Algérie

Un prince dans le Maghreb de l'an mil : Amastan le Sanhaji de Djamel Souidi, (Roman historique) - L'Harmattan, 1999



Un prince dans le Maghreb de l'an mil : Amastan le Sanhaji  de Djamel Souidi, (Roman historique) - L'Harmattan, 1999
C'est par Amastan que l'on entre dans l'histoire. Une fiction au cœur des plus importants événements qui vont, du Xe au XIIe siècles, marquer de façon indélébile l'histoire tourmentée du Maghreb.

Par la voix d'Amastan, personnage imaginaire, l'auteur nous restitue un panorama vivant d'une page peu commune et peu connue du Maghreb médiéval. De l'intimité des pulsions ataviques jusqu'à une conscience implacable, aiguë, à vif, la parole d'Amastan, sereine et finalement désespérée, énonce l'inéluctable. Une sorte de confession, de journal intime, plutôt douloureux, d'un destin exceptionnel, mais aussi le drame d'une fin, d'emblée annoncée. "Alors, j'ai confié mon témoignage à ce parchemin afin que la parole des ancêtres ne s'efface pas, comme s'effacent les traces de pas sur le sable et que les enfants de nos enfants se souviennent de qui ils sont et d'où ils viennent." Le récit d'Amastan a le goût cendré d'un testament.
Historien écrivain, Djamel Souidi revisite les lieux et les hommes qui ont fait la gloire, puis le déclin des premiers royaumes berbères, si jaloux de leur autonomie, mais en même temps totalement fascinés par l'Orient et ses lumières. Défile alors une galerie de personnages, réels ou imaginés, et de cités légendaires, quelques-unes disparues... Achir, l'imprenable ; Sijilmassa, le joyau des ports sahariens ; les jardins de Tobna, de Tlemcen et de Fès, Haret, capitale déchue ; Kairouan, l'orientale ; Le Caire fille du Maghreb..., un chapelet de légendes au croisement des routes commerciales et de la géographie des destins politiques. Un voyage dans la vie de personnages après tout éphémères, pris dans les enjeux du monde, pas moins, et rendus enfin lisibles dans toute la palette de leur humanité.
Dans ce roman historique, émouvant de bout en bout, de page en page, on entend presque monter le grondement et le tumulte de siècles turbulents. On le lit d'un trait, et quelques haltes, avide de combler, comme une importante lacune, une troublante vacuité. Personnages familiers sous le regard attendri de l'auteur. Une proximité qui dit la part de lui-même, de nous, la part de l'humain, une distance aussi, celle de la véracité des faits historiques. Djamel Souidi réussit ici la gageure de l'équilibre, juste et sensible, entre l'écriture de l'histoire, et l'écriture tout court. Du talent dans la rigueur.
Amastan Sanhadji est certes un récit de l'échec et de la vanité du pouvoir, mais il est également un récit de l'amour et de la haine, de la guerre et de la paix, plus difficile, de la solidarité et de la fratrie, du clan et de la trahison, de la gloire et de la destruction... Le récit, en somme de toute chose dont on voit, amer, venir la fin. De ce voyage inédit et de cette remontée dans le temps, on en sort apaisé, et dans le même temps en éveil, insatisfait. A la fois comblé et brusquement perturbé. A la dernière page, Amastan… "la bouche pleine de cendres", le jugement sûr, annonce sur le ton d'un lourd pressentiment de sombres horizons.
Les faits d'abord. Nous sommes au Maghreb de l'an mil. L'histoire d'une fondation, celle de la dynastie ziride. Mais également de Achir, sa capitale rayonnante. De Ziri Ibn Mennad l'ancêtre, jusqu'à Bologhine le conquérant, à son fils Habous qui va lui succéder à la tête de l'Emirat du Maghreb et de la confédération des Senhaja du Titteri, la saga tourmentée, mais exaltante d'une dynastie qui va établir son domaine entre le tell et la steppe qui borde l'Atlas saharien jusqu'aux confins de la Tripolitaine et de l'actuelle Tunisie. Nous sommes aussi à l'ombre d'un empire abbasside finissant, peu à peu démantelé par des pôles de pouvoirs dissidents plus particulièrement par le califat du Caire et celui de Cordoue qui vont largement entamer un territoire jamais égalé jusque-là. Par un jeu d'alliances complexes avec des tribus berbères autochtones, Fatimides et Omeyyades vont se disputer l'hégémonie du Maghreb.
Deux confédérations de tribus vont, dans une guerre fratricide, dessiner les lignes cruelles de ce partage. Zenata à l'Ouest et Senhadja à l'Est, écartelés entre l'Occident et l'Orient, clients et alliés d'ennemis irréductibles, religieusement divisés sur les fondements même de la légitimité politique. De Bologhine à son fils Habous, l'histoire d'une rupture de la tradition qui va, peu à peu, poser les termes de sa propre perte, la perte de l'unité et bientôt du territoire. Une dynastie en proie à ses vieux démons. Amastan est précisément l'ami d'enfance et le confident de Habous. Il se fait le témoin de l'épopée, guide et narrateur, il sera aussi acteur, même fictif, et, à ce titre, en paiera le prix. Les fictions, n'est-ce pas, ont une vie.
Celle-là est née à Achir même, lors des fouilles que l'auteur a dirigées au début des années 90. Elle est née aussi, et c'est là toute l'impertinence de l'œuvre, de l'actualité brûlante de l'Algérie, nourrie à son vécu, lui aussi livré à ses démons. N'étaient les repères historiques, structurant le récit, on soupçonnerait l'auteur de jouer presque avec le genre. Du roman à la fable, le récit libre d'une vieille histoire après tout, qui dit, entre le bien et le mal, le combat incessant de l'humain. A lire sans œillères.


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