Leur journée est ponctuée de longues chaînes à la Poste pour retirer leur pension, mais aussi pour se procurer le sachet de lait, devenu rare, et même le pain.Certains sont retraités de fraîche date, d'autres depuis quelques années déjà. Mais leur quotidien ne diffère pas tellement. Saïd, Fatsah et Omar sont des amis d'enfance et continuent à se voir tous les jours au jardin public de Lakhmis, dans la ville de Béjaïa. Rabah, leur quatrième complice, a été emporté par la Covid-19 il y a quelques mois de cela, à l'âge de 69 ans. Une fois au square, ils décident ensuite du programme de la journée. Le rituel est le même. Leur journée est ponctuée de longues chaînes à la Poste pour retirer leur pension. Saïd et Fatsah, le même jour. Omar, le lendemain. Mais aussi pour se procurer le sachet de lait, devenu rare.
Et même pour le pain, en ce mois de Ramadan. Certaines boulangeries ont le vent en poupe. Ils racontent leurs journées avec humour. Ils se consolent en terminant leur promenade au tunnel Sidi-Abdelkader, où ils passent le plus clair de leur temps à contempler la mer et les bateaux, qui entrent ou sortent. Saïd est retraité de l'éducation nationale depuis bientôt 7 ans. "J'ai enseigné l'histoire pendant 30 ans. J'ai fait mon métier avec sérieux et j'ajoute, avec beaucoup de bonheur. Aujourd'hui, je peux enfin me reposer pour le restant de ma vie", dit-il. Pour lui, les journées se ressemblent. "Je me lève chaque jour avant 7h.
Le temps de prendre mon petit-déjeuner, c'est l'alerte : j'entends le camion-citerne d'eau de source sonner devant la maison. Mon épouse me tend les jerricans à remplir car ils n'attendent pas ; ils sillonnent les quartiers et sont sûrs de trouver preneurs ailleurs. Avec mon lumbago, ma femme ne me tend que des jerricans de 5 à 10 litres. Si les enfants sont à la maison, ce sont eux qui seront de corvée. L'eau du robinet n'est pas très recommandée pour quelqu'un comme moi, qui a des calculs rénaux. Et l'eau minérale est chère. Donc, je n'ai pas d'autre choix que d'attendre ces distributeurs", raconte-t-il. Pour faire le plein, il doit aller à la queue derrière les voisins, condamnés à la même peine.
L'enseignant à la retraite peut compter sur le soutien de ses anciens élèves, les jeunes des quartiers, qui l'aident à porter ses jerricans. Cela tombe bien, Saïd est le dernier à arriver au square. Ses deux amis sont déjà sur place. Et ils ont l'air pressé. "C'est aujourd'hui que l'on distribue le lait. On est très en retard. Et on risque d'y passer la demi-journée", lance l'un d'eux. Direction le quartier Laâzla. Le camion ne devrait pas tarder à arriver, mais les gens sont à la queue leu leu. Les retraités se sont mis à la file. Quelques minutes plus tard, le camion est là. "Chacun a droit à quatre sachets, pas plus", crie le commerçant. Fatsah, retraité de Naftal, se console : "Il me reste quatre dans le congélateur." Ce n'est pas le cas de ses amis, qui ont plusieurs bouches à nourrir.
C'est avec les mains chargées que les trois retraités reviennent en arrière pour aller acheter les baguettes de pain. Après la fermeture de la boulangerie Oulmou, ils s'approvisionnent chez un nouveau boulanger, sis à la cité Tobbal. Ils assistent au même spectacle que chez le vendeur de lait. Une chaîne interminable. Il est 13h passé. Omar, retraité du port de Béjaïa, fulmine : "Avez-vous déjà vu un pays où l'on doit faire la chaîne pour acheter du pain '" Et Saïd de répliquer avec ironie : "On n'en connaît que celui-là. Aussi, on ne peut pas te répondre." Omar, bien qu'irrité du temps passé chez le vendeur de lait, esquisse un sourire. "Mais que pouvons-nous faire '" lâche-t-il, avant de constater qu'il ne reste que quatre personnes devant lui. Les 19 et 20 de chaque mois, les trois amis se retrouvent non plus au square, mais devant la Poste de la ville. Omar retire sa pension dans le bureau de Sidi-Ahmed. Saïd et Fatsah font, à nouveau, la queue pour retirer leur argent. Ils se consolent en sachant qu'après cette corvée ils iront à Sidi-Abdelkader. S'ils ont le temps, ils prolongeront jusqu'à la brise de mer et monteront jusqu'aux Oliviers respirer l'air pur.
M. OUYOUGOUTE
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Posté Le : 04/05/2021
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Moussa OUYOUGOUTE
Source : www.liberte-algerie.com