La mer, c'est fini. C'est bien mémorisé.» Ces mots sont prononcés par Ahmed Aït Ramdane, ex-otage des pirates somaliens, pour mettre fin à sa carrière de marin après 31 ans de service. Il avait 25 ans quand il a pris pour la première fois la mer, conscient des risques.
Pendant toute cette période, il accomplissait sa tâche de mécanicien avec courage. Et jamais, dit-il, ne lui est venu à l'esprit qu'il serait un jour capturé par les pires pirates au monde. «Nous avons eu des cas de piraterie au Nigeria. Mais ça n'a jamais été comme les Somaliens. Les pirates au Nigeria prennent l'argent et quittent le navire sans faire de mal aux membres d'équipage», se souvient-il.
A 55 ans, M. Aït Ramdane a vieilli de dix ans aux yeux de ses enfants. Dix mois entre les mains des pirates somaliens laissent inévitablement des séquelles. Installé dans un fauteuil, dans le salon de sa modeste maison, à Hadjout, le mécanicien relate difficilement ce qui lui est arrivé pendant sa capture. Regard dans le vague, paroles entrecoupées par des moments d'absence, Ahmed Aït Ramdane décrit les pires moments qu'il a passés avec ses ravisseurs.
«Ils nous obligeaient à faire la vaisselle et à leur préparer à manger. Il faisaient travailler notre cuisinier à longueur de journée», raconte-t-il. Le stress et le sentiment d'abandon étaient à leur paroxysme. «On vivait avec des rumeurs. Nous étions coupés du monde. Nous avions la radio BBC en arabe. Mais les pirates changeaient de chaîne exprès», se souvient-il de la cruauté des pirates somaliens. Les pirates somaliens travaillent en famille, avec femmes et enfants. Le chef des pirates travaille avec ses deux gosses. D'après le témoignage du rescapé de leur enfer, même des adolescents de 14 à 15 ans portaient des kalachnikovs. «Il y a ceux qui tiennent le Nord et ceux qui tiennent le Sud», précise le marin, qui a du mal à supporter la maltraitance de son commandant par ces petits pirates.
Un adolescent bouscule le commandant du navire
Les marins ont vécu des scènes très humiliantes. «Un gosse de 14 ans bouscule le commandant du navire. Ce dernier rit sans dire un mot. Il cache sa gêne et son désespoir», dit Ahmed Aït Ramdane, qui n'arrive toujours pas à se remettre des maltraitances subies. Lorsqu'il parle de maltraitances, le marin éprouve un sentiment de dégoût. Sa voix et l'expression de son visage deviennent plus tristes. «Ils nous insultaient. Ils nous ont privés de tout ce qu'on possède. Un pirate de 14 ans nous obligeait à lui préparer à manger», révèle le rescapé à voix basse.
Tout au long de sa narration, l'ex-otage ne prononce pas le mot «pirates». Il se contente de l'usage du pronom personnel «ils». Ce qu'il a vécu est très dur à raconter. Leur nourriture, pendant dix mois, était constituée essentiellement de spaghettis, de riz et du pain qu'ils préparaient eux-mêmes. «Ils nous ramenaient des sacs de farine mouillés de gasoil. Ils les avaient sûrement pillés sur d'autres navires capturés», déduit-il. Le pain à l'odeur de gasoil, mélangé à l'eau de mer, a fait la nourriture des marins durant leur séjour imposé. Les pirates leur ramenaient l'eau dans des bidons déjà utilisés pour le gasoil. Pour se procurer de l'eau de mer, il leur fallait une autorisation.
Heureusement pour les ex-otages, il y avait ceux qui parlaient arabe. «Ceux qui ont vécu au Yémen», dit M. Aït Ramdane. La situation était tellement insoutenable que des altercations éclataient par moments entre les otages algériens. «Quand quelqu'un s'énervait, on le laissait seul pendant un moment. L'un des Algériens a même fait une dépression nerveuse», se souvient-il.Â
Tout comme les 25 autres marins, le mécanicien ne croit pas qu'on les a libérés. Même lorsqu'ils arrivent au Kenya, ils n'y croient toujours pas. La libération de Toudji Azzedine leur avait rendu l'espoir, mais ils sont épuisés physiquement et moralement.
Avant cette action, les pirates leur ont ramené du gasoil et de la nourriture. Etait-ce un indicateur de leur libération ' Les otages n'osaient pas y penser.
C'est un certain Mahmoud, médiateur entre les pirates et la compagnie CTA, ayant affrété le navire, qui a négocié, d'après Ahmed Aït Ramdane, qui ignore toujours sur quoi tournent les négociations. Le 2 novembre, un hélicoptère filme les otages. Le 3 novembre à 13h, le vraquier MV Blida prend le large en direction du port de Mombasa, au Kenya. «Le commandant ne veut pas continuer. Il exige la sécurisation du navire», atteste M. Aït Ramdane. Il a été escorté par un hélicoptère et un navire de guerre espagnol jusqu'à Mogadiscio. «Nous avons mis 4 ou 5 jours de Mogadiscio au Kenya», hésite-t-il.
Le MV Blida est escorté par les militaires kenyans. Il leur reste 5 heures pour arriver au port de Mombasa quand le gasoil s'épuise. Le bateau reste en rade. D'autres marins viennent à leur secours. Ils se retrouvent finalement sur une plage, au Kenya.
Ahmed Aït Ramdane est à une semaine de son départ en retraite quand le MV Blida fait l'objet d'un acte de piraterie en haute mer par les Somaliens, le 1er janvier 2011. Les pirates ont finalement mis fin à sa carrière et à son amour pour la mer.
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Posté Le : 21/11/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Djedjiga Rahmani
Source : www.elwatan.com