Algérie

Un mois sans faim



«Ramadhan: mois où même les vieux jeûnent.» Kurzas
Chaque année, c'est le même topo. On essaie de faire un peu le ménage dans sa tête encombrée par un fatras de fausses préoccupations. On essaie de mettre de l'ordre dans ses idées et de se fixer les priorités du moment. On essaie de trouver les solutions adéquates aux petits problèmes en se promettant de ne plus agir dans l'urgence, car comme vous le savez, la précipitation est souvent source de déconvenues. D'abord, à la veille de chaque mois de Ramadhan, on se fait une promesse solennelle et souvent, on le fait au bureau en prenant à témoin ses collègues qui ne s'empêchent pas de sourire devant ces rodomontades. On jure par tous les saints que dès le premier jour de jeûne, on ne touchera plus à cette satanée cigarette qui me fait tousser comme un tuberculeux, et dont l'odeur fait grimacer plus d'un visiteur qui s'aventure à ouvrir la porte de notre fumoir. Mais, comme disait le collègue d'enfance qui pratique l'humour à la marseillaise: «C'est très facile d'arrêter de fumer, j'ai essayé plusieurs fois...» C'est vrai que dans la journée la cigarette manque peu. L'odeur de tabac froid qui régnait au bureau s'estompe petit à petit, mais on se surprend dans l'oisiveté qui s'installe en ce début de jeûne, d'un certain malaise: on ne sait plus quoi faire de ses mains. On fait des boulettes de papier, on joue au freecell, on se lève pour regarder par la fenêtre le temps qui paraît terne malgré un soleil éclatant. On tourne en rond. Soudain, le collègue d'en face nous paraît plus antipathique que d'habitude et ses propos, jadis appréciés pour leur trait d'humour, vous paraîssent agaçants. Il y a comme quelque chose qui ne tourne pas rond. On se surprend à frémir d'une colère dont la cause n'est pas clairement définie: on en veut au patron qui n'a pas signé la paie plus tôt que d'habitude alors que les employés de la société d'en face ont entamé leur salaire. On peste contre l'épouse qui a fait une liste d'achats longue comme un jour sans pain «on dirait qu'elle a épousé un milliardaire!» se surprend-on à penser. Dire que les légumes sont devenus quasiment inaccessibles comme toutes les premières semaines de carême est d'une évidence crue. Pourtant, nous avions juré ensemble, l'épouse et moi, que notre menu ne changerait en rien. Mais comment résister' Déjà, la veille du premier jour de jeûne, l'atmosphère change dans la rue principale. Les marchands ont sorti à l'avance les mille et un produits qui font saliver le jeûneur et qui inondent la rue de parfums épicés qui nous pénètrent jusqu'au fond de l'âme et nous incitent à chatouiller notre porte-monnaie irrésistiblement. La moindre olive, le moindre cornichon à la vinaigrette prennent des proportions considérables dans l'esprit du jeûneur. Et cette boîte de thon qui attend là depuis onze mois!
On ne parle pas des desserts. Les raisins, les poires, les dattes...On se met à imaginer une table garnie de mille et un mets préparés avec amour. La chorba qui fume...les farces croustillantes. Un peu de ceci, beaucoup de cela. On s'encombre de bouteilles de limonade. La blanche est la préférée, mais chacun dans la famille a un goût différent. Alors on achète. Quand vient le moment de passer à table, les yeux éteints se mettent à clignoter de nouveau. Après la première cuillère de chorba on se sent rassasié et on examine avec stupéfaction l'amoncellement des plats sur la table. Enfin, vient le café tant attendu, on se surprend à tirer une cigarette. On l'allume et on respire un bon coup avec délice. L'année prochaine, on arrêtera de fumer sûrement.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)