Algérie

Un fils de la médina s'en est allé



Un avis paru dans El Watan du jeudi 18 janvier m'a appris le décès de Houbi Hamoud le jour d'avant. Il y est précisé que c'était un ancien joueur de basket à l'USMA et qu'il a été enterré le jour-même de sa mort au cimetière d'El Kettar.Je m'emploie à trouver où exactement pour que je puisse me recueillir sur sa tombe. Celle-ci, vu l'extrême saturation de ce cimetière dont la création remonte à 1838, doit se trouver au fond de la vallée ou à flanc de colline face à la mer.
En tout cas loin d'El Bridja où les Turcs distillaient leurs fleurs de jasmin et des familles continuent à se recueillir les troisième et quarantième jours du décès d'un des leurs. El Kettar n'est plus Dar El ghrib, appelé ainsi parce que l'on y enterrait les musulmans de passage. Il est depuis longtemps réservé aux fils de la médina, La Casbah, l'Oued Koreich, Bab El Oued. Hamoud, Hous pour ses amis, était l'un de ceux-là. Il incarnait merveilleusement ce que l'on apprécie le plus chez l'Algérois de souche, c'est-à-dire l'amour de la vie et du travail bien fait, la droiture, la franchise, le solide bon sens et la gouaille. Il riait et faisait rire dans cet arabe dialectal tant décrié par les puristes, où pourtant abondent les images, les expressions et les proverbes et entre rarement un mot étranger. Il le faisait aussi en français qu'il parlait parfaitement avec une pointe d'accent pied-noir, marque indélébile de l'école coloniale qu'il avait fréquentée.
A sa manière spontanée et naturelle, il perpétuait ainsi des traditions ancestrales, celles-là mêmes qui font la cohésion d'un peuple et créent les conditions du vouloir vivre ensemble. Comme l'ont fait par le chaâbi qu'ils ont chanté avec un amour infini, El Anka, M'rizek, Gerrouabi, Fadéla Dziria, Ezzahi et d'autres encore qui sont enterrés dans le même cimetière. Fils de la médina, Hous a fait partie dès son plus jeune âge de l'équipe de basket de la médina, l'USMA dont il devint le capitaine après l'indépendance. C'était un attaquant d'une redoutable efficacité à mi-distance.
Dribbleur insaisissable, il s'infiltrait dans les lignes de défense les mieux gardées. Il compensait enfin sa taille moyenne par une détente de félin qui lui permettait d'enlever la balle à bien plus grands que lui. J'ai retrouvé une photo où on le voit, le premier à gauche, boute-en-train comme à son habitude faisant rire aux éclats ses interlocuteurs, dans l'ordre Bonischot et son épouse qui sont restés quelques années après l'indépendance parce qu'ils croyaient à la fraternité transcommunautaire ; Taitouche, un arrière très efficace, et sa femme ; Chakir ailier redoutable et pompier de son métier ; Mokhtar Taleb enfin, frère cadet du regretté Abderrahmane et dont la boutique de tailleur se trouvait sur la gauche à la fin de la rue Larbi Ben M'hidi dans la descente conduisant à l'opéra d'Alger. Nous revenions de Constantine après avoir remporté la demi-finale du championnat d'Algérie. C'était le 19 juin 1965. Nous avions quitté Alger par la route à cinq heures du matin.
La capitale était quadrillée par des chars dont nous avons pensé naïvement qu'ils servaient de décor à La Bataille d'Alger de Pontecorvo alors en cours de tournage. Nous avons été vite détrompés par le nombre impressionnant de barrages et de fouilles qui se sont succédé jusqu'à notre destination finale. Le trajet a duré douze heures au lieu des cinq prévues. Aucun de nous ne s'est senti concerné par les règlements de comptes au sein du sérail. J'ai revu Hous dans les années 1970. Il était venu à Bruxelles où j'étais premier conseiller à notre ambassade. Il était membre d'une délégation qui devait animer le pavillon algérien à une foire de la petite industrie et de l'artisanat organisée à Ostende pour les pays en développement. Nous avons visité, Hous et moi, les autres pavillons avant l'ouverture de l'exposition.
A la fin de notre visite, nous sommes allés déjeuner. Je le voyais pensif. Je lui ai demandé pourquoi. Il m'a alors répondu avec son accent inimitable : «La purée, Morad, on n' fait pas l'poids mais on va se battre» comme il l'aurait fait avant de commencer une partie contre une équipe trop forte. Je ne l'ai plus revu depuis. C'était un battant qui n'a jamais baissé les bras. J'espère que sa mort n'a pas été précédée par une longue maladie et qu'il l'a accueillie avec la sérénité et la patience des croyants. Que les siens et ceux qui l'ont aimé trouvent ici l'expression de ma très fraternelle sympathie.
Par Mourad Bencheikh
Ancien ambassadeur


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