Algérie

Un grand Maghrébin s'en est allé



Un grand Maghrébin s'en est allé
Né à  El Harrouch en 1926, dans une famille modeste, il a étudié à  la Zitouna (Tunis) où il s'est vu chargé, au sein du PPA qu'il a rejoint très jeune, de la délicate mission d'encadrer ses compatriotes, mais aussi et surtout de faire son apprentissage de la diplomatie en tissant des relations avec les nationalistes tunisiens, en particulier ceux du Néo-Destour. Il est expulsé en 1951 vers Alger, pour activités partisanes, par les autorités françaises de Tunisie en vertu d'un édit royal datant d'avant la Révolution française de 1789. Lequel édit donnait aux autorités le droit d'expulser d'un territoire français vers un autre les «éléments perturbateurs».  
Membre permanent du PPA-MTLD, il avait été affecté au siège central à  la Commission chargée des affaires culturelles et islamiques, dont la mission consistait «entre autres à  créer des medersas libres et la rédaction d'articles en langue arabe destinés à  la presse du parti». En avril 1953, il est coopté au Comité central et assiste à  toute la crise qui traverse cette structure «iconoclaste» qui s'est opposée au leader désormais contesté du PPA-MTLD, Messali Hadj. C'est ainsi qu'il deviendra «un centraliste», c'est-à-dire un membre et un «partisan» du Comité central.
A  la veille de Novembre 1954, il entre en contact avec Mohamed Boudiaf pour le mettre en relation avec des émissaires de l'Emir Abdelkrim. Les deux hommes évoquent ensemble l'éventualité d'un déclenchement simultané. «Le contact avec les émissaires d'Abdelkrim s'est déroulé dans un contexte où les éléments de l'OS ont reconstitué, malgré la direction, une nouvelle équipe dirigeante depuis 1952. J'étais intermédiaire entre cette direction et les éléments d'Abdelkrim. Le souci de Boudiaf, de Didouche, de Ben M'hidi et des autres était d'entraîner les Marocains et les Tunisiens dans la perspective d'un combat commun. L'hypothèse d'Abdelkrim était tout à  fait indiquée. Mais la crise entre Messali et le Comité central chez nous et la situation évolutive en Tunisie, comme au Maroc, ont empêché la coordination de l'action.»   En novembre 1954, la police française, surprise par le déclenchement d'une insurrection généralisée qui allait devenir la Révolution algérienne, s'empresse de procéder, dès l'aube, à  l'heure légale des perquisitions, à  l'arrestation de ceux qu'elle croit àªtre les auteurs de «la nuit de la Toussaint». Abdelhamid Mehri est appréhendé et incarcéré.
«Concernant le déclenchement et la question de l'adhésion ou non à  la révolution, il y a lieu de clarifier le débat. Je crois que la relation que fait l'histoire écrite, du conflit entre messalistes, «centralistes» et les «neutralistes» qui ont déclenché est trop simpliste. Les neutralistes ont pris la décision de passer à  l'action depuis 1952, à  l'insu de la direction. Leur décision n'était pas le fruit de la crise du parti. Simplement, ils se sont positionnés pour essayer de réunir la base autour de leur projet. Ceci est la première constatation. Deuxièmement, les deux tendances, que ce soit les messalistes ou le CC, n'étaient pas a priori contre l'action armée. Au sein du CC, organe de direction, il y avait une majorité des membres favorables à  l'action armée. Cette position a d'ailleurs été couchée sur papier dans une résolution adoptée au mois d'octobre 1954 et remise par M'hamed Yazid et Hocine Lahouel. Elle exprimait clairement et nettement l'adhésion des membres du Comité central. Mais restait à  savoir, au cas où nous déclencherions, si les Tunisiens et les Marocains avaient la possibilité de poursuivre ' Les Egyptiens allaient-ils nous épauler fermement ' Parmi les centralistes, certains étaient réservés, mais cela demeurait des individualités. La majorité, quant à  elle, était pour l'action armée. Je crois que Messali Hadj aussi s'orientait vers la solution armée mais sous son commandement et son autoritarisme ont éparpillé tous les éléments. Il y a eu des tentatives de trouver un terrain d'entente avec lui, de la part des éléments de l'OS. Elle a malheureusement échoué à  cause de son entêtement. En résumé, le PPA, avec toutes ses tendances, était majoritairement favorable à  l'action armée. Encore une fois, qu'il y ait eu des réserves individuelles, c'est connu, mais la position officielle que ce soit au Congrès de 53 ou en octobre 54, était d'adhérer. L'adhésion a été individuelle, c'était une exigence du FLN qui désirait échapper à  un étiquetage dans un clan ou un autre du parti. Si le CC avait adhéré en bloc, cela classerait définitivement le FLN contre Messali et vice-versa.»   Abdelhamid Mehri, comme beaucoup d'autres militants, sera libéré en 1955, date à  laquelle il rejoint Le Caire pour s'engager dans la Révolution. D'abord, il en est le représentant permanent à  Damas. En 1956, le Congrès de la Soummam le désigne comme membre suppléant du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA). Il en deviendra titulaire et membre du Comité de coordination et d'exécution (CCE) en août 1957, lors de la session de l'instance dirigeante au Caire. Abdelhamid Mehri dira de cette session qu'elle a été «un tournant». Certains membres des 22, dont Krim Belkacem, Lakhdar Bentobbal, Abdelhafid Boussouf et Amar Ouamrane, ceux qu'on commençait à  appeler «les militaires» étaient partisans, au départ, de remettre en cause tout le Congrès de la Soummam, dira en substance le défunt. «Evidemment, après des discussions acharnées», on a accepté le maintien des structures dirigeantes de la Révolution et d'autres décisions issues du 20 août 1956, mais en changeant ou plutôt «en enrichissant la composante humaine du CNRA en particulier et du CC. Tout comme on a mis en veilleuse sinon gommé d'autres résolutions, notamment la classification entre ceux de l'intérieur et ceux de l'extérieur et la primauté du politique sur le militaire, etc. C'était en quelque sorte un compromis... Entre les militaires et le reste. Au départ, tous étaient des militants issus des partis politiques notamment les 22. On parlait déjà de militaires pour désigner ceux qui étaient pour l'action armée». En 1958, Abdelhamid Mehri entre au GPRA, dans le gouvernement présidé par Ferhat Abbas, comme ministre des Affaires maghrébines puis en 1961 en qualité de ministre des Affaires sociales et culturelles.
L'homme qui vient de nous quitter avait son franc-parler, voici ce qu'il nous déclarait concernant les origines du pouvoir en Algérie : «Au moment du déclenchement, ceux qui préconisaient la lutte armée avaient raison. C'était un postulat. Il était juste. Et l'histoire a démontré qu'ils avaient raison. Mais au fur et à  mesure, on commençait à  estimer que «ceux qui ont les armes ont raison», voilà à  peu près comment je décris cette évolution insidieuse. Donc, du point de vue du jugement politique, la lutte armée était juste et inéluctable. Ce postulat a évolué petit à  petit pour finalement aboutir à  «ceux qui ont les armes ont raison». Là est toute la démarche, jusqu'à maintenant d'ailleurs.» Abdelhamid Mehri, comme bon nombre d'acteurs et de témoins de l'histoire moderne de notre pays, est parti sans écrire, lui qui disait pourtant : «Que peuvent représenter les témoignages, les détails d'une expérience personnelle, devant le déferlement torrentiel de l'histoire ' Quelle utilité cette contribution est-elle susceptible de revêtir pour le présent et surtout pour l'avenir ' Je me suis toujours posé ces questions. J'ai fini par m'en poser une autre : quel est l'intérêt ou l'utilité de taire ces expériences et faciliter la manipulation par notre silence.*»Â 

Notes : les citations sont extraites d'un entretien que le défunt a accordé à  l'auteur. Voir El Watan du 23 septembre 2004  
* Préface de Les Architectes de la Révolution De Aïssa Kechida
(Chihab Editions. Alger 2001)


 


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