Algérie

Un Marzougui qui décoiffe



Il va falloir s'habituer à ce Président venu d'ailleurs mais pas de nulle part. C'est que sa personnalité, forte, est déroutante. Son style, décoiffant. Sa culture politique, profonde. Bref, ce martien, débarqué au palais de Carthage à bord d'une soucoupe volante en forme d'urne transparente, est rafraîchissant. Et le gaillard n'a pas encore fini de surprendre. Ce président, qui porte des costumes sans cravates, un pin's du martyr Mohamed Bouazizi et un burnous rappelant vaguement un certain Boumediène, est éminemment sympathique. Devenu chef d'Etat par la grâce du peuple, ce bédouin a gardé ses manières de fils du désert. L'homme, à défaut d'avoir le temps de la modifier, a peur que la fonction présidentielle le «transforme». Habitué aux geôles et aux tribunaux de la dictature tunisienne, aux quais de gares et aux bouges de la terre d'exil française, il a été effrayé par «le luxe obscène» du palais présidentiel. Sa première décision fut alors de verser dans le domaine de l'Etat quatre autres palais, construits pour les plaisirs additionnels de l'ancien dictateur. Et, de manière plus symbolique encore, il a ordonné de verser l'argent de leur vente dans une cagnotte publique, baptisée Mohamed-Bouazizi. Manière de rendre grâce au martyr sans lequel le médecin des banlieues pauvres parisiennes ne serait pas le président intérimaire d'une Tunisie en transition démocratique. Ce président-là, issu de la gauche associative, est encore plus ébouriffant. Notamment lorsqu'il parle de l'islamisme. Et que, du même coup, rhabille pour l'hiver nombre d'intellectuels français. Habitué à leur rhétorique immuable, il dit que «leur doxa ne leur permettait pas de voir la réalité.» Et qu'ils ne voyaient dans l'islamisme que «leur propre fantasme projeté.» Lui, le politique séculier qui chemine désormais avec les islamistes, répète qu'il y a des islamismes. Que dans l'islamisme pluriel, «il y a des forces antidémocratiques mais aussi des forces qui se démocratisent.» Qu'il y a «autant de différences entre Erdogan et les talibans qu'entre (les communistes) Enrico Berlinguer et Pol Pot.» Et le lascar n'a pas encore fini de surprendre. Manifestement heureux de participer au «processus de re-création» de son pays, il est convaincu que le chaos démocratique est constructeur. Dans ce cas, on n'est pas dans la «régression féconde» si chère à l'Algérien Lahouari Addi. En Tunisie post-Ben Ali, des laïcs tempérés et des islamistes pragmatiques, donc «trois partis modérés, qui ont le sens de son histoire et de sa géographie, sont en train de faire avancer le pays.» L'homme, qui ne s'est pas encore dégagé de ses habits d'opposant, casse les codes. Non sans exaltation, non sans romantisme révolutionnaire. Comme en témoigne sa récente proposition d'indimèje, une fusion qu'il voit comme une émulsion entre une Libye sans tête politique et sans corps étatique et une Tunisie stable et sage. L'homme n'est pas non plus sans maladresse diplomatique, expression de la sincérité d'un homme franc du collier. Ainsi a-t-il critiqué avant sa visite en Algérie l'empêchement des islamistes à gouverner alors qu'ils avaient gagné des élections honnêtes en 1991. Les Algériens, qui sont certainement magnanimes, équanimes et tolérants, sauront sans doute pardonner cette algarade inoffensive à un homme qui n'a pas taillé sa langue dans le tronc d'un chêne de l'Atlas.
N. K.


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