Algérie

Un lieu de culture et de générosité



Un lieu de culture et de générosité
Nichée sur les hauteurs du petit village de Sidi Khelifa, dont elle fut le noyau, la zaouïa est un établissement où s'accommodaient sciences religieuses et sciences profanes comme dans aucune autre zaouïa.La zaouïa de cheikh El Hocine de Sidi Khelifa, dans la wilaya de Mila, est l'un de ces établissements d'enseignement religieux qui ont survécu au temps des siècles durant. Fondée par cheikh El Hocine, en 1818, elle fêtera son bicentenaire l'année prochaine. Nichée sur les hauteurs du petit village de Sidi Khelifa, dont elle fut le noyau, la zaouïa est un établissement où s'accommodaient sciences religieuses et sciences profanes comme dans aucune autre zaouïa. Son ouverture sur les sciences savantes comme la médecine, l'astronomie et la linguistique arabe, entre autres, lui a valu le respect de l'Association des Ulémas de Ben Badis, qui y voyait un établissement d'avant-garde, surtout que l'école ne suivait aucune des Tarika, autrement dit elle ne vénérait aucun saint ou marabout, comme c'est la tradition dans toutes les confréries. À ce propos, l'imam Mohammed Bencheikh, l'un des descendants du Cheikh El Hocine, qui nous a reçu ce vendredi à la zaouïa, rapporte : "Lorsque les cinq enfants du Cheikh El Hocine avaient, un jour, voulu savoir la tarika de l'établissement, il leur avait dit qu'il n'avait de tarika autre que le Livre et la Sunna." Et notre interlocuteur de commenter : "La tarika du feu cheikh était de pratiquer la vertu dans toutes ses formes."Un homme, une ?uvreCheikh El Hocine (1779-1842) était un grand propriétaire terrien. Il possédait de larges domaines agricoles qui s'étendaient sur des milliers d'hectares. Il s'installa dans la région de Sidi Khelifa, où ses biens fonciers étaient les plus importants, et fonda sa zaouïa, qui est encore en service jusqu'aujourd'hui. Construite en 1818, elle était à la fois une école, un internat, un motel pour les gens de passage, un orphelinat, mais aussi une résidence permanente pour ceux et celles qui n'avaient où aller. En effet, l'établissement recevait des élèves des quatre coins du pays, qui étaient complétement pris en charge. En plus de l'enseignement qu'ils recevaient gratuitement, ils étaient nourris et logés aux frais de l'école. Cela était la mission première de la zaouïa ; mais celle-ci, grâce à la disponibilité des ressources financières, élargit sa gamme de services caritatifs. "La zaouïa s'occupait également des orphelins. On les élevait dans la famille et les mariait exactement comme on faisait pour les enfants de la maison. On donnait l'hospitalité aux gens de passage dans la région. Mais beaucoup de gens ont habité la zaouïa jusqu'à leur mort ; ceux-ci sont enterrés dans un cimetière qu'on a aménagé spécialement pour les étrangers. On l'appelle le cimetière des Inconnus", explique Bencheikh Mohammed qui précise que de nombreuses personnes avaient été mariées par les gérants de l'établissement. Il relatera, à ce propos, plusieurs cas, dont certains tiennent de la légende. "Un jour, dit-il, Sidi Dahmane (un neveu de cheikh El Hocine) était devant la zaouïa quand un étranger l'approcha et lui dit son désir de vouloir se marier. Sur-le-champ, Sidi Dahmane prit la chose en main : il lui désigna pour femme une orpheline élevée dans la famille, lui fit arranger un logis ; puis il fit venir l'homme et la femme devant l'imam de la zaouïa pour sceller l'union. Bref, au soir du même jour, ils s'étaient installés dans leur maison en mari et femme."Un patrimoine considérableLa zaouïa de cheikh El Hocine a survécu au temps et continué de rayonner sur son environnement grâce notamment à son immense patrimoine matériel et immatériel. Elle possède, en effet, des biens incalculables, notamment ces immensités de terres wakf que les héritiers du regretté cheikh ont mis au service de l'établissement.Selon notre interlocuteur, les cinq enfants de cheikh El Hocine ont annexé à la zaouïa une étendue de terre de 1000 hectares, la plaçant sous le statut juridique de terres wakf ou habous, autrement dit, ces terres wakf étaient devenues une propriété exclusive de la zaouïa et que leur rendement annuel était versé dans la caisse de celle-ci. Notre source souligne, au passage, que ces 1000 hectares mis à la disposition de l'établissement ne représentent que le 1/10 des propriétés foncières de cheikh El Hocine. À cette richesse matérielle s'ajoutait une richesse immatérielle, une caractéristique qui faisait de cette confrérie un point de convergence de centaines d'étudiants et de chercheurs. À ce propos, Riad Bencheikh El Hocine, un enfant de la famille et non moins professeur de littérature à l'université Emir-Abdelkader de Constantine affirme que la zaouïa avait une bibliothèque qui renfermait plus de 6 000 manuscrits.De toute cette richesse, il ne subsiste aujourd'hui qu'environ 320 manuscrits que la zaouïa a décidé de donner à l'université islamique de Constantine. Au sujet du laminage de la bibliothèque, Riad Bencheikh El Hocine précise : "Des milliers de manuscrits ont été volés. Des soi-disant chercheurs venaient les emprunter à la bibliothèque de l'établissement, mais une fois en leur possession, ils ne les rendaient pas." Dans ce sillage, il citera le cas d'un prétendu chercheur marocain qui avait pris une masse de près de deux quintaux de manuscrits pour consultation, mais depuis, il n'avait plus rendu ces documents. Ou encore de l'établissement émirati Djoumaâ El Majed, spécialisé dans la restauration des manuscrits anciens, qui retient, depuis 1990, nombre de manuscrits que la zaouïa lui avait remis pour restauration En plus de ces actes d'escroquerie, l'établissement a fait l'objet, plus d'une fois, d'actes de cambriolage qui ont coûté à la bibliothèque plusieurs centaines de manuscrits. Riad Bencheikh souligne dans ce sens également que l'usage répétitif des manuscrits par les étudiants a précipité l'usure de plus d'un.Ben Badis et El Ibrahimi à la zaouïaDeux hommes des plus hostiles à l'existence des zaouïas se rendaient régulièrement dans celle de cheikh El Hocine, de Sidi Khelifa ! Il s'agit du président de l'Association des ulémas et de l'un de ses hommes les plus illustres, Abdelhamid Ben Badis et El Bachir El Ibrahimi. Les deux imams trouvaient, en effet, que cet établissement différait beaucoup des confréries soufies qu'ils combattaient.Tolérant par son ouverture sur les sciences profanes, l'établissement se partageait les mêmes ambitions culturelles, politiques et identitaires avec l'entité de Ben Badis. Selon nos interlocuteurs, les deux imams venaient pour donner des conférences aux élèves et des orientations aux enseignants, qu'ils conviaient à des sessions de formation périodique au niveau du siège de l'association à Constantine. "À la mort de Sidi Abdellah, l'un des fils de cheikh El Hocine, Ben Badis a assisté à l'enterrement et c'est lui qui a prononcé l'oraison funèbre", témoigne Abdelalim Bencheikh, un homme de quatre-vingt-onze ans.Kamel BOUABDELAH


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