Algérie

Un patrimoine en péril à Ghardaïa



Le système ingénieux de captage, de stockage et de répartition des eaux de crue de l'Oued M'zab (Ghardaïa), un savoir-faire ancestral d'irrigation, dépérit devant le patrimoine végétal emblématique des palmeraies qui s'étale le long de cette vallée.Le système appelé «le partage des eaux de la vallée du M'zab», avec ses ouvrages qui stockaient autrefois les eaux de crue de l'oued M'zab et les redistribuaient pour irriguer les jardins familiaux, est devenu depuis les inondations du 1er octobre 2008 un vestige en péril, abandonné. Ce patrimoine ancestral de captage, de stockage et de partage des eaux témoigne du style architectural atypique et d'une civilisation exceptionnelle au cúur d'une région saharienne aride ou l'eau raréfiée constituait une préoccupation majeure et primordiale pour la survie. Ce système, qui récupère et partage l'eau pluviale de l'oued M'zab d'une façon studieuse et équitable, a permis la création d'une palmeraie et d'un écosystème basé sur le principe de l'exploitation optimale des eaux pluviales et l'économie de cette ressource rare, à travers la création de retenues et autres petits barrages souterrains de type «inféro-flux», pouvant être assimilés à des petites nappes sous le lit de l'oued.
Il a été accompagné par la création de rigoles de ruissellement et des canalisations en pierre souterraines, des seguias et autres aqueducs qui épousent la topographie de la région ainsi que des ouvrages de captage de surface et souterrain de l'eau et de régulation du débit de l'eau tel que «Tissembades», des canalisations faites de grandes pierres plates et servant à casser la vitesse de l'eau. Ainsi, l'eau pluviale arrive directement à l'entrée du fameux partage des eaux où il s'engouffre dans les canalisations «Tissembades» de grandeur moyenne et au nombre de 22, avant de s'engouffrer dans les six grands canaux distributeurs pour toute la palmeraie, suivant un calcul très précis de débit et de quantité d'eau pour chaque parcelle de jardin, selon leur grandeur et le nombre de palmiers s'y trouvant.
Cette infrastructure hydraulique traditionnelle est également accompagnée d'un système de gestion et d'entretien de canalisations et d'ouvrages réalisés le long de la vallée ainsi que des tours de guet pour surveiller l'écoulement et veiller au bon déroulement de sa répartition, tout en parant aux éventuels dégâts qui risquent de subvenir çà et là.
L'association «Oumana El-Sayl», chargée de la gestion de l'ensemble du patrimoine hydraulique, s'applique sur le terrain à instaurer une vision globale intégrée et participative entre les différents acteurs en vue de préserver ce patrimoine ancestral, de le reconsidérer et l'exploiter dans le développement du tourisme culturel local, a indiqué un membre de l'association, Nacer Babker.
«Notre rôle porte sur la valorisation de notre patrimoine ancestral phare (le système de partage des eaux dans le M'zab), qui est une des curiosités touristiques, de préserver ce site historique et civilisationnel, ainsi que d'animer et de stimuler les activités liées à l'écotourisme», a-t-il souligné en appelant à jeter la lumière sur l'ensemble des ouvrages hydrauliques ancestraux et à déterminer la nature des interventions possibles pour préserver cette richesse et la valoriser en étroite collaboration avec l'OPVM, conformément à la réglementation et la loi sur la préservation des biens culturels.
Le béton et l'urbanisation anarchique mettent en péril le système
Les sècheresses récurrentes et la croissance rapide et anarchique de l'urbanisation, ajoutées au mégaprojet d'assainissement et de lutte contre les crues cycliques de l'Oued M'zab, réalisé par les pouvoirs publics, sont autant de facteur de rupture de ce système d'équilibre séculaire entre l'homme et son environnement élaboré par les aïeux, a indiqué à l'APS le président de l'Assemblée populaire communale (APC) de Ghardaia, Omar Fekhar. Les inondations de 2008 ont tout emporté et ont enseveli l'ensemble des ouvrages hydrauliques ancestraux construits depuis des centaines d'années, a-t-il fait observer.
«Il y a eu une transformation quasi-totale de l'oasis et de la palmeraie de Ghardaïa qui a vu s'élever dans cet espace, jadis verdoyant, des maisons édifiées anarchiquement sur des terres à vocation agricole», a affirmé M. Fekhar, ajoutant que le béton a envahi la palmeraie jusqu'à la défigurer. Chaque palmier, chaque lopin de terre de cette palmeraie est chargé d'histoire de cette région aride, renferme une mémoire qui résiste à l'oubli, et déborde d'une chaleur humaine qui ne laisse pas ses visiteurs indifférents, abonde, de son côté, Ammi Bakir, notable de Ghardaia. Les gens du M'zab ont tendance à construire une petite maison sur la terre agricole héritée des parents, a-t-il souligné avant de préciser que la crise du logement et l'absence d'espaces réservés à l'habitat accentuent la destruction de la palmeraie.
La disparition du système de partage des eaux est une illustration de la transition socioéconomique vers un mode de vie moderne notamment avec le raccordement à l'eau potable de toutes les habitations, a indiqué, pour sa part, M. Touhami Benahmed, responsable à la direction des Ressources en eau de Ghardaia. Les efforts déployés par les pouvoirs publics pour l'alimentation en eau (AEP) de toutes les localités et zones d'habitation, les puits de pompage modernes qui séduisent par leur débit d'eau et la facilité d'extraction, ont remplacé le système traditionnel de répartition des eaux de crue, jugé comme archaïque, a précisé M.Benahmed. Aujourd'hui, les vestiges des ouvrages du système traditionnel de Ghardaïa doivent se préparer à leur nouvelle vocation touristique, a-t-il soutenu.
Témoignage vivant d'une civilisation ancienne
Ce système de partage des eaux de la vallée du M'zab apporte un témoignage vivant sur une civilisation ancienne et offre un exemple exceptionnel d'ouvrages hydrauliques ?uvrant à l'économie de l'eau dans les zones arides, pour maintenir un équilibre écologique dans la vallée du M'zab, fondée au 12ème siècle par Cheikh Boushaba, puis en 1550 dans la palmeraie de Béni-Isguen par Cheikh Ben Addoun, a fait savoir le chargé de la gestion de l'Office de protection et de promotion de la vallée du M'zab (OPVM), Kamel Ramdane. En dépit du caractère limité des ressources hydriques, de leur irrégularité et des périodes de sécheresse qu'a connues la région du M'zab, les habitants de cette contrée ont de tout temps ouvré pour une stratégie hydrique visant à dépasser les contraintes et d'accompagner les besoins en eau de la population et des différents secteurs de la vie, notamment l'Agriculture oasienne, a-t-il rappelé.
Conscient de l'importance et de la nécessité de la protection de ce patrimoine matériel et immatériel notamment le savoir-faire ancestral de drainage des eaux pluviales et leur emmagasinement, de nombreuses associations et membres de la société civile appellent à la préservation de ce capital pour les générations futures dans le cadre d'une approche qui favorise le développement durable et concilie le traditionnel et le moderne. Pour M.Ramdane, l'OPVM s'attèle avec le ministère de la Culture à achever et approuver l'Etude du plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur de la vallée du M'zab (PPSMVM), lancé depuis 2005 afin d'avoir un outil d'urbanisme en conformité avec le classement de la vallée du M'zab en secteur sauvegardé.
La vallée du M'zab, qui compte quatre communes (Ghardaïa, Bounoura, El-Atteuf et Daya Ben-Dahoua), regroupe une pentapole de ksars fondée au 10ème siècle et édifiée pour une vie communautaire en respectant la structure sociologique des habitants. Son périmètre, qui couvre une superficie de 4.000 hectares avec son bâti traditionnel, ses palmeraies, son système ancestral d'irrigation, ses monuments et sites historiques estimés à plus de 200 sites, a été classé en tant que patrimoine mondial en 1982. La vallée du M'zab a été aussi classée par les pouvoirs publics comme «secteur sauvegardé» en promulguant le 04/06/2005 un décret exécutif (N° 05/209) qui permet l'élaboration d'un plan de sauvegarde en conformité avec la loi sur le patrimoine (04/98 du 15/07/1998).


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