils soient des sources premières ou des fictions historiques- est sans doute ce qui explique la décision des éditions Casbah de faire paraître à l'occasion du Salon du livre 2017 le roman de Mohamed Sadoun, Débâcle.
Le titre, associé à une couverture reproduisant le tableau d'un peintre orientaliste, Prosper Baccuet, «Vue de Miliana en Afrique du Nord» (huile sur toile, 1848), indique davantage le point de vue de l'éditeur que celui du romancier, les deux se superposant sans s'exclure : si le premier est intéressé par un roman reposant sur une documentation solide et qui pallie un manque, le second s'interroge sur les choix tels qu'ils ont pu être vécus par des tribus n'ayant pas encore la conscience d'être une nation.
Du côté algérien, on ne disposait que de rares points de vue sur la conquête, il s'agissait essentiellement de ceux des deux grandes figures de la résistance, Ahmed Bey et Abdelkader : le premier mène le combat au nom de la fidélité à l'Empire ottoman qui, malgré ses appels réitérés, ne lui envoie aucune aide, le second incarne l'aspiration à un Etat moderne.
Dans le roman de Mohamed Sadoun, la sympathie pour le second transparaît : l'auteur voit en lui celui qui cherche à «dépasser le cadre des tribus et des confréries pour construire quelque chose de nouveau» et aussi celui qui «recommande de donner une grande part à l'instruction de tous.»
Ailleurs, c'est la foi raisonnée de l'Emir que l'auteur pointe, le représentant d'un islam de raison. Le choix des événements auxquels se réfère M. Sadoun participe aussi d'un point de vue algérien : il va des exactions de Bugeaud, aux faits les plus marquants : le traité de la Tafna, la bataille d'Isly, l'exil de certaines tribus au Maroc puis leur retour en Algérie, les transformations des villes, les «villages nègres», le senatus consulte, qui rend provisoirement les terres avant qu'elles ne soient à nouveau confisquées.
Un point de vue sur l'histoire du XIXe siècle
On ne trouvera pas de psychologie dans le roman de Mohamed Sadoun, les personnages incarnent des rôles qui prennent sens dans l'histoire. Ce qui n'empêche pas l'auteur d'éprouver une empathie pour les individus qui ont disparu, tués, condamnés, réduits à la misère et à l'exil, en proie aux épidémies.
C'est en historien de son temps, sensible aux processus de la colonisation, à la mise en ?uvre d'un système à la fois de destructions et de pillages et dans le même temps d'instauration d'un ordre privilégiant l'exploitation des hommes et la rentabilisation des ressources que l'auteur écrit ; le système colonial s'insinue dans toute la vie : il se traduit par la multiplication des implantations villageoises, la paupérisation des indigènes, réduits à vendre leur force de travail aux nouveaux occupants, l'apparition des usines qui permettent à certains de connaître un relatif confort dans un monde où la seule issue est l'assimilation par la fréquentation de l'école, quand celle-ci est accessible.
Historien de son temps, Mohamed Sadoun l'est aussi quand le point de vue rétrospectif qui est le sien permet de faire voir l'étendue du désastre pour l'Afrique du Nord, Egypte comprise : il montre aussi bien les retournements du royaume chérifien lui-même, soumis aux pressions des Anglais, des Espagnols et des Français, que les difficultés de la Tunisie, analogues dans le fond -si ce n'est dans la forme- à celle de l'Algérie.
La défaite d'Orabi Pacha en 1882, qui aboutit à la mainmise de la Grande-Bretagne sur l'Egypte est aussi la fin de tout espoir pour le monde arabe, de l'Atlantique au Moyen-Orient : pour l'auteur, le XIXe siècle est celui de la catastrophe pour des sociétés traditionnelles, qui auront combattu avec courage mais n'auront pu s'opposer à la collusion entre colonisation et capitalisme.
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