Et voici le
retour du duo -été-Ramadan, perspective que beaucoup redoutent en raison de la
dure combinaison entre jeûne et canicule. On se dira qu'il y a au moins une
satisfaction, celle de voir se confondre deux périodes habituellement
dévastatrices pour l'économie et la productivité. Ces dernières années, une
phrase du type « on verra ça après l'été » signifiait en réalité « on verra ça
après le Ramadan », c'est-à-dire, au mieux, vers le mois d'octobre. Tout cela
est en train de changer et, d'ici deux Ramadans, septembre redeviendra un vrai
mois de rentrée. Mais là n'est pas l'objet de cette chronique.
J'aimerais vous parler de lecture. Soyez
rassurés, il ne s'agit pas de sujets compliqués ou d'ouvrages savants. On verra
ça à la rentrée. En fait, qui dit canicule dit polar ou roman policier (il y a
une différence entre les deux, si, si, c'est une thésarde qui me l'a expliqué).
Cela vaut aussi pour le Ramadan : quoi de mieux qu'un polar pour tromper faim
et ennui ? Et si le livre en question présente l'avantage d'aiguiser l'appétit
et d'offrir une préparation mentale aux bombances nocturnes, que demander de
plus ? Il faut donc lire un polar ya chriki !
Mais pas n'importe lequel. Pour ce qui reste
de cet été, je vous propose de plonger dans l'univers de l'Italien Andrea
Camilleri, lequel est devenu à près de 80 ans et grâce aux aventures de son
commissaire Montalbano, l'un des auteurs cultes du moment. C'est simple, il n'y
a guère d'écrivains italiens qui peuvent se prévaloir d'un succès aussi énorme
que le sien. Commençons par l'une des principales raisons de la popularité de
Camilleri. Comme l'explique sa notice biographique, cet ancien metteur en
scène, poète et nouvelliste, s'est mis sur le tard à écrire des romans en
italien sicilianisé, une langue drôle qui ravit ses fans.
Emploi incongru du passé simple (« qu'est-ce
qu'il fut ? » au lieu de « que se passe-t-il ? », néologismes en pagaille,
recours aux dialectes et parlés régionaux, profusion de proverbes imagés, la
prose de Camilleri est d'autant plus savoureuse pour le lecteur francophone que
son oeuvre est mise en valeur par la traduction riche et créative de Serge
Quadruppani, lui-même écrivain et journaliste, aidé par Maruzza Loria. Extrait
d'un dialogue, pour vous donner l'eau à la bouche : «-Allo ?-Alli ? - Qu'est-ce
qu'il fut ?-On a tiré. -A qui ? - A un type. - Il mourut ? -Il a mouru. » (1)
Parlons maintenant du personnage principal.
Salvo Montalbano est commissaire à Vigàta,
petite ville imaginaire de Sicile qui correspondrait dans la réalité à Porto
Empedode.
Solitaire, humaniste (ce qui ne l'empêche pas
de succomber à des accès fréquents de misanthropie), grand lecteur et fin
psychologue, sa manière de résoudre les affaires, au centre desquelles se
trouve presque toujours un catafero - un cadavre -, est faire tourner une
pagaille de pinsées dans sa coucourde et de laisser son inconscient le guider.
L'homme n'est pas un rambo mais ce n'est pas non plus Maigret puisqu'il lui
arrive d'user du revolver et, au besoin, de dessouder du malfrat.
En toile de fond, même lointaine, des
enquêtes de Montalbano, il y a, outre la mer, l'Italie d'aujourd'hui : classe
politique minée par les scandales, la corruption et le populisme ; vulgarité
des médias ; emprise de la mafia, désarroi des plus démunis et immigration
clandestine (2). Au détour d'une phrase, d'un dialogue, c'est bien entendu
Camilleri qui laisse parfois transpirer sa colère pour ne pas dire son dégoût
mais c'est bel et bien le ressort comique qui lie l'auteur à son public. Pour
tout dire, Montalbano n'est pas vraiment un marrant. Il peut être ironique,
mordant, verser dans l'autodérision mais, mission habituelle du second rôle,
c'est l'un des policiers de son commissariat qui déclenche le fou rire du
lecteur.
L'agent Catarella, un colosse un peu simplet
mais as de l'informatique (ceci expliquant peut-être cela...), ne sait pas
ouvrir une porte sans la fracasser et semble incapable de transmettre le
moindre message. Second extrait : « - Allô, dottori ? C'est vous, pirsonnellement
en pirsonne qui êtes au l'appareil ? - Je t'areconnus, Catarè. Qu'est-ce que tu
veux ? - Rien, je veux, dottori. - Et alors, pourquoi tu m'appelles ? -
Maintenant, je vais m'expliquer, dottori. Moi, pirsonnellement en pirsonne, je
ne veux rien de vous, mais il y a le dottori Augello qui voudrait vous dire
quelque chose » (1).
Outre le fait d'être un bon flic, la grande
qualité de Montalbano est qu'il aime manger. Dans toutes ses enquêtes, le
passage par une excellente trattoria est incontournable. Plus
important encore - et j'assume le sous-entendu - il adore baffrer en silence,
sans avoir à parler ni à se perdre en vaines palabres. On mange d'abord, on
discute ensuite : voilà le onzième commandement ! Respect pour la nourriture
surtout s'il s'agit de plats cuits comme « u Signiruzzu », le petit Seigneur,
commande. Des anchois assaisonnés à l'huile, au vinaigre et à l'origan
accompagnés d'une tranche de caciocavallo, un fromage au lait de vache. Ou
encore des pâtes aux sardines ou des spaghettis à l'encre de seiche. Autre possibilité, un plat de ditalini (petites pâtes en forme
d'anneau) accompagnées d'une ricotta fraîche et salée à point avec ce qu'il
faut de poivre noir.
Quand Mantalbano mange, il lui arrive d'avoir
les larmes aux yeux. Friture de poissons, soupe de suppions, salade de poulpe,
dorade au four, la liste des pêchés commis par le commissaire est longue mais
il en est un, suprême, qu'il faut citer : la pasta ‘ncasciata. Un dôme de
pâtes, le plus souvent des macaronis, enveloppé par des tranches d'aubergines
et cuit au four. Un plat sicilien par excellence dont la recette varie selon
les familles et qui témoignerait du passé arabe de l'île tout comme la
petrafennula, gâteau au miel, aux amandes, à l'écorce de citron et d'orange et
à la cannelle (3). Quand il s'avale des pâtes ‘ncasciata, Montalbano ne trouve
jamais les mots pour les décrire.
Il lui arrive de les qualifier de « tendres
et malicieuses » mais ce n'est jamais assez pour leur rendre hommage.
Et je vous promets qu'en lisant la
description de ses festins, vous aurez tout plein de pinsées pétissantes qui
vous tournoieront dans la coucourde en attendant le grand moment du f'tour.
En attendant, saha ramdanekoum et doucement
sur le sucre.
(1) « Jour de
fièvre», La peur de Montalbano, Pocket, février 2008.
(2) Sur le sort
des harraga mineurs en Italie, il faut absolument lire «Le tour de la bouée»,
Pocket, février 2006.
(3) «Yasmina,
sept récits et cinquante recettes de Sicile au parfum d'Arabie», par Maruzza
Loria et Serge Quadruppani, Agnès Viénot Editions, 2003.
A lire aussi de
Camilleri, le roman «Chien de faïence» qui fait référence aux Gens de la
Caverne (Ahl Al-Kahf).
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Posté Le : 20/08/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid
Source : www.lequotidien-oran.com