Lors de la seconde visite du président de la République à Oran, durant son premier mandat, il fera faux bond au cortège officiel pour aller rendre visite à feu commandant Moussa, logeant dans un appartement au cinquième étage d'un immeuble du Boulevard Emir Abdelkader. Cette visite du chef de l'Etat, qui n'a jamais figuré sur son programme, a propulsé Si Moussa au devant de la scène locale, puisqu'elle a desserré quelque peu l'oubli entourant cette figure du nationalisme et de la guerre de Libération nationale. Mais les courtisans qui se sont ingéniés d'inventer des liens avec Mohamed Ben Ahmed, son vrai nom, révélé dépositaire du respect du président de la République, se sont encore une fois éclipsés. Le quatrième anniversaire de sa mort, en avril dernier, est passé presque inaperçu. L'homme, eu égard à sa trajectoire peu ordinaire depuis les années quarante du siècle dernier jusqu'au lendemain de l'indépendance, mérite un intérêt autrement que celui des commémorations hâtives. C'est Addi Lahaouari qui suggéra que des thèses en histoire devraient lui être consacrées. Pour la simple raison : il a traversé toutes les écoles du nationalisme algérien avant de rejoindre l'ALN, de l'Association des Oulémas jusqu'au MTLD en passant par l'UDMA. Instruit, au courant des enjeux politiques au niveau national et géo-stratégique, il ne changeait pas de familles politiques par mimétisme ou intérêt individuel. Mais bel et bien par conviction et sur la base de ses propres analyses de la situation. De ce point de vue, sa trajectoire, depuis les années 40, nous renseigne sur les antagonismes et les différends qui ont marqué le mouvement national à la veille du déclenchement de la guerre de Libération nationale. Militant de la cause nationale depuis les années 40, politisé puisqu'il se porte candidat aux élections de 1953, ami des figures les plus en vue des nationalistes oranais à commencer par Hamou Boutlélis, Si Moussa n'adhérera pas dès le premier instant à l'insurrection armée initiée par le FLN. Il rejoindra le maquis deux ans plus tard. Son engagement politique pour l'indépendance de son pays ne peut en aucun cas être remis en cause. Décelait-il déjà dans cette insurrection les errements à venir ? Ce n'est pas exclu. Dans ce cadre, Benamar Mediene nous apporte un éclairage qui peut se révéler un filon intéressant à suivre. En 1954, Si Moussa a participé à la naissance du mouvement de la fraternité algérienne, regroupant des personnalités juives, françaises et algériennes, et qui réclamait l'ouverture de négociation entre la France et ceux qui ont rejoint le maquis. Autrement dit, il n'a jamais écarté la possibilité d'un dénouement de la crise algérienne d'une manière pacifique et surtout moins coûteuse pour les deux parties. C'est lui qui sera chargé de remettre le manifeste de ce mouvement à Guy Mollet en visite à Alger. Comme il fallait s'y attendre, son adhésion à ce mouvement n'a pas bénéficié de l'assentiment du FLN. Un demi-siècle après le déclenchement de la guerre de Libération nationale et en prenant en ligne de compte les dérives qu'a enregistrées le projet initial annoncé dans la déclaration du Premier Novembre, des historiens et à leur tête Mohamed Harbi, qui jouit d'une autorité incontestée, se posent toujours la question sur les conséquences possibles d'une évolution pacifique de la question algérienne. Cet Oranais, natif d'El-Hamri en 1920, a vécu une enfance sans problèmes comparativement à la plupart de ses concitoyens de l'époque. Il a même fréquenté le collège Ardaillon où il a obtenu un diplôme le destinant à l'enseignement. D'ailleurs, il exercera ce métier durant une courte période en 1939. Mais vite, il se versera dans le commerce où il réalisera une relative fortune. Fils de brigadier de police, ses conditions objectives (pour reprendre un jargon cher aux marxistes) le destinaient à être de l'autre côté de la barrière par rapport au mouvement national en pleine ébullition. Mais il rejoindra le mouvement des Oulémas, lui qui s'est nourri des classiques de la production intellectuelle française depuis son enfance. Son choix politique relève d'une autre logique que celle du ressentiment ou de la quête d'une ascension sociale. Il rejoindra l'UDMA dès sa naissance en 1947. Le cadre de cette formation politique devenu étroit pour ses préoccupations, il passera au MTLD en 1952. Quatre ans après, et après maintes péripéties, il se retrouve enrôlé à l'ALN au sud-ouest algérien, dans une zone dirigée par le futur colonel Lotfi. Le 2 octobre 1956, lors de la bataille désormais célèbre du Djebel Amor, Si Moussa, dénommé encore lieutenant Mourad, a révélé toute l'étendue de son courage et de ses capacités de diriger les hommes. Trois ans après, il accèdera au grade de commandant et prendra le nom de Moussa. Il assumera plusieurs missions et sera appelé à côtoyer les membres du GPRA en Tunisie et les membres de l'état-major au Maroc. Il cohabitera pendant huit mois avec le colonel Boumediene. En 1961, il sera nommé chef d'état-major par intérim, quand Boumediene présentera sa démission suite à un grave différend avec le GPRA. Soucieux du respect de la légalité et de la norme institutionnelle, il émettra le voeu de mettre aux arrêts le premier patron de l'ALN au firmament de sa puissance. Voeu resté sans suite. Ce qui mérite d'être élucidé. Cet échec sera le prélude du déclassement politique que le commandant Moussa connaîtra avant bien l'accession à l'indépendance. Dans une lettre que lui a adressé Youssef Ben Khedda, président du GPRA, en date du 18 octobre 1961, il le met en garde contre des tentatives visant même à attenter à sa vie. « Je te demande de patienter et de faire preuve de prudence tout en restant en relation avec les officiers qui sont restés en contact avec toi. Il faut éviter de te rendre aux frontières », peut-on lire à la fin de la missive qu'on peut consulter sur le site Internet que lui a consacré un de ses fils installé aux USA. Après une éclipse au Maroc, le commandant Moussa reviendra en Algérie en 1963, pour s'associer au mouvement de rébellion dirigé par Aït Ahmed et le colonel Mohand Oulhadj, sans pour autant épouser les thèses du FFS. Il sera condamné par Ben Bella en 1964 et grâcié par Boumèdiene en 1967. Depuis cette date, il a préféré se retirer du champ politique. On indique que Boumediene lui a proposé le poste de ministre du Commerce, offre qu'il a déclinée. Certains de ses compagnons d'armes soulignent qu'il était pratiquement le seul qui avait bénéficié d'un agrément d'importation à la fin des années 60. Le déclassement politique de feu Commandant Moussa soulève lui aussi moult interrogations. Il s'est illustré par son franc-parler, par sa forte personnalité, par son refus épidermique de prêter allégeance à qui que ce soit. Est-ce suffisant pour écarter ce jeune homme qui promettait de donner d'avantage à son pays sorti meurtri d'une guerre anti-coloniale, et surtout d'intrigues et de déchirements fratricides ? Ou faut-il chercher ce déclassement dans sa propre conception du politique qui ne coïncidait pas avec celle des hommes forts du moment ? Voilà un autre chantier de recherche qui peut nous éclairer, au-delà du personnage, sur l'histoire récente de notre pays ?
Voir le site: http://commandant-moussa.com
- Oran
21/11/2008 - 2223
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Posté Le : 11/06/2008
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ziad Salah
Source : www.lequotidien-oran.com