Algérie

Un raté pour la diplomatie algérienne



Les maladresses commises par l'Algérie dans la gestion de l'affaire de la vidéo enregistrée au siège de l'UE à Bruxelles risquent de l'affaiblir davantage au plan diplomatique et dans la conduite de la politique extérieure.L'enregistrement, réalisé dans l'enceinte du Parlement européen par une journaliste belge d'origine algérienne, aurait été vite oublié, à peine vu par quelques milliers d'internautes, si l'ambassade d'Algérie à Bruxelles ne lui avait pas donné l'écho inespéré qu'il n'aurait jamais eu sans cela. En diffusant un communiqué au vitriol, le département des Affaires étrangères croyait probablement que l'institution européenne allait immédiatement faire son mea-culpa et dénoncer la journaliste. Grosse erreur de jugement.
Par raisonnement logique, il convient de déduire que Layla Haddad n'aurait pas entrepris une telle démarche si elle n'avait pas l'assurance qu'elle ne prenait aucun risque par rapport aux règlements du Parlement européen ou à la législation du pays d'accueil, la Belgique en l'occurrence. L'Algérie aurait pu s'en tenir à cette réaction, certes maladroite, mais forcément de forme. Pas du tout. Agacé par le tweet de l'ambassadeur de l'UE invoquant le respect de la liberté d'expression, le MAE s'entête à exiger une réaction officielle. Il ne l'obtiendra certainement pas. Un coup dur pour la diplomatie algérienne, déjà fortement affaiblie. Dans un entretien récent accordé à Liberté, la constitutionnaliste Fatiha Benabbou a affirmé que notre voix est devenue inaudible à l'extérieur. Elle ne semblait pas si bien dire. Dernièrement, la proposition de l'Algérie portant sur une réforme profonde des mécanismes de fonctionnement de la Ligue arabe et de son approche sur des questions arabes n'a eu aucun écho auprès des Etats membres de l'organisation. La Journée internationale du vivre ensemble en paix présentée, par les médias publics à la date de sa première célébration le 16 mai, comme une initiative algérienne. Elle est corrélée ouvertement à la réconciliation nationale, pour donner l'illusion que la démarche est parrainée par le président de la République. Pourtant, le projet est conçu et défendu, depuis 2014, par Cheikh Bentounes, de la confrérie Al-Alawiya. Son adoption par l'Assemblée générale des Nations unies en décembre 2017 a visiblement incité les autorités nationales à se l'approprier pour combler une absence, de plus en plus remarquable, de l'Algérie dans les institutions internationales. Il est vrai que le pays est présent à tous les grands événements mondiaux, sans peser, pour autant, sur les décisions majeures. L'Algérie s'imposait naturellement dans le règlement des conflits des pays de la région, tout en préservant son principe de non-ingérence. Ce rôle a perdu de sa consistance depuis que le chef de l'Etat a disparu, physiquement, de la scène internationale. En vertu des dispositions constitutionnelles, le premier magistrat du pays "incarne l'Etat dans le pays et à l'étranger" (article 84). "Il arrête et conduit la politique extérieure de la nation" (article 91.34). Le président Bouteflika exerce, désormais, ce pouvoir par procuration. Le tort est surtout dans la multiplicité des cadres de l'Etat auxquels sont déléguées ses prérogatives au-delà des frontières de souveraineté nationale. Pour ne citer que les missions récentes, le chef de l'Etat a été représenté par le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, à la conférence internationale sur la Libye à Paris et au sommet extraordinaire de l'UA ; par le président de l'APN, Saïd Bouhadja, au sommet de l'Organisation de la coopération islamique (OCI) en Turquie, et par le président du Conseil de la nation, Abdelkader Bensalah, au sommet islamique extraordinaire sur la Palestine... Depuis au moins cinq ans, le président de la République n'a effectué aucun déplacement à l'étranger, sinon pour des soins ou contrôles médicaux. Des visites officielles de plusieurs chefs d'Etat (les présidents français Hollande et Macron, le Turc Recep Tayyip Erdogan, le président du Conseil italien, Matteo Renzi, le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, le président du Venezuela Nicolas Maduro, de Cuba Raul Castro...) sont restées à sens unique. Parfois, des déplacements sont annulés (cas de la chancelière allemande Angela Markel) ou reportés (président iranien Rohani) à cause de la détérioration de l'état de santé du Président. Ainsi, l'image de l'autorité algérienne extra-muros est complètement floutée. Ses perspectives sont empreintes d'incertitudes aux yeux des partenaires étrangers de l'Algérie. La diplomatie algérienne est d'autant égratignée par des déclarations inopportunes, comme celle du ministre des Affaires étrangères sur le "blanchiment de l'argent du haschich marocain" ou "la menace" constituée par les migrants subsahariens (octobre et juillet 2017). Le président Bouteflika a entrepris, à son arrivée à la magistrature suprême, une offensive diplomatique qui a ramené progressivement l'Algérie dans le concert des nations, pour reprendre sa propre expression, après la décennie noire. Son repli pour cause de maladie sonne inexorablement le glas de la diplomatie nationale. Il ne sied pas de s'étonner, dès lors, que l'Union européenne ne s'encombre pas d'une réaction officielle dans l'affaire de la vidéo de Layla Haddad.
Souhila Hammadi


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