C'est une mémoire vive et vivante du mouvement national, de la guerre
d'indépendance nationale, de la construction chaotique de l'Etat national et du
combat entêté pour la démocratie et le Maghreb qui s'est éteinte hier avec le
décès de M. Abdelhamid Mehri
à l'hôpital militaire d'Aïn Naâdja
où il était hospitalisé depuis le début du mois.
Pour ceux qui l'ont connu et ceux qui l'ont approché, Abdelhamid
Mehri a été constamment un éclaireur. Celui qui ne se
perd pas dans les détails et dans les diversions et qui va vers l'essentiel. A 86
ans, cet homme a eu une vie pleine. C'est un combattant au long cours, un homme
curieux qui s'informe constamment. Un homme moderne dans le sens plus précieux
du terme, beaucoup plus moderne et plus libre que les présumés modernistes qui
lui ressortaient constamment le cliché d'avoir été «dans le système». Cet homme
qui a pris la direction du FLN après les événements d'octobre 1988 a très rapidement
compris que le système était fini et qu'il risquait de devenir une menace pour
le pays. Le mode de contrôle politico-policier mis en
place a peut-être joué un rôle positif pendant une certaine période, mais à la
fin des années 80, il était bel et bien terminé. Il était très naturel que cet
«ancien» se retrouve plus en osmose avec les jeunes réformateurs qu'avec les
défenseurs des «constantes» qui ne servent qu'à justifier l'immobilisme et la
permanence d'un système inefficace. Et surtout, cette défense d'un changement
de système, d'une démocratisation du pays, Abdelhamid
Mehri ne la voyait pas comme une déviation - c'est
ainsi qu'elle a été perçue par les tenants du régime - mais comme l'affirmation
d'une fidélité aux objectifs du mouvement national et de la révolution
algérienne. «La restauration de l'Etat algérien souverain, démocratique et
social dans le cadre des principes islamiques» et le «respect de toutes les
libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions» annoncés
dans la proclamation du 1er novembre n'étaient pas des paroles creuses. Elles
constituent pour l'homme engagé dans son siècle des objectifs vivants qui
méritent que l'on se batte pour eux. Tout comme l'idéal maghrébin sur lequel il
n'a jamais transigé.
LES BUTS DE LA
REVOLUTION ? L'INDEPENDANCE, LA DEMOCRATIE ET LE
MAGHREB
Abdelhamid Mehri qui a assisté au Congrès maghrébin
historique de 1958 n'a jamais admis la fermeture des frontières entre l'Algérie
et le Maroc. Toutes les vicissitudes politiques entre les deux Etats - dont il
connaissait parfaitement l'archéologie politique – ne justifiaient pas à ses
yeux cette frontière fermée. Et même s'il était persuadé que le Maghreb et la
démocratie vont de pair et constituent des combats au long cours, il reprochait
aux dirigeants en place de ne pas faire ce minimum qui fait que les relations
entre l'Algérie et le Maroc soient au moins du niveau de l'ordinaire. C'est que
pour cet homme dont les argumentaires sont souvent puisés dans l'histoire, dans
une expérience extraordinaire acquise dans un parcours remarquable - aussi bien
par sa richesse que par sa profonde constance - les buts de la révolution
algérienne restent intacts : l'indépendance, la démocratie et le Maghreb. Cet
homme d'une grande courtoisie et d'un grand humour croyait en la force de
l'argument. Et il ne doutait pas que dans une société complexe vivant dans un
environnement complexe la force d'un pays n'est pas dans la force, dans son
armée ou dans ses services - ce ne sont en définitive que des instruments - mais
dans l'attachement et l'adhésion des citoyens à des institutions et à des
projets.
DANS LES TUMULTES DES ANNEES 90
Il n'était pas surprenant de le retrouver dans les années 90 dans le
combat pour la démocratie. Il a été le premier à comprendre – il a mis en garde
Abassi Madani de manière publique - que le FIS et ses excès allaient être
instrumentalisés contre le processus démocratique. Cela ne l'a pas empêché
d'être contre l'arrêt du processus électoral en 92, non seulement par
conviction démocratique mais aussi par la certitude que c'est une fausse
solution qui coûtera cher à l'Algérie. Cela ne l'a pas empêché de chercher des
solutions et d'aller, jusqu'à Rome, pour signer avec d'autres forces
d'opposition le Contrat national pour une sortie pacifique de la crise. Le texte
- il est toujours accessible - posait des modalités concrètes qui ont suscité
une rage jamais égalée au sein du régime. Aujourd'hui encore, on est fasciné
par l'ampleur de la campagne en trahison et en hérésie qui a été déclenchée
contre lui avec des «marches spontanées» à l'appui. En 2008, Abdelhamid Mehri a voulu
organiser une rencontre universitaire et scientifique à l'occasion du
cinquantenaire de la déclaration de Tanger. Alors que tout était prêt, l'interdiction
est tombée. Abdelhamid Mehri
en a été affligée car la rencontre ne constituait pas une «menace». Il en a
surtout tiré la conclusion que le régime n'est pas prêt à la moindre ouverture.
Cela n'a jamais pourtant dissuadé M. Mehri de
combattre et d'intervenir sur la scène publique par des contributions et des
lettres ouvertes qui éclairaient les enjeux et fournissaient des grilles aux
Algériens. Abdelhamid Mehri
aura été militant jusqu'au bout. Il a été constamment proche des Algériens. Même
ceux qui croyaient qu'il était leur adversaire voire leur ennemi. Mehri, c'est un grand patriote algérien, un démocrate et un
Maghrébin. Il a été ce que nous souhaitons pour nous-mêmes et pour nos enfants.
Abdelhamid Mehri sera inhumé aujourd'hui après la prière
d'Al-Asr au cimetière de Sidi Yahia
à Alger.
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Posté Le : 31/01/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : M Saadoune
Source : www.lequotidien-oran.com