Algérie

UN PROFESSEUR ALGÉRIEN À HARVARD SOULÈVE LE PROBLÈME : Hassi Messaoud survivra-t-elle au pétrole?



UN PROFESSEUR ALGÉRIEN À HARVARD SOULÈVE LE PROBLÈME : Hassi Messaoud survivra-t-elle au pétrole?
Il est impératif aujourd’hui de concevoir les villes pétrolières dans la perspective de l’après-pétrole.

La ville nouvelle de Hassi Messaoud peut concilier, voire réconcilier les impératifs a priori antinomiques de l’exploitation d’une ressource non renouvelable et de la promotion d’un développement durable. Chacun de ces impératifs est un défi en soi, aussi, la conciliation pour être ardue n’en est pas moins porteuse d’une valeur exemplaire.
Comment concevoir une nouvelle ville qui puisse à la fois répondre aux nécessités de la production pétrolière et gazière, poumon économique du pays, tout en offrant à ses habitants l’ensemble des fonctions indispensables au développement de la vie d’une communauté dans une géographie particulière.
L’intérêt de cette problématique est qu’elle met en relief la nécessité de coordination de visions entre des secteurs traditionnellement indifférents l’un à l’égard de l’autre, à savoir: l’énergie et l’aménagement du territoire. Autrement dit, comment concevoir l’aménagement du territoire du Sahara d’une manière qui intègre les questions énergétiques, celles liées à la sécurité et celles afférentes à l’environnement? La question est délicate en ce qu’elle invite à tisser des rapports systémiques entre trois paramètres: l’aridité du territoire, la survivance de traditions nomades et la fragilité de l’écosystème qui sont source de défis souvent inattendus.
De nombreux spécialistes discutent aujourd’hui de la taille des réserves pétrolières et gazières de l’Algérie et du nombre d’années dont elle dispose pour exploiter ses réserves.
Ces questions engagent l’avenir du pays d’une manière générale, en particulier celui des villes vivant de l’exploitation de ses ressources fossiles. Un défi crucial pour ces agglomérations est celui de la prise en compte des enjeux de l’après-pétrole.
Quelle vision d’avenir peut-on développer pour une ville dont le développement est lié a l’essor des hydrocarbures et dont les ressources se tariront dans un avenir proche ou en tout cas prévisible? La future Hassi Messaoud n’est évidemment pas la seule ville confrontée à ce questionnement.
Il est impératif aujourd’hui de concevoir les villes pétrolières dans la perspective de l’après-pétrole. A titre d’exemple, Abu Dhabi s’est lancé, il y a quelques années déjà, dans le projet de Masdar. La ville nouvelle de Masdar aux Emirats arabes unis est un cas intéressant car elle est construite sur le principe d’une totale indépendance vis-à-vis des énergies fossiles, fonctionnant uniquement à partir d’énergies renouvelables comme le solaire avec les principes du zéro-carbone et du zéro-déperdition d’énergie.
Si l’Algérie d’hier a contribué au développement du secteur pétrolier aux Emirats arabes unis, force est de constater que ce pays s’est taillé à force d’innovations créatrices, une image de marque internationale faisant de la conciliation entre le secteur pétrolier et les autres activités, un moteur de développement.
L’exemple de Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan, est également instructif. Faisant anciennement partie de l’empire russe et de l’Union soviétique, Bakou est une des villes les plus dynamiques aujourd’hui.
Elle le doit certes, à sa position géopolitique stratégique entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie centrale, mais aussi à la seconde révolution énergétique qu’elle traverse (la première ayant eu lieu au siècle dernier).
La ville est appelée en effet à devenir une actrice majeure dans l’économie mondiale du fait de son attractivité énergétique.
Aujourd’hui, Bakou ambitionne de devenir une des premières «ville du pétrole à devenir verte». Le concept est de développer la ville et ses alentours en utilisant les technologies des énergies renouvelables et les pratiques durables. Cette vision d’avenir aura de nombreuses implications que ce soit en termes d’attractivité de la ville elle-même, ou de l’image de marque du pays tout entier.
Le cas de Houston aux Etats-Unis est également un exemple de réussite à méditer en la matière.
Il est intéressant de relever que certaines villes qui se sont développées grâce à l’essor des hydrocarbures, sont ainsi en train d’opérer une mutation vers la «révolution verte».
Aujourd’hui, quand on projette une nouvelle ville dans le désert en Algérie, en rapport avec l’industrie des hydrocarbures, il serait utile de concevoir la ville en intégrant avec créativité les besoins de l’industrie et les impératifs de l’aménagement du territoire, mais en ayant en vue le devenir de la ville après l’épuisement des ressources pétrolières. La durée de vie d’une ville est de loin supérieure à celle d’une exploitation industrielle. La conception d’une ville nouvelle est également l’occasion de se projeter dans le futur pour toute une communauté; c’est donc également un projet politique. Si Brasilía a été conçue par Oscar Niemeyer et Lucio Costa, la ville était avant tout la vision d’un Brésil moderne et indépendant, qui habitait Juscelino Kubitschek de Oliveira. Brasilía a été la ville moderniste qui a été la cible de toutes les critiques. Mais le cycle de développement et de maturation des villes nécessite du temps.Aujourd’hui, cinquante ans après son ouverture officielle, on s’accorde pour dire que la nouvelle capitale du Brésil a atteint de nombreux objectifs de par son iconicité qui continue d’attirer les regards du monde entier grâce à son plan en forme d’avion.
La future Hassi Messaoud devrait relever l’ensemble des défis actuels d’une nouvelle cité dans le Sahara, afin de projeter l’Algérie et tous les Algériens résolument vers un XXIe siècle porteur d’espoirs et de valeurs de civilisation constitutive de notre identité distincte dans un monde globalisé.
L’objet de cet article n’est pas de proposer une solution, mais de légitimer une question: quel avenir pour la future Hassi Messaoud une fois que ses ressources se seront épuisées? Si cette question retient l’attention sur la base des quelques éléments présentés, alors, il faudra passer à la seconde étape, à savoir, celle de constituer un collège d’experts, et de leur donner le temps et les moyens d’ y répondre.

* Docteur en architecture et urbanisme de l’université de Harvard aux Etats-Unis, où il travaille actuellement comme chercheur et enseignant




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