Algérie

Un président civil face à un pouvoir militaire Mohamed Morsy déclaré vainqueur en Egypte



Un président civil face à un pouvoir militaire                                    Mohamed Morsy déclaré vainqueur en Egypte
Une joie indescriptible s'est emparée de la mythique place Tahrir. Une jubilation, une délivrance. Les milliers de personnes massées sur cette place sous une chaleur torride ont poussé des cris de joie à l'annonce du nom de Mohamed Morsy, candidat des Frères musulmans,
président de la deuxième République d'Egypte.
Une liesse qui rappelle bien celle du 11 février 2011, le jour de la chute de l'ancien raïs Hosni Moubarak. L'Egypte a vécu un dimanche historique qui sera gravé dans la mémoire nationale de ce pays. Evanouissements, pleurs, les uns se jetaient dans les bras des autres en criant «Allah ou akbar» (Dieu est grand), et lançant des feux d'artifice en scandant «A bas le pouvoir militaire», chacun exprimant sa joie à sa manière.Le long discours du juge Farouk Soltan, président de la commission électorale, a failli faire perdre patience aux dizaines de milliers de personnes entassées à place Tahrir. Dénouement heureux d'un long feuilleton politique. Une heure avant l'annonce des résultats, Le Caire et toute l'Egypte retenaient nerveusement son souffle.
Les boulevards menant vers la place Tahrir étaient pratiquement déserts et les commerces avaient baissé rideau. L'ambiance était extrêmement tendue. La tension est montée d'un cran lorsque le président de la commission électorale a entamé sa conférence de presse annonçant les résultats. Les partisans du candidat Mohamed Morsy commençaient à redouter le pire, quand le président de la commission a lancé des critiques à l'endroit du candidat des Frères. «Il nous prépare une mauvaise surprise apparemment. Pourquoi, il charge comme ça Morsy. Ils n'ont pas intérêt à nous voler la victoire», menace un groupe de militants du Parti de la liberté et de la justice, bras politique de la confrérie. Mais au bout d'une heure de speech, Farouk Soltan donne le nombre de voix obtenues par le candidat rival, Ahmed Chafik, qui sont de 12,3 millions, soit 1 million de voix de moins que Morsy, et délivre ainsi la place Tahrir et le pays bascule dans l'allégresse d'une victoire tant voulue.
Le candidat des Frères musulmans remporte ainsi le scrutin présidentiel avec 13,2 millions de voix (15) au terme d'une élection présidentielle qui a failli tourner au psychodrame. Le taux de participation au second tour a atteint les 51% contre 46% au premier tour. Près de seize mois de tergiversations et de man'uvres politiques, l'Egypte a élu enfin et pour la première fois un président qui n'est pas issu de l'armée. Un civil et par ailleurs «Frère». Ceux qui étaient scotchés devant leur écran de télévision ont vite envahi les rues du Caire. Jeunes, vieux, femmes, enfants, tous convergeaient par milliers vers la place Tahrir, ce haut lieu de l'insurrection de janvier 2011 qui a fait chuter Hosni Moubarak après 30 ans de règne. Les principaux boulevards du Caire étaient noirs de monde.Après une longue et angoissante attente, les Egyptiens ont laissé exploser leur joie.
«C'est la victoire de tous les Egyptiens contre la dictature. Aujourd'hui, c'est l'Egypte qui a gagné contre le mal qui la ronge depuis des années. Aujourd'hui, j'assiste à la victoire de la justice sur la tyrannie, je peux m'en aller avec le sentiment du devoir accompli», a lâché en larmes, Imad Eddine, un vieux compagnon de la confrérie des Frères musulmans. Parmi les manifestants, beaucoup exprimaient leur joie de la victoire de leur candidat, Mohamed Morsy, mais d'autres étaient tristes à cause de la défaite du candidat du régime, le général Ahmed Chafik. «Je suis heureux de voir celui qui incarne Moubarak (Ahmed Chafik) battu. S'il avait gagné, fini la révolution, fini le Printemps arabe. On avait vraiment douté, mais grâce à notre mobilisation permanente, nous avons pu faire échec au plan des militaires qui voulaient imposer Chafik contre la volonté du peuple», témoigne Hassanin, en brandissant l'emblème du mouvement Kifaya.
Un président aux prérogatives réduites
Les Egyptiens qui ont manifesté leur immense joie toute la soirée et sans doute dans les jours à venir vont devoir reprendre la lutte. La victoire de Mohamed Morsy est historique au regard de la longue marche des Frères musulmans. Mais elle ne signifie pas outre mesure une prise de pouvoir.
Le président élu lui-même l'avait reconnu avant-hier, en déclarant son désaccord avec les mesures prises par le Conseil suprême des forces armées. «Ce sont des mesures qui étouffent le président», avait-il déclaré lors d'une conférence de presse.
Le nouveau président élu aura les mains liées. Ses prérogatives sont drastiquement réduites et sa marge de man'uvre limitée. Le Conseil militaire au pouvoir depuis la chute de Moubarak a opéré, à la veille du second tour présidentiel, un coup d'Etat constitutionnel en dissolvant la Chambre basse du Parlement dominée par les islamistes. Il a également réajusté à sa convenance la déclaration constitutionnelle en s'offrant le pouvoir législatif jusqu'à l'élection d'une nouvelle Assemblée du peuple dont la date n'est pas encore fixée. Mohamed Morsy s'est ouvertement opposé à ces mesures et a promis de ne pas les respecter. Ce qui le placerait en conflit avec les militaires dès sa prise de fonction.
Le risque d'un blocage institutionnel est prévisible. Face à une armée solide et soudée, le nouveau président compte sur la mobilisation de la rue pour faire fléchir le Conseil militaire. Ses partisans comme les autres mouvements politiques persistent à occuper la place Tahrir jusqu'au «retrait» de la déclaration constitutionnelle complémentaire et à «abroger» la loi promulguée par le ministère de la Justice donnant de larges pouvoirs à la police militaire et aux services de renseignements. Ils exigent tout simplement «le retrait de l'armée de la vie politique et son retour dans les casernes». Pas évident. Même si le maréchal Hussein Tantaoui, président du Conseil suprême des forces armées, promet de remettre le pouvoir au président élu la fin du mois, il reste que le CSFA garde le pouvoir législatif et une main sur l'Exécutif. Il entend également conserver la maîtrise totale des affaires militaires. A quelques jours de l'annonce des résultats de la présidentielle, le Conseil militaire a nommé «un conseil de défense nationale». Une décision désapprouvée par le candidat-président, Mohamed Morsy.
Selon beaucoup d'analystes, l'armée égyptienne voit d'un mauvais 'il un civil présider aux destinées de l'Egypte. «Dans leur esprit, il est inimaginable de confier le pouvoir à un civil et surtout s'il est issu du camp des Frères musulmans. Dans sa doctrine, l'armée, pour elle, diriger le pays est un destin», explique Hilmy Echaârawi, un ancien compagnon de Gamel Abdel Nasser. «Psychologiquement, ils (les militaires) n'admettent pas l'arrivée au pouvoir d'un civil et par ailleurs islamiste. Ce sont des faits historiques qu'ils ne peuvent pas supporter, mais au-delà, il s'agit surtout d'énormes intérêts économiques qui sont en jeu. L'armée est un Etat dans un Etat. Elle contrôle l'essentiel de l'économie, formelle et informelle, du pays. On a vu comment en décembre 2011, elle avait prêté à la banque centrale d'Egypte un milliard de dollars. On parle bien d'un prêt. Une armée qui prête à la banque nationale ! Donc, on imagine mal qu'elle abandonne facilement ses pouvoirs», ajoute-t-il.
Ainsi donc, entre l'armée qui détient les principaux leviers du pouvoir et le nouveau président qui jouit d'une légitimité démocratique, il y a autant de sujets qui fâchent et qui divisent. Le terrain d'entente serait difficile à trouver. Mohamed Morsy a gagné la présidence, mais pas ses pouvoirs.


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