Algérie

Un pays tourné vers son histoire ne s'occupera jamais de ses jeunes



- Dans le préambule de votre livre Le Sud, capitale d'un avenir économique, paru en 2008, vous aviez pressenti la crise qui secoue actuellement le monde arabe…
Une certaine ébauche se profilait, on sentait que le marasme était trop intense. Octobre 88 a été un sursaut qui n'a pas eu l'effet escompté, et ce qui se passe aujourd'hui est un relent de 1988. L'Algérie officielle reconsidère le chahut de gamins comme une révolution, pourtant on a oublié les martyrs de cette révolution-là. Notre crise date de 1986, avec la chute vertigineuse des prix du brut. La rue s'est soulevée pour un problème d'ordre économique. L'Algérie de l'époque n'avait pas les moyens de contrer ce phénomène sur le plan économique, on a donc créé des brèches sur le plan politique en pensant atténuer la gronde de la rue.

- Ce n'était pas la bonne réponse à  apporter à  cette crise...
Non. Ce système a toujours été fermé sur lui-même, et ce, jusqu'à présent. Aujourd'hui, on a inversé la tendance. On libère l'économie pour garder la mainmise sur ce qui est politique et juridique : une justice instrumentalisée et une politique de façade. On pense qu'en faisant ainsi, on pourrait atténuer la gronde et la conséquence est une économie qui part en ruine. Ce qu'on dépense comme soutien sous-terrain sur le plan économique sur les produits de première nécessité, c'est un crime économique. Nous sommes en train de faire travailler le paysan européen et donc, de favoriser une économie étrangère au détriment de la nôtre. Cela ne peut pas durer.

- Qu'est-ce qu'il y aurait lieu de faire, sur le terrain, selon vous '
Dans mon livre, Le Sud, capitale d'un avenir économique, je crois pouvoir donner un aperçu des principaux atouts de notre économie : il faut explorer l'espace naturel, réaménager le territoire et produire davantage pour désengorger le Nord. Il faudrait aussi créer une capitale : la capitale des années 2050 doit se trouver à  mi-distance des frontières du pays. Nous avons un très grand pays dont on a oublié une partie : les Hauts Plateaux et le Sud. A Alger, on a tendance à  pomper un tuyau qui nous vient du Sud en ayant les pieds dans l'eau.

- Pourquoi boudons-vous nos ressources '
On a toujours boudé le travail parce qu'on compte sur la rente pétrolière. Un pays rentier ne retrousserait pas ses manches pour travailler ! Nous vivons sur une histoire dorée à  laquelle nos martyrs ont participé et qu'on a travestie et instrumentalisée. Un pays tourné vers son histoire ne s'occupera jamais de l'avenir de ses jeunes, voilà pourquoi on a oublié toute une frange de notre population qui avoisine les 70%. Du temps de Boumediène, les jeunes étaient mieux considérés, on avait beaucoup investi dans la jeunesse. Depuis l'ère de Chadli, nous avons tout cessé et je pense que c'est ce qui a créé la situation actuelle.

- Pensez-vous que l'époque actuelle est davantage propice à  une révolution '
L'Egypte et la Tunisie se sont beaucoup inspirées de ce qui s'est passé chez nous en 1988. Ce qui se passe aujourd'hui dans ces pays est décisif, notamment en Egypte, là où l'élite intellectuelle dirige la population. Et tous ces mouvements de protestation auraient dû avoir lieu dès 1988, sur l'impulsion du peuple algérien. C'est nous qui avons érigé l'émeute en mode de revendication et ce sont les pays de l'Est européen qui nous ont relayés.

- L'élite intellectuelle joue-t-elle mieux son rôle aujourd'hui '
Non. L'élite intellectuelle algérienne a toujours été divisée, ignorée, sinon instrumentalisée. A l'étranger oui, et elle véhicule une autre image de l'Algérie. Je ne vois pas pourquoi nos économistes, artistes et sociologues réussissent ailleurs et pas chez eux. Les meilleurs historiens dans le monde se sont penchés sur la guerre d'Algérie, mais nous ne donnons pas de relais à  ces études. Il y a une guerre larvée entre le politicien et l'expert. En tant qu'écrivain, je ressens un rejet total. Une société qui tourne le dos à  la science est une société vouée à  l'échec, selon un sociologue.

- Quelle serait l'issue à  la crise actuelle '
Une ouverture tous azimuts de tout ce qui a été cadenassé jusqu'à présent, en commençant par le champ politique. La démocratie de façade a trop duré. Les scores de 99% n'ont donné que des émeutes, et si les émeutiers votent en faveur du pouvoir à  99%, on est en droit de lui demander de cesser ces émeutes.
 


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