Algérie

Un repère de notre histoire perdu



Au temps où l'utilité de l'excursion culturelle avait un sens didactique et qu'elle se justifiait pour élargir l'horizon intellectuel de l'enfant, il était loisible au visiteur de s'offrir une halte en haut de l'escalier de la z'niqa N'fissa-Ramdane (ex-rue de l'Empereur), où gît depuis l'an 1755 le vénéré mufti hanéfite d'Alger, Mohamed Ben Ali, de 1737 à 1755. Situé dans l'îlot de "Houanet Elahamine" (étals de boucheries) de Sidi-Abdallah et au-dessus de la mosquée du même nom, le cheik El Islam Sidi-Ben Ali reposait sous le figuier où furent inhumé les deux filles du dey Hassan Pacha, les princesses Fatma et N'fissa. Et dans le silence du cimetière, la joie de vivre de N'fissa et Fatma fuse comme autrefois d'une ghorfa d'un palais de Zoudj-Aïoune dans la Basse-Casbah. Douces complices, les filles s'épanouissaient dans l'insouciance de leur âge et jusqu'au jour, où elles croisèrent à l'unisson le regard de ce bel inconnu qui ne faisait que passer sous leur fenêtre. Touchées au c?ur ! Cupidon avait fait mouche d'une flèche au bout humecté du doux aphrodisiaque d'amour qu'elles ne connaissaient pas ces perles. Inouïe ! L'une et l'autre s'étaient éprises d'un même homme ! Du reste, ni l'une ni l'autre ne voulait heurter l'autre, de peur d'en rajouter. Et depuis, les deux s?urs s'étaient cloitrées dans le mutisme de la pudeur, où elles se consumèrent telles deux bougies dans l'incompréhension, voire dans l'indifférence : "Qu'il est triste que d'assister à des fleurs qui se fanent au printemps de leur vie", disait-on. Et depuis, les deux princesses gisent à l'ombre d'un figuier à la rue N'fissa-Ramdane (ex-rue de l'Empereur, Casbah) et sous l'aile protectrice du saint Sidi Ben Ali. Seulement, et à notre passage, il ne reste plus aucun repère qui narre l'idylle de N'fissa et Fatma, au motif que ces belles gisent à l'heure qu'il est d'un sommeil tourmenté et sous une chape de "tahtaha", esplanade où leurs tombes ont été ensevelies à sombre dessein. Le but est d'effacer l'Alger de la passion.Et c'est ainsi qu'à l'ombre de la décennie noire, la secte de l'obscurantisme a profané ce lieu de repos des deux princesses pour en faire un mouçala (salle de prière). Pour l'histoire, les tombes étaient constituées de deux "ch'houd" (pierres tombales) ornées à leurs sommets du turban qui faisait tendance dans l'Alger turc. En ce sens, il ne reste plus rien des stèles funéraires, où étaient gravées les épitaphes ci-après : "Voici le tombeau de feu Fatma Bent Hassan Bey. Que Dieu lui pardonne ainsi qu'à tous les musulmans. Amen !" ou encore "Voici le tombeau de celle qui, en possession de la miséricorde de Dieu : N'fissa, fille du regretté Hassan Pacha.
Que Dieu lui fasse miséricorde ainsi qu'à tous les musulmans". Néanmoins, il y subsiste encore dans cette nécropole, une ou deux sépultures surélevées sur un talus et qu'il est difficile d'identifier. Au demeurant, ce lieu de pèlerinage a été rendu célèbre dans une séquence du film La bataille d'Alger (1966) de Gillo Pontecorvo (1919-2006), lorsqu'Amar Ali dit Ali La Pointe (1930-1957) a éliminé un membre de la pègre casbadji. Aujourd'hui, c'est tous ces repères qu'a perdus l'Algérie qui avance et à l'insu de l'autorité qui a laissé faire.

Louhal Nourreddine


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