Il est dix-huit heures à Abou Dhabi, la capitale des Emirats arabes unis,
et dans quarante longues minutes ce sera enfin l'instant béni de l'Iftar,
terminologie locale pour désigner notre bon vieux f'tour et qui semble
désormais s'imposer aux quatre coins du monde musulman.
La journée a été incandescente
mais surtout très humide. Dans le ciel encore blanc de luminosité, l'astre
rouge décline rapidement et semble s'enfoncer dans la lagune. Ses derniers
rayons teintent les palmiers de nuances orangées dont l'éclat romantique fait
presque oublier que le thermomètre continue d'afficher une température proche
des quarante degrés. Comme tous les jours au même moment, d'impressionnants
paquets humains convergent à pas rapides mais disciplinés vers la Grande
Mosquée de Sheikh Zayed. Certains se sont déplacés à pied ou en vélo tandis que
la majorité a emprunté des bus mis gratuitement à leur disposition aux quatre
coins de la ville.
La plupart d'entre eux sont des
travailleurs originaires d'Asie : Pakistanais, Indiens, Philippins, Bengalis,
Cingalais et même Népalais. Mais il y a aussi des Egyptiens, des Syriens, des
Libanais et des Maghrébins sans oublier des Emiratis venus parfois en famille.
Dans cette foule canalisée par des hommes en uniformes ou en dishdasha, il y a
aussi quelques touristes occidentaux un peu empruntés à qui des jeûneurs font
signe avec enthousiasme de les suivre.
Tous s'engagent dans une allée
recouverte d'un tapis vert. Les uns s'engouffrent tout de suite dans l'une des
grandes tentes blanches qui bordent ses deux côtés tandis que certains
préfèrent remplir d'abord leur bouteille, parfois même un simple sac en
plastique, à l'une des fontaines réfrigérées. Toutes les tentes sont
climatisées - certaines sont même glaciales - et à l'intérieur de chacune
d'elles, plusieurs centaines de boîtes bleues ont été placées sur de longues
nappes en plastique blanc posées sur des tapis. Elles contiennent toutes du
riz, de la viande, des légumes, des fruits, un pack de lben et des dattes.
Chaque jour, entre 15.000 et 25.000 repas gratuits sont ainsi offerts par
la Grande Mosquée. Pour assurer une telle logistique, il ne faut pas moins de
300 employés dont l'une des tâches est de disposer des boîtes supplémentaires
dans la grande allée lorsque toutes les tentes ont été remplies et qu'il reste
encore des personnes à nourrir. « Cette année, nous pensons que le nombre de
participants à l'Iftar devrait atteindre 750.000 contre 500.000 l'année
dernière» explique un collaborateur du docteur Ali bin Tamim, le président de
la «Sheikh Zayed Grande Mosquée». Non sans fierté, l'homme explique qu'il
s'agit là de l'une des plus grandes opérations caritatives dans la région du
Golfe et qu'elle est ouverte aux hommes comme aux femmes sans distinction de
race ni de religion.
Bien entendu, d'autres mosquées
des Emirats arabes unis servent elles aussi des repas gratuits à l'occasion de
l'Iftar mais à des proportions bien plus modestes. Parfois, ce sont des
particuliers qui prennent le relais. C'est le cas par exemple dans la ville
d'Al Aïn, dans l'émirat d'Abou Dhabi, où un centre caritatif, le Baynunah
Hospitality Center, sert quotidiennement 1.000 repas à emporter pour la rupture
du jeûne. Plus souvent, ce sont des organismes publics ou des entreprises,
étatiques ou privées, qui gratifient leurs travailleurs d'un Iftar (les cadres
ont souvent droit à un repas plus cossu dans l'un des grands hôtels de la
ville).
Ce fut le cas, début septembre,
de la Tourism Development and Investment Company (TDIC), une structure qui a en
charge le développement de l'île de Saadiyat (c'est là notamment où seront
bâtis les différents musées d'Abou Dhabi dont Le Louvre et Le Guggenheim). La
TDIC a ainsi offert 8.000 repas d'Iftar à ses ouvriers avec au menu de la
viande d'agneau, du riz, du poulet biryani, des fruits et des gâteaux. Autre
cadeau à l'adresse de ces travailleurs qui n'ont guère les moyens de s'offrir
des loisirs : la projection d'un film indien et une carte téléphonique d'une
valeur de 25 dirhams (500 dinars).
Mais, bien entendu, aucun Iftar
collectif, et certainement pas ceux organisés par les hôtels contre monnaie
sonnante et trébuchante, ne présentent le même caractère de ferveur et de joie
tranquille que celui de la mosquée du Sheikh Zayed. Les milliers de gens qui
s'y pressent chaque jour vivent un moment à part, une parenthèse bienvenue dans
un quotidien souvent éprouvant. C'est aussi une illustration impressionnante du
caractère cosmopolite des Emirats.
Certains expatriés occidentaux
venus là par curiosité, ou tout simplement pour vivre une expérience
inhabituelle, en repartent impressionnés, parfois même émus. Il faut dire que
le lieu ne peut laisser indifférent. A la tombée de la nuit, lorsque les tentes
commencent déjà à se vider, la mosquée et ses coupoles se parent de plusieurs
couleurs apaisantes. C'est alors que l'agitation précédant l'Iftar se calme et
que, petit à petit, le silence s'installe en attendant la prière du soir.
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Posté Le : 08/09/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaïd, Envoyé Spécial A Abou Dhabi
Source : www.lequotidien-oran.com