Algérie

Un film, deux façons de voir...



Produit et distribué par Hikayate Films, le nouveau documentaire de Malek Bensmaïl, soutenu par le ministère de la Culture, a été projeté samedi en avant-première, à El Mouggar.Le cinéma est «une action importante» pour Malek Bensmaïl et quoi de plus intéressant que d'aller à la rencontre des films de commande et de circonstances glorifiant la guerre d'Algérie de façon presque béate et beatifiante que de faire un film complexe où tout est remis en question ou presque. Le cinéma enfin au service de la réflexion et non pas au service de l'autoglorification gratuite d'où en découle le one to trisme stérile qui se rapproche du sentiment de tout-plein pouvoir et puissance footbalistique, à savoir «nous sommes les meilleurs de la planète». Non! Revoyons-les choses et l'histoire autrement. Produit et distribué par «Hikayate Films» le nouveau documentaire de Malek Bensmaïl, soutenu par le ministère de la Culture a été projeté samedi en avant-première, à El Mouggar. D'emblée on peut dire que c'est un film malin. Malek Bensmaïl avec le soutien des différents protagonistes de son doc décortique pour nous les tenants et aboutissants de ce film culte qui a marqué l'histoire du cinéma algérien à savoir La bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo. Ce dernier est étudié sous différentes coutures et disséqué au scalpel par des intervenants algériens, italiens, mais aussi américains. Des points de vue et des idées qui se recoupent vers une chute assez lucide et inattendue sur la réalité du pays d'aujourd'hui et un mot que l'on happe au vol «trahison», qui clôt le film bizarrement.... Tout comme le son, l'image a son pouvoir des plus importants et subliminal au cinéma quand il est distillé à petites doses. Aussi, si les différents éléments de l'équipe technique ayant travaillé sur le film de Gillo Pontecorvo, vont nous raconter les péripéties par lesquelles est passée cette fiction, péripéties professionnelles, y compris historique, voire tragique, il y a d'autres témoignages des plus pointus qui vont venir bousculer l'ordre des idées reçues sur ce film et nous acculer à voir les choses autrement sur la portée «idéologico-pédagogique» appelons-là ainsi, du film. Pour le critique et historien Daho Djerbal, le film La bataille d'Alger a clairement «nourri le narcissisme des Algériens». Il est fait d'une façon que la fiction propagandiste sous-entendue dépasse largement l'aspect documentaire, poussant le public à s'identifier plus largement sachant que le scénario a été calqué sur des faits réels et Yacef Saâdi ait joué son propre rôle. Le documentaire de Malek Bensmaïl revisite ainsi les différents moments de sa fabrication en Algérie, jusqu'à son obtention du Lion d'or à Venise en 1966 et sa censure en France qui voyait ce film comme une véritable injure, y compris chez les pieds-noirs qui se sentaient vexés par le traitement fait envers eux. Le film de Malek Bensmaïl évoque le profil des différents personnages de La bataille d'Alger et les acteurs ayant interprété ces rôles. On citera Ali la Pointe ou le général Martin, dans la peau du général Bigeard. Le documentaire de l'auteur d'Aliénation est truffé d'images d'archives, soit photographiques et audiovisuelles. L'on découvre aussi le général Massu qui affirme ne pas regretter le recours à la torture en période de guerre tout en dénonçant les crimes commis selon lui par les gens du FLN qui découpaient le nez de ses militants si par malheur leurs règles n'étaient pas scrupuleusement respectées. Parmi les intervenants, il y a aussi la femme du réalisateur qui se souvient de cette période avec force détails, mais aussi les techniciens qui avaient travaillé sur le plateau du film dont Hocine Mezali qui affirme que Ali la Pointe était un homme intègre qui n'avait pas changé car il n'a pas survécu à l'indépendance, et par conséquent «il n'a pas été corrompu» par la suite. Ironie du sort, le film La bataille d'Alger se fera pendant que le coup d'Etat de Boumediene est mis en place et Ben Bella évincé et l'on assiste à des règlements de comptes internes. Un acteur se souvient que sa tête était mise à prix et finira torturé après la guerre alors qu'il devait justement tenir le rôle d'un condamné à mort lors du tournage dudit film. Une façon de dire que la réalité souvent dépasse la fiction. Aussi, le directeur photo Youssef Bouchouchi, décédé l'année dernière, évoque dans le film les moments difficiles quand il fallait tourner les passages de la guillotine tant la mémoire restait vivace. Le film de Bensmaïl parle d'un véritable phénomène social lors de sa fabrication à tel point que tout le monde y compris les femmes voulaient y participer car il traitait avant tout de la bravoure des Algériens et comment ils ont réussi à vaincre le colonialisme et faire sortir les colons, alors que celui-ci voulait à tout prix rester...Mais si le film de Gillo Pontecorvo était une belle référence pour les militants du mouvement Black Panther en Algérie puisque le pays était une vraie terre d'accueil pour eux, il l'était encore assurément aux USA, dont la sortie au cinéma était accueillie favorablement. Mais si pour les uns, la bataille d'Alger était un bon élément en vue de booster les troupes à se serrer les coudes pour se libérer, il sera pour d'autres un moyen de lutte contre le terrorisme. Vu comme une fierté aussi au Festival panafricain de 1969, le film après l'attaque de l'Irak par les Etats-Unis dirigés par Bush fait l'objet d'un intérêt beaucoup plus militaire pour les gens du Pentagone qui s'en serviront comme outil d'apprentissage pour une contre-insurrection. Un film pour apprendre à connaître son ennemi et mater la rébellion. Un film à double face pour ainsi dire qui se clôt sur des images pas assez reluisantes, celles d'une Casbah oubliée et délabrée, symbole d'une bataille, une autre déchue, celle de ne pas avoir pu restaurer son blason patrimonial malgré son lourd symbole...un regard enfin non pas nostalgique sur le passé, mais assez désenchanté sur le présent et son hypothétique avenir vient clore ce précieux film... A propos de la bataille d'Alger le réalisateur Malek Bensmaïl animant un débat avec le public indiquera: «Le film peut servir à la fois des mouvements indépendantistes comme il peut servir des mouvements totalement fascistes. C'est là où le film est sensible, en même temps il donne du paradoxe. Ce qu'on appelle la complexité humaine et historique. C'est un film qui travaille la question binaire.... C'est un film culte car il répond assez simplement à une dynamique binaire. Les armées indépendantes se servent de ce film comme élément d'information, des deux côtés, c'est ça qui m'intéressait de montrer.» En gros, tout peut basculer vers le camp auquel on ne s'y attend pas. Tout dépend de la direction dont on use ou manipule, et ce, peut-être même malgré soi'


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